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Est-elle encore une affaire de RH ?

Dossier | publié le : 01.11.2019 | Judith Chétrit

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Est-elle encore une affaire de RH ?

Crédit photo Judith Chétrit

Une bataille de territoires a lieu dans nombre d’entreprises : aux ressources humaines, la gestion des compétences et la connaissance fine du management, à la communication interne, la maîtrise d’outils de plus en plus diversifiés pour parler aux collaborateurs. Entre RH et communicants, les frontières sont souvent poreuses. Mais l’enjeu reste l’accès aux salariés et le choix des meilleurs canaux.

« Une injonction paradoxale permanente. » Interrogée lors d’une journée de prospective organisée par l’Association française de communication interne (AFCI), la directrice générale d’Entreprise & Personnel, Sandra Enlart, résumait la trajectoire et le ressenti de nombreux communicants. Parallèlement à l’accélération des cadences, au flou des frontières entre l’interne et l’externe, à la transformation des organisations, des méthodes de travail, voire du cœur de l’activité économique, les professionnels de la com’ interne se retrouvent confrontés à un enjeu de positionnement et de segmentation ultra-mouvante de leur audience.

À l’image des professionnels des ressources humaines sommés d’évoluer vers une posture de conseil et d’accompagnement, les comunicants peuvent être amenés à se prononcer dans un débat vécu comme historiquement insoluble : leur positionnement au sein de l’entreprise conditionne-t-il leur valeur ajoutée et leur marge d’action ? Directeur de la communication et de l’engagement pour la banque Edmond de Rothschild, Thierry Garnier a rejoint le groupe de 5 000 salariés pour ce poste créé pour lui.

« Il n’y avait pas d’animation centralisée de la communication interne, celle-ci ayant été faite auparavant dans chaque pays, la France, le Luxembourg et la Suisse », explique-t-il. Thierry Garnier est actuellement lié à la direction de la communication et du marketing, lui qui a connu différents rattachements aux ressources humaines ou à la com’, tout en trouvant à chaque fois « une autonomie d’action ». Pour autant, il observe un basculement plus global vers les équipes de communication. « Il y a eu un important mouvement de focalisation de la communication interne sur la production de contenus, en raison de la puissance de diffusion du digital et de l’importance d’alignement des contenus avec la communication externe. Quitte à parfois oublier les spécificités des publics de la communication interne », juge-t-il. Parmi ses premiers chantiers figure ainsi, en plus d’une application mobile regroupant plusieurs communautés, l’élaboration d’une dizaine de « principes de comportement » à partir de témoignages de collaborateurs. Car il s’agit ici de formaliser et de mettre des mots sur la culture historique d’une entreprise familiale dont les caractéristiques peuvent être parfois vécues comme « intrinsèques » par les entrants. Le reflet, selon lui, d’une fonction de catalyseur et d’animateur de communautés que doit assumer le communicant interne pour ne pas se limiter à la production d’outils.

« Toujours plus de porosité »

Comme chez Edmond de Rotschild, les communicants internes sont rattachés, au sein des grandes entreprises, dans 40 % des cas à la direction de la communication. 31 % font partie des directions générales, notamment dans les plus petites structures, et 14 % d’entre eux travaillent à la direction des ressources humaines, contre un tiers il y a encore une quinzaine d’années. Le rattachement à une direction spécifique peut, à cet égard, constituer un premier indice sur les objectifs à atteindre : informer des changements, des stratégies et des résultats internes, les expliquer, fédérer autour d’un projet et de valeurs communes, développer une cohésion et une fierté d’appartenance à un métier, à une équipe ou à un groupe multisite. « Il n’y a pas eu de coupure ou de rupture, mais la tendance est d’aller vers toujours plus de porosité avec les autres services de l’entreprise, tranche Thierry Libaert, expert et auteur en communication des organisations. Il y a vingt ans, les équipes voulaient mobiliser et fédérer en créant une culture d’entreprise. Aujourd’hui, on parle davantage de recréer du lien et du débat à l’intérieur d’une organisation pour lutter contre l’hyper-fragmentation des équipes. »

