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La réforme presse les entreprises

Décodages | Handicap | publié le : 01.11.2019 | Sophie Massieu

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La réforme presse les entreprises

Crédit photo Sophie Massieu

Demandes de formation, réflexions sur les stratégies de sourcing, création de liens avec le secteur protégé ou avec les réseaux d’intérim. Pour répondre à leurs nouvelles obligations en matière d’emploi de personnes handicapées, à compter de janvier prochain, les employeurs remettent en cause leurs pratiques. Peut-être pas tous par conviction… Et difficilement dans les PME.

Un moment charnière. Voilà ce à quoi aboutit la réforme de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH), selon Anne Festa, directrice associative et du développement de Ladapt, l’association créatrice de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (voir encadré). « Les entreprises sont une clé majeure de transformation de la société pour la rendre plus inclusive, détaille-t-elle. Nous devons les soutenir. Leurs besoins ont évolué, de même que ceux des personnes handicapées. Maintenant, nous devons créer un écosystème de façon à regrouper toutes les forces disponibles pour favoriser l’inclusion. Et nous devons le faire à l’échelle territoriale, au plus près des personnes et des entreprises. » Tout en se défendant de toute candeur, elle affirme son optimisme : « Aujourd’hui, les entreprises nous disent moins qu’il est compliqué d’embaucher des personnes handicapées. Elles soulignent plutôt que cela représente une richesse. Nous estimons qu’elles ont acquis une maturité sur le sujet. »

Matures et convaincues ? Ou contraintes et forcées ? Cette question n’appelle sans doute pas de réponse unique. Mais dans tous les cas, sans être révolutionnaire, et même si certains points ne sont pas encore tranchés, la réforme OETH présente déjà des impacts nets pour les organisations. Et plusieurs d’entre elles ont déjà mis en place des stratégies d’adaptation.

Besoin de formation.

Rien d’étonnant, tant les principales mesures contenues dans la loi du 5 septembre 2018, et dans les décrets d’application qui ont suivi au printemps dernier, auront pour les entreprises des conséquences financières parfois tangibles. En premier lieu avec la seule comptabilisation de l’emploi direct dans l’obligation de compter 6 % de personnes handicapées dans les effectifs. Mais aussi avec la fin annoncée du renouvellement ad vitam des accords d’entreprise, avec la révision à la baisse de la liste des exonérations possibles, ou avec les nouvelles modalités de calcul des avantages du recours à la sous-traitance aux Esat (établissements et services d’aide par le travail) et aux entreprises adaptées. Le groupe spécialisé dans l’intérim Adecco sent ce frémissement chez ses clients : « La réforme conduit les entreprises à interroger leur façon de remplir leur obligation d’emploi, observe Johan Titren, directeur égalité des chances. Mais il est encore tôt pour formuler autre chose que des hypothèses sur la façon dont elles vont évoluer. »

Pour l’heure, le groupe se voit adresser nombre de questions très pratiques, sur la première comptabilisation des travailleurs handicapés dans la déclaration sociale nominative (DSN), par exemple, ou sur les nouvelles modalités de valorisation du recours à la sous-traitance. « Nous avons un effort de pédagogie à faire vis-à-vis de nos clients. Nous nous y engageons au travers de guides sur l’intérim et sur le handicap, de webinars, de sensibilisation… » complète Johan Titren. De son côté, l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées) va au contact des entreprises, dans toutes les régions. À l’image de Jennifer Lively-Verguet, chargée d’étude et de développement, qui, depuis les premières mesures connues de la réforme, a rencontré plus de 250 entreprises des Hauts-de-France. À elle aussi des questions très pratiques autour de la DSN sont posées…

