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Décodages

La CFTC en lutte pour sa survie

Décodages | Syndicats | publié le : 01.11.2019 | Benjamin d’Alguerre

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La CFTC en lutte pour sa survie

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Changement de visage à la tête de la CFTC. Cyril Chabanier est pressenti pour succéder à Philippe Louis au congrès de Marseille. Désormais centenaire, la centrale chrétienne s’accroche à une représentativité fragile, mais son audience s’effrite à tous les niveaux. Combien de temps pourra-t-elle encore sauver les meubles ?

« Quand on fait 9,5 % alors que le seuil de représentativité est à 8, on n’a franchement pas les moyens de se payer le luxe d’une guerre civile. » Ce constat d’un cadre de la CFTC laisse-t-il présager un congrès apaisé pour le syndicat chrétien ? Sur le papier, l’affaire semble entendue. Le Provençal Cyril Chabanier, président de la Fédération de la protection sociale, est l’unique candidat déclaré à la succession de Philippe Louis. À l’issue du 53e congrès confédéral de Marseille – qui marque également le centenaire de l’organisation –, c’est lui qui devrait prendre pour quatre ans les rênes de la confédération. À Pantin, au siège de la CFTC, on veut jouer la carte de l’unité même si les couloirs bruissent de rumeurs de candidatures dissidentes, de pronunciamientos et autres tentatives de putsch internes. Passage obligé avant tout congrès. La crainte n’est toutefois pas totalement infondée : la nature particulière de désignation des instances dirigeantes de la centrale chrétienne – les unions départementales et les délégués des fédérations élisent un congrès confédéral de 46 membres qui, à leur tour, désignent le trio de direction de l’organisation : président, secrétaire général confédéral et trésorier – rend possible un coup de théâtre. L’exemple de 1981 est là pour rappeler qu’à la CFTC, aucune victoire n’est acquise d’avance. À l’époque, Pierre Boisard, candidat désigné, avait dû manger son chapeau face à Jean Bornard que le congrès lui avait préféré.

Forcément, les regards se tournent vers les dissidents putatifs. À commencer par les fédérations les plus turbulentes, Transports et Commerce, dont les désaccords avec l’échelon national sont notoires. Quelques personnalités emblématiques du syndicat sont aussi soupçonnées de vouloir jouer leur partition solo. Mezzo voce, les noms de Pascale Coton, la « madame retraites » de l’organisation, ou de Joseph Thouvenel, le patron de la CFTC-Paris, circulent. Unique personnalité CFTCiste médiatique, doté d’un solide charisme, ce catholique pratiquant qui n’a jamais hésité à tenir des positions parfois embarrassantes pour l’organisation – à l’image de sa participation à la Manif pour tous en 2013 – est accusé d’être tenté de jouer les trouble-fêtes à Marseille. L’intéressé s’en défend : « Je n’ai jamais tiré dans les pattes de mon organisation et je n’ai pas l’intention de le faire. J’apporterai mon soutien au président qui sera élu tant qu’il estimera que je peux apporter quelque chose, et tant qu’il respectera l’article 1 de nos statuts qui inscrit notre action dans le sillon de la doctrine sociale chrétienne », proteste celui qui porta pendant près d’une décennie les dossiers « travail » du syndicat.

Union sacrée.

À Marseille, la situation devrait rester sous contrôle. Joseph « Jo » Crespo, le président de la puissante fédération de la métallurgie, l’assure. Motivées par le risque réel de perdre à plus ou moins brève échéance leur représentativité, les chevilles ouvrières de l’organisation chrétienne ont travaillé d’arrache-pied pour verrouiller le congrès. « On a réussi à agglomérer les principales fédés – chimie, métallurgie, enseignement privé, transports, commerce et santé-sociaux – autour de la candidature Chabanier. C’est du jamais-vu dans notre histoire. Mais compte tenu de la situation précaire du syndicat, les circonstances l’exigent », explique Jo Crespo. Bref, la messe est dite chez les syndicalistes chrétiens. L’hypothèse d’une candidature alternative à celle de Cyril Chabanier semble peu probable. Selon toute vraisemblance, c’est bien ce quadra (47 ans), économiste de formation, qui, au soir du 8 novembre, s’assoira dans le fauteuil présidentiel. Venu des CAF, l’un des derniers bastions CFTCistes, Chabanier a le profil de dauphin idéal. Réformiste, il a d’ores et déjà affiché son intention d’inscrire son mandat dans la continuité de ceux de son prédécesseur. La motion portant sur un « nouveau contrat social » qu’il défendra à Marseille a plus qu’un air de famille avec la ligne définie quatre ans plus tôt à Vichy. Valeur travail, dignité humaine, protection sociale universelle attachée à la personne plutôt qu’au statut, dialogue social apaisé… On reste en terrain connu. La vieille maison sera bien gardée et l’héritage préservé. « Chabanier ne sera pas notre Pavageau, le fils ingrat qui, une fois élu, tire dans le dos de celui qui l’a fait roi pour en tirer un affichage médiatique et politique », confie un cadre confédéral. À ses côtés, Cyril Chabanier devrait pouvoir compter sur l’appui d’Éric Heitz, métallo lorrain bombardé secrétaire général confédéral. Nouveauté : le futur patron du syndicat chrétien promet de diriger entouré d’un exécutif national « rajeuni et féminisé ». Sur un plan plus politique, le nouvel exécutif national devrait être exempt « de personnages trop marqués à droite ou… trop cathos », comme le glisse un ponte syndical.