L’AFCI compare les professionnels à des Mary Poppins devant « recourir à une multiplicité d’outils pour faire du liant entre les salariés, et si possible apporter de la convivialité au sein des entreprises ». Coopérer et collaborer avec plus de monde, certes, mais à quel prix ? Sur le papier, l’équation semble rapidement tranchée : sur les 46 milliards d’euros d’investissement en communication, la communication interne ne représente qu’un milliard, quasiment la même somme que celle allouée en 2017 au mécénat ou encore à la marque employeur, selon une étude réalisée par le cabinet EY. Dans l’échiquier de l’entreprise, mieux vaut avoir ce sujet représenté dans les lieux de décision pour espérer des investissements à la clé, dès l’élaboration des projets en interne. Un argumentaire peaufiné au fil de sa carrière par Dominique Massoni, directrice du développement des ressources humaines et de la communication interne du groupe chimique français Arkema. Passée par les différentes facettes des RH, elle a toujours voulu s’appuyer sur son expertise des dossiers pour mieux communiquer auprès des salariés dans ses activités de recrutement, de formation et de gestion des carrières. « J’ai la même conviction : le mode de traitement de l’information ne doit pas être le même quand on s’adresse à des salariés », avance-t-elle. Alors que son équipe a initié, il y a plus de six mois, deux instituts du leadership à destination du management et un institut des métiers en remplacement de la direction de la formation, elle lutte « contre l’hypertrophie des ressources humaines dans les établissements » qui regroupent les 7 000 salariés français. « La communication doit intervenir en conseillant les structures qui le lui demandent. Oui, les profils sont différents, mais si on voit les RH comme une structure contractualisant les règles du jeu de la vie en entreprise et développant les compétences et la qualité de la vie au travail, il faut donner aux salariés des repères et des informations fluides. »

L’accès aux collaborateurs et le choix des meilleurs canaux d’information restent un enjeu déterminant. Ainsi, à l’heure où certains salariés sont vus comme des ambassadeurs d’une marque, des entreprises préfèrent a contrario centraliser la production de l’ensemble de leurs contenus autour d’un même discours. Comme l’écrivait en 2015 Vincent Brulois, responsable du master communication et RH à l’université Paris-13, « la communication possède toujours deux visages : celui de la com’ qui cherche à présenter l’entreprise sous un jour toujours positif, jouant de l’image pour façonner une réputation immaculée à destination de salariés considérés comme des cibles internes ; et celui de la communication qui cherche à dialoguer afin de comprendre la réalité, de connaître les individus, de les faire coopérer pour agir ensemble ». Auprès de ses étudiants, il insiste sur la posture et sur l’identité professionnelle pour mieux exister en entreprise plutôt que sur le périmètre de rattachement. « Certains sont même intégrés dans des directions de l’innovation ou de la transformation puisqu’elles travaillent également à modifier le cadre organisationnel ou de travail. Quand une organisation compte davantage sur ses salariés pour “faire entreprise” dans un environnement plus incertain, c’est presque une bonne nouvelle pour la com’ interne, qui est d’autant plus sollicitée pour son expertise à donner du sens », abonde-t-il. Un point de vue que partage Assaël Adary, président du cabinet d’études et de conseil en communication Occurrence : « Il ne faudrait pas confondre le contenu et le contenant. Les sujets RH peuvent être l’un des contenus de la communication interne, mais il y en a plein d’autres qui ne le sont pas. Les communicants doivent avoir cette hauteur de vue et ne pas être à la fois juges et parties. »