Le besoin de formation se révèle également de plus en plus prégnant chez les partenaires sociaux. C’est du moins ce qu’observe Christophe Roth, délégué national CFE-CGC santé au travail et handicap. Aujourd’hui, il parvient à peine à répondre favorablement à toutes les demandes pour les deux demi-journées de formation que propose le syndicat à ses élus susceptibles de négocier un accord handicap au sein de leur entreprise. Jusqu’ici, il n’avait formé que 400 personnes en trois ans… « La demande est énorme, et les élus ont besoin d’éléments dans des délais courts », note-t-il. Au sein du cabinet Sextant-Expertise, en revanche, les demandes de formation au sujet du handicap n’arrivent pas au premier rang, loin derrière les questions relatives aux nouveaux comités sociaux et économiques (CSE) ou aux commissions sur l’égalité professionnelle. En cause, selon Isabelle Nicolas, responsable sociale, « un agenda extrêmement chargé et de plus en plus technique. Et avec la diminution du nombre d’élus, il y aura des embouteillages ! »

Une autre explication est possible, selon Christophe Roth (CFE-CGC) : « On ne sent pas de sursaut au sein des entreprises, aucune volonté politique de favoriser les recrutements. Nos élus remarquent plutôt des encouragements à amener des collaborateurs à déclarer leur handicap que l’on pourra ensuite inscrire dans les dispositifs de maintien dans l’emploi. Nous sommes aussi face à une approche plus financière que RH, et plus quantitative que qualitative en matière d’embauche. Ainsi, par exemple, recrutera-t-on des personnes handicapées plus facilement sur des postes non évolutifs. »

Plan d’action.

Difficile, sans doute, de généraliser le degré d’implication des entreprises et la qualité de leurs interventions pour favoriser réellement l’emploi des personnes handicapées et la marche vers une société moins discriminante. Certaines, comme Elior, se sont plongées dans les textes dès le début des discussions, il y a un peu plus d’un an. En 2018, le groupe dépassait son obligation légale et atteignait 6,7 % de salariés handicapés. Mais en intégrant une quarantaine d’unités bénéficiaires, au travers du recours à la sous-traitance. La seule comptabilisation de l’emploi direct devrait, mécaniquement, faire perdre 1 à 1,5 %, et conduire l’entreprise à rejoindre celles qui n’atteignent pas le quota des 6 %. La suppression d’autres minorations de la contribution (comme celles accordées pour l’emploi de jeunes de moins de 26 ans en situation de handicap ou au chômage de longue durée) devrait aussi avoir des effets directs pour Elior France. « Notre taux va chuter, alors qu’on n’embauchera pas moins de personnes, résume Fyntha Parant, responsable diversité et handicap. En matière de communication et de pédagogie, c’est compliqué ! » Toutefois, à ses yeux, cette loi est « positive ». Elle y voit l’opportunité de renforcer l’emploi direct, de développer de nouvelles formes de collaboration avec les Esat, des passerelles avec des job coachs notamment… Elle se dit soutenue par la direction des ressources humaines qui, sitôt la réforme enclenchée, lui a demandé de plancher sur un plan d’action. Sans que celui-ci soit encore totalement finalisé, elle sait déjà qu’il fera la part belle à l’élargissement de ces partenariats pour le sourcing de candidats handicapés. Ce qui pourrait encore accroître le nombre d’inscrits à des Salons de l’emploi spécialisés.

Organisateur de Hello Handicap, un Salon virtuel qui se tient chaque année en février pour les PME, en avril et en novembre pour les grands groupes, Nicolas Bissardon table pour sa part sur 110 entreprises inscrites en ce mois de novembre, contre 70 à la même période l’an dernier. Les agences d’intérim devraient elles aussi faire l’objet de plus de sollicitations. Le 24 septembre dernier, la branche du travail intérimaire a d’ailleurs signé, avec le ministère du Travail, l’Agefiph et Pôle emploi, une convention-cadre sur l’insertion et le maintien dans l’emploi de personnes handicapées… Sans attendre cet engagement collectif, et en plus de l’accompagnement qu’il offre à ses clients, le groupe Adecco, de son côté, a nommé des référents handicap en interne, y compris dans ses structures (la moitié environ) non soumises à cette obligation, qui ne concerne que les entreprises de plus de 250 collaborateurs. Une « question de cohérence », selon Johan Titren, directeur égalité des chances.

Même dans les entreprises déjà engagées sur le sujet, la réforme de 2018 amène à interroger les pratiques. C’est en tout cas l’avis de Jane Gancel, chargée de mission diversité chez Klesia. Le groupe mutualiste dépasse le quota obligatoire, avec 6,9 %, presque exclusivement au travers de l’emploi direct : « Cette loi nous encourage à renouveler nos efforts, parce que nous sommes convaincus qu’une politique handicap n’est jamais terminée. » En 2019, l’objectif était de recruter 20 personnes en situation de handicap (elles étaient 16 en septembre), et en 2020, une ambition plus élevée devrait être fixée. « Nous travaillons main dans la main, entre services de la communication, de l’action sociale, du recrutement… La cellule diversité n’agit pas seule dans son coin. C’est un sujet transversal. »

Rendez-vous en janvier 2021 ?

Le spécialiste de gestion de la paie ADP, pour sa part, est sous accord d’entreprise depuis 2010. Le dernier a été signé en 2019 et négocié pour quatre ans, contre trois pour les précédents, afin de ne pas être impacté trop vite par l’interdiction de plus d’un renouvellement qu’impose la réforme. Mais au-delà, la responsable RSE du groupe ne prévoit pas de grand changement dans la politique handicap, déjà largement tournée vers l’emploi direct. En revanche, les PME se trouvent plus démunies, à en croire Philippe Chognard, responsable du pôle conditions de travail à la CPME. Il dénonce le manque d’études d’impact, notamment sur l’application du quota aux entreprises et plus aux établissements, et regrette le manque d’informations sur la DSN et la façon dont les PME devront procéder. « L’information existe, il y a même des calculateurs, tempère Franck Gallée, directeur régional Ouest de Ladapt. Mais les petites entreprises ont sans doute d’autres priorités immédiates. Elles iront chercher l’information quand elles verront l’impact financier de la réforme pour elles. Il y aura donc un retard, un décalage dans le temps. » Rendez-vous en janvier 2021, en somme, lorsque l’Urssaf fera ses calculs… Jennifer Lively-Verguet, de l’Agefiph, observe, cependant, que certaines PME cherchent à mettre en place des plans d’action à long terme et sollicitent pour cela l’accompagnement de l’association. En premier lieu les entreprises multisites, qui seront les plus concernées par les nouvelles modalités du calcul de quota par entreprise.

Mais un autre aspect de la réforme en cours de finalisation inquiète plus encore la CPME et certaines fédérations, comme celles des transports ou du bâtiment : il s’agit de la révision de la liste des Ecap (emplois exigeant des conditions d’aptitude particulières). Les branches avaient jusqu’au 31 août dernier pour proposer une liste révisée, restreinte, des Ecap à la direction générale de l’Emploi et de la Formation professionnelle (DGEFP), qui devrait trancher d’ici à la fin de l’année.

Du côté des grands groupes, outre les nouvelles modalités de calcul de la valorisation du recours au secteur adapté encore floues, c’est finalement la question du rôle, des moyens et des référents qui soulève le plus d’incertitudes. « On ne sait pas à quoi ils doivent servir, reconnaît Fyntha Parant, d’Elior France. Mais à terme, cette loi portera des effets bénéfiques. Il faut simplement laisser aux entreprises le temps de se mettre en mouvement et de se doter des outils pour atteindre l’objectif d’une société plus inclusive. » Le monde associatif voudrait y croire !

Une semaine de sensibilisation

Du 18 au 24 novembre, se tient l’édition 2019 de la Semaine européenne de l’emploi des personnes handicapées. Autour de trois thèmes (Europe, femmes, handicaps invisibles), elle proposera comme chaque année des forums, des job datings, etc. Pour en savoir plus : www.semaine-emploi-handicap.com/edition-2019

Auteur

  • Sophie Massieu