« Du surplace en matière d’audience. »

Le rajeunissement des instances permettra-t-il de ralentir l’érosion qui frappe le syndicat depuis longtemps ? Certes, la CFTC a prouvé sa capacité de résilience. Mais le futur numéro un – Cyril Chabanier ou un autre – héritera d’une organisation faible, aux marges de manœuvre limitées. Côté représentativité, le syndicat a sauvé les meubles au plan interprofessionnel lors des mesures d’audience de 2013 et 2017, mais de peu. Dans les branches, la CFTC reste, à de rares exceptions, confinée à la dernière place. Elle a même perdu sa représentativité dans la métallurgie. Dans les négociations interprofessionnelles, sa recherche systématique du compromis, qui aboutit à une signature quasi automatique en bout de course, la prive d’un véritable écho puisque son tampon est acquis d’avance. « C’est une organisation finalement très minoritaire dans le paysage syndical français et sur une ligne très pragmatique, assez proche de celle de la CFDT ou de l’Unsa. La CFTC, avec ses poignées de militants raisonnables et responsables s’apparente surtout à une sorte de mémoire ou de témoin historique du syndicalisme français », commente le politologue Dominique Andolfatto. Même tonalité chez Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail : « Globalement, la CFTC fait du surplace en matière d’audience. Et dans un monde syndical qui s’affaisse, elle souffre proportionnellement plus que les autres centrales, étant donné qu’elle est la plus faible. » Peu présente dans le secteur public, la CFTC repose sur quelques bastions, comme le commerce, la métallurgie (en dépit de sa perte de représentativité) et les grosses unions territoriales historiques que sont l’ancien Nord-Pas-de-Calais, les Pays de la Loire, Paris et surtout l’Alsace-Moselle, où la tradition germanique du syndicalisme social-chrétien demeure vivace. Symbole de cette surreprésentation de l’Est : Philippe Louis et Bernard Sagez, président et trésorier sortants viennent respectivement de Strasbourg et de Molsheim.

Dans les entreprises, la réforme des instances représentatives du personnel a clairsemé les effectifs déjà peu garnis d’une organisation qui vivote depuis plusieurs années avec 140 000 adhérents et qui peine à renouveler les générations. Un problème dont Philippe Louis est le premier conscient. « Avec la mise en place du CSE, nous avons de moins en moins de monde dans les unions départementales où, désormais, on rencontre surtout des gens venus du secteur public », reconnaît-il. Pour tenter de pallier ce tarissement des ressources humaines disponibles, le syndicat lancera à Marseille son propre réseau social, qui prendra la forme d’une plateforme Internet disponible grâce à une application Smartphone. Pas encore baptisé (ses promoteurs hésitent entre « e-CFTC » et « Syndicalisme 4.0 »), l’outil entend permettre aux militants de faire communauté et de tisser des liens. D’abord réservée aux seuls adhérents, elle devrait être ouverte au grand public pour attirer les sympathisants.

« Au bord du gouffre. »

Le numérique permettra-t-il à la CFTC de recruter du sang neuf ? C’est l’un des paris que se lance l’organisation. Problème : pour l’heure, aucune dynamique d’évolution n’est observée sur le terrain, à quelques exceptions près, et la CFTC a du mal à trouver sa place dans le paysage social autrement que comme supplétive de la CFDT. À l’inverse de la CFE-CGC qui a adopté la stratégie, manifestement payante, d’un durcissement de ton à l’encontre de l’exécutif, la CFTC reste ancrée dans la culture du dialogue et de la recherche de compromis. Un positionnement qui, durant les années de vaches maigres traversées par le syndicat chrétien, a pu convaincre le patronat de lui donner de discrets coups de pouce. En faisant passer la consigne aux chefs d’entreprise de faire la courte échelle aux candidats CFTCistes lors des élections professionnelles, par exemple. Mais depuis l’entrée en vigueur de la modification des règles de validité des accords reposant sur le poids électoral des organisations syndicales et fixant un seuil de validité à 50 %, ce gentlemen agreement n’a plus lieu d’être. Ou beaucoup moins. « La CFTC qui, sauf exception, ne peut compter que sur des soutiens assez limités, a perdu son intérêt stratégique aux yeux de nombreux employeurs », résume Dominique Andolfatto. « Demain ou après-demain, elle finira par disparaître du scope de la représentativité, c’est inévitable », assène de son côté Laurent Escure, secrétaire général de l’Unsa. Sans pour autant s’en réjouir, même si son organisation aurait toutes les chances de lui succéder à la table des négociations. « Cette disparition affaiblirait le camp réformiste », redoute-t-il.