Effets de balancier

Il faut dire que les ressources humaines ont une carte conséquente à jouer : avec le levier de la marque employeur pour attirer et pour fidéliser des talents, ce sont autant de compétences fonctionnelles en communication qui ont été déployées par les équipes amenées ainsi, parfois, à faire intervenir des collaborateurs pour décrire leur quotidien ou pour expliquer ce qui les fait rester au sein d’une entreprise. Les RH sont également mobilisées pour accompagner les managers dans leur prospective métiers et dans le développement des compétences de leurs équipes. Dès lors, les passerelles sont plus nombreuses : « Quand cette communication s’adresse à l’ensemble des collaborateurs, mieux vaut se coordonner dans les cadences et dans les messages thématiques à délivrer pour éviter des télescopages malheureux », indique Thierry Garnier. Les dispositifs déployés doivent faire la preuve de leur pertinence stratégique et d’une bonne compréhension des métiers et des attentes des populations disparates de salariés. Lorsque Judith Matharan a pris son poste de directrice de la communication interne et de la culture d’entreprise de Martell Mumm Perrier-Jouët, « c’était une façon d’associer publiquement la culture d’entreprise à l’identité et à l’engagement des employés ». Dans cette filiale de Pernod-Ricard, elle s’attache à ce que les salariés travaillant pour majorité dans les chaînes décentralisées de production des vignobles de cognac ou de champagne « aient la même compréhension de la stratégie de l’entreprise ». Ainsi, quand les ressources humaines ont décidé de rénover le processus d’évaluation de la performance, l’accent, après concertation, a été mis sur « l’autonomie dans la prise de décision » en encourageant les échanges de bonnes pratiques en interne, d’un site à l’autre. Dans le groupe Pernod-Ricard, faciliter et améliorer l’engagement des salariés au travers de plans d’action est récompensé par des bonus pour les DRH des filiales. À croire que l’engagement remplace la mission principale de la communication interne.

Ce n’est pas un hasard si l’intitulé du périmètre d’activité de Stanislas Haquet a changé, il y a quelques années, quand il est devenu directeur associé en charge de la Practice Engagement – anciennement communication interne – de l’agence de communication Angie. « Ce mouvement a été encouragé dans d’autres organisations quand la communication interne a voulu changer son manifeste en s’inspirant de disciplines extérieures pour avoir une empreinte plus importante dans le business. Même s’il n’a jamais été question d’arrêter les fondamentaux, cela n’empêche pas des guerres de chapelle de réapparaître ! » souligne-t-il, pointant des « effets de balancier permanents » du fait du flou qui peut exister entre « la satisfaction, la motivation et l’engagement ». Quand l’agence a été retenue par Bouygues Immobilier pour définir de nouvelles valeurs, « l’attelage du chantier lancé par la direction générale nécessitait une forte expertise à la fois en outils et en contenus », abonde Élise Pinsolle, directrice conseil. Quand l’injonction de la communication se retrouve transformée en « faire agir », hybridant encore plus les outils et les profils des praticiens de la com’ interne…

Sidonie Gallot, directrice du département information-communication de l’université Paul Valéry, Montpellier 3
« Rien ne sera compris comme transparent si les bons termes ne sont pas employés »

« Avec l’émergence de la communication institutionnelle puis celle du numérique, c’est un élément de discours présent depuis les années 1980 qui a été renforcé légalement par l’obligation de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale. Pour autant, dans un environnement concurrent, cela n’a pas facilité le positionnement de la communication interne. Les salariés attendent d’être, au minimum, aussi bien informés que le public externe et, dans un contexte de transformation, ils sont d’autant plus attentifs aux changements de méthodes de production ou d’organisation du travail. Quand personne n’est dupe d’une communication vue comme trop lisse ou mise en scène, l’interprétation de la transparence par les communicants peut être une attention particulière apportée au fait de traduire et de hiérarchiser au mieux les informations en fonction des cultures professionnelles des métiers auxquels ils s’adressent. Rien ne sera compris comme transparent si les bons termes ne sont pas employés. L’influence des communicants internes sur le champ de la transparence dépend beaucoup de leur positionnement. Certains vont se retrouver dans un rôle de conseil stratégique, parfois en management, ou dans une exécution strictement opérationnelle. D’autres, convaincus de l’importance de l’accès à l’information par des salariés, peuvent se retrouver dans une situation paradoxale où ils regrettent de n’avoir que peu de marge de manœuvre pour adopter un ton réellement sincère et direct. Il faudrait faire la preuve de la transparence, ce qui est mission quasi impossible. À défaut, ce sont les preuves de mensonge et de cas concrets en décalage avec un discours qui sont encore les meilleurs indicateurs de fiabilité. »

Auteur

  • Judith Chétrit