Mais un Gouvernement, qui semble faire peu de cas du dialogue social, a-t-il intérêt à conserver un camp réformiste fort ? « Chirac, Sarkozy et Hollande ont toujours ménagé la CFTC et veillé à ce qu’elle reste représentative, quitte à tripatouiller un peu les chiffres ou à l’aider à conserver certains bastions, parce que sa signature était nécessaire pour donner du poids à un accord. La CFTC vivait, mais c’était une vie sous assistance respiratoire. La Macronie, qui semble avoir tiré un trait sur le dialogue social, se fiche bien de la survie de cette petite organisation », commente un ancien visiteur du soir de Nicolas Sarkozy. Intuition partagée par Joseph Crespo : « La CFTC est au bord du gouffre. Comme les partis politiques, les syndicats sont mortels, même s’il s’agit d’une mort lente. Au rythme actuel, la CFTC peut encore tenir vingt ou trente ans, mais il suffit aussi d’une nouvelle réforme de la représentativité qui place la barre à 12 ou 15 % pour que l’on disparaisse immédiatement », prévient le métallo. Comme pour lui donner raison, la centrale a loupé quelques récents rendez-vous sociaux où elle aurait pu redorer son blason. Pleinement légitime sur les violations du droit au repos dominical, elle a laissé FO reprendre la main, engager des procédures judiciaires contre les enseignes indélicates et en retirer tous les bénéfices. Y compris financiers. Les « gilets jaunes » ? « Son positionnement relatif à la dignité du travail aurait pu trouver un écho sur les ronds-points, mais elle n’a pas pu ou pas voulu s’impliquer », regrette Bernard Vivier. Le compte personnel d’activité (CPA), qui aurait pu être l’ébauche de ce « portefeuille universel des droits sociaux » pour lequel lutte le syndicat chrétien depuis deux décennies ? Réduit au seul CPF (compte personnel de formation) sans que cela ne suscite de réaction confédérale, alors même que le syndicat s’était particulièrement battu pour imposer dans ce dispositif un « compte d’engagement citoyen » récompensant le militantisme associatif ou d’utilité publique, par l’acquisition de points de formation. Passé à la trappe sans que la CFTC ne tape a minima du poing sur la table. « Sur le CPA, on a commencé très haut et fini très bas », confesse aujourd’hui Philippe Louis.

Épreuve du feu.

Les rares succès de la CFTC ont été à ce point discrets que toute capitalisation est rendue impossible : « Dans la concertation sur les retraites, c’est nous qui avons sauvé le principe de la réversion des pensions du conjoint en cas de décès ou la majoration au premier enfant alors que la commission Delevoye voulait tirer un trait dessus », explique Cyril Chabanier. Mais qui est au courant ? « Le problème de Philippe Louis, c’est qu’il s’agit d’un homme de dossiers, pas de médias. Un excellent technicien, mais un leader sans charisme. Il n’a pas su être la figure marquante de la CFTC. Aujourd’hui, on ne peut plus se payer le luxe d’une direction qui passe 90 % de son temps dans les cabinets ministériels et 10 % sur le terrain. Il faut inverser la tendance, reprendre le chemin du terrain », envoie un happy few. Cyril Chabanier est-il parti pour redresser la barre ? La négociation sur les retraites qui se profile risque d’être son épreuve du feu. D’autant plus difficile à traverser que la CFTC défend une ligne en totale compatibilité avec celle de la CFDT. Sauf sur un point : favorable à un socle de droits universel du travailleur attaché à la personne (y compris pour les travailleurs des plateformes), la CFTC est prête à sacrifier les régimes spéciaux au profit de l’universalisme. Là-dessus, les équipes de Laurent Berger sont plus réservées. L’occasion, peut-être, de faire enfin entendre sa propre musique ?

« Boussole chrétienne »

Contrairement à une idée reçue, la CFTC n’a jamais été une organisation confessionnelle. N’empêche que ses statuts professent toujours le respect de la morale sociale-chrétienne définie par l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII en 1891. Que reste-t-il de cet héritage ? « Le C de “chrétien”, c’est notre histoire. Mais en interne, ça pèse 3 % ! » calcule un cadre confédéral. Depuis les grandes manifestations en faveur de l’école libre de 1984, le syndicat ne s’est guère mobilisé pour défendre d’autres causes que celles liées au monde du travail. « La CFTC n’a de raison d’exister que si elle inscrit son action dans la ligne de la doctrine sociale-chrétienne. Le social ne peut pas être décorrélé d’une dimension morale, familiale, ou même spirituelle », rappelle Joseph Thouvenel, gardien du temple de l’orthodoxie. « Demain, le monde du travail sera confronté à des problématiques morales : développement de l’IA, des biotechnologies ou des bidouillages génétiques. Si les syndicats n’ont pas une vision claire sur les implications que ça représente, ils passeront à côté », poursuit-il. Pour Cyril Chabanier, la doctrine sociale-chrétienne reste une « boussole ». « La centrale est laïque, tout comme la majorité de ses adhérents. Mais la dimension morale que nous portons attire à nous des travailleurs d’autres confessions. Nous sommes sans doute le syndicat qui compte le plus de juifs ou de musulmans parmi ses effectifs. »

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre