logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Actu

“L’économie sociale et solidaire n’est pas qu’un amortisseur de crises”

Actu | Entretien | publié le : 01.11.2019 | Benjamin d’Alguerre

Image

“L’économie sociale et solidaire n’est pas qu’un amortisseur de crises”

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Président de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes), Hugues Vidor adresse un plaidoyer en faveur de la valorisation de l’ESS, un secteur qui pèse 10 % du PIB. Mais le Gouvernement semble y rester sourd.

Les mesures contenues dans le projet de loi de finances (PLF 2020) vont-elles dans le sens des besoins de l’économie sociale et solidaire (ESS) ?

Hugues Vidor : Elles sont très insuffisantes. Les entreprises de l’ESS sont confrontées à de grandes difficultés, notamment en matière d’emploi dans des secteurs sous tension tels que les Ehpad ou les services à domicile associatifs ou mutualistes. Cette dernière branche est particulièrement concernée par la faiblesse des rémunérations puisque 40 % des salariés y touchent moins que le Smic et doivent parfois accumuler jusqu’à huit ans d’ancienneté pour le dépasser. Le faible niveau des rémunérations nuit à l’attractivité de ces emplois alors qu’ils sont socialement nécessaires et qu’ils recrutent des personnes peu ou non qualifiées. Nous avons calculé que pour mettre les rémunérations à niveau, il faudrait augmenter la valeur du point de 10 %, ce qui représenterait un coût total de 600 millions d’euros. Mais le Gouvernement ne nous accorde pas les moyens pour cela. La seule mesure en faveur du développement de l’aide à domicile que contient le PLF 2020, c’est l’enveloppe de 50 millions d’euros que l’État met à la disposition des Départements pour les aider à financer leurs futurs appels à projets dans le cadre des pactes de cohésion sociale et territoriale. Mais dans le même temps, les conseils départementaux restent soumis à l’injonction de ne pas augmenter leurs dépenses de plus de 1,2 % par an, sous peine de se voir refuser le financement du trop-dépensé par l’État ! Conséquence : plusieurs Départements nous ont fait savoir qu’ils ne souhaitaient pas s’engager sur cet appel à projets. Et que dire d’autres secteurs en souffrance qui attendent un soutien de l’État… qui ne vient pas ?

Quelles sont les conséquences de la réduction des emplois aidés engagée en 2017 pour le secteur de l’ESS qui en était un fort consommateur ?

H. V. : Inquiétantes. Nous sommes passés de 400 000 emplois aidés à 100 000 en deux ans ! Du jour au lendemain, des centaines d’associations ont été contraintes de mettre fin à l’activité de leurs salariés et, par conséquent, de ne plus assurer certaines de leurs missions, voire tout simplement de mettre la clé sous la porte. Cette situation génère un double danger : pour les anciens titulaires de ces emplois, dont certains sont retournés dans la précarité ; mais aussi pour le maintien du lien social dans certains territoires où étaient implantées ces structures. Croit-on vraiment que les entreprises du secteur marchand vont venir les y remplacer ? J’ai du mal à l’imaginer. Bien sûr, l’emploi aidé n’est pas une fin en soi, et l’Udes l’a toujours dit. Mais ces contrats constituaient souvent un premier tremplin dans l’emploi pour des personnes pas ou faiblement qualifiées. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons toujours milité afin que ces contrats soient associés à des actions de formation, comme ce fut le cas pour les emplois d’avenir, afin de permettre à leurs titulaires de se doter d’un bagage supplémentaire pour favoriser leur entrée dans l’emploi durable. Nous restons par ailleurs convaincus que l’ESS constitue une réponse pour tous les territoires abandonnés ou en déshérence, où l’emploi privé ne se développe pas. Mais pour permettre à nos entreprises de s’y implanter durablement et de contribuer à retisser du lien social, il faut des mesures fortes. Nous demandons par exemple que les appels d’offres publics réservent 15 % de leurs parts aux structures de l’ESS. Aujourd’hui, nous n’y sommes présents qu’à hauteur de 3 ou 4 %. Enfin, nous nous opposons aux mesures visant à réduire les conditions d’accès du mécénat d’entreprise au bénéfice d’associations comme la Croix-Rouge française.

Les parcours emploi compétences (PEC) déployés pour remplacer les emplois aidés correspondent-ils à vos attentes ?

H. V. : Non. Aujourd’hui, ils restent sous-utilisés. Depuis 2018, on ne compte que 128 256 embauches au titre des PEC (41 358 en 2018, 41 645 en 2019) au lieu des 200 000 contrats initialement programmés par le ministère du Travail. À comparer, encore une fois, aux 400 000 emplois aidés détruits ou en passe de l’être. Le Gouvernement n’a pas compris que cette situation risquait d’entraîner une rupture de confiance entre la puissance publique et le monde associatif. C’est pourquoi nous lui proposons une solution alternative en lien avec le mouvement associatif : la création d’emplois d’utilité citoyenne (EUC) pour soutenir le développement des activités à travers l’emploi dans l’ESS. Concrètement, il s’agirait d’instaurer une aide dégressive aux employeurs associatifs durant trois ans. Elle serait égale à 80 % du Smic la première année, à 60 % la deuxième, et à 40 % la troisième. Charge à l’employeur de compenser le reliquat grâce à des financements hybrides pouvant même impliquer le secteur marchand. Nous avons calculé que les 75 millions d’euros budgétés au titre des PEC, mais non encore dépensés à ce jour, pourraient financer 5 000 emplois de ce type. Nous mettons aussi sur la table la proposition d’un crédit d’impôt à l’innovation sociale (CIIS), une extension du crédit d’impôt recherche fléchée sur les structures à but non lucratif ou à suractivité limitée comme les Scop ou les Scic. En contrepartie de ce crédit, l’entreprise bénéficiaire devra mesurer l’impact social de ses activités. L’Udes prépare un outil dédié à ce calcul qu’elle mettra à disposition des PME et TPE de nos branches dès janvier 2020.

D’une manière générale, n’avez-vous pas le sentiment que l’exécutif place « en même temps » le curseur de l’entreprise sociale sur les entreprises d’insertion, avec le plan pauvreté et le milliard accordé aux ACI, et sur celles du secteur marchand, avec la loi Pacte, tout en passant à côté de votre secteur ?

H. V. : Il existe clairement un manque de reconnaissance de la valeur de nos entreprises de la part des pouvoirs publics. Pourtant, elles représentent 10 % du PIB ! Pour autant, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : l’effort effectué en faveur de l’insertion est une bonne initiative, que nous soutenons. Il faut renforcer les structures d’insertion. Mais l’exécutif doit garder en mémoire que l’insertion n’est pas l’unique réponse aux problématiques des publics en grande difficulté sociale. Hélas, il est manifeste que le Gouvernement connaît mal notre secteur. L’ESS n’est pas qu’un amortisseur de crises sociales : c’est aussi un vivier d’emplois et un créateur de richesses et de lien social. Les acteurs du secteur s’étaient d’ailleurs énormément mobilisés dans les régions à l’occasion du grand débat consécutif à l’épisode des « gilets jaunes » afin d’y porter nos valeurs et de rappeler notre utilité. Il fut alors question de la création d’un groupe de travail dédié à ces questions. Nous l’attendons toujours…

Quatre ministres ou secrétaires d’État ont été en charge de l’ESS lors du précédent quinquennat. Aujourd’hui, le dossier relève d’un haut-commissaire. Y voyez-vous la confirmation de la dégradation de l’image de votre secteur pour l’exécutif ?

H. V. : Il est important que l’ESS reste incarnée par une figure publique, même si nous aurions préféré un ministère dédié, rattaché à Bercy, afin d’appuyer le fait que nous sommes un secteur de l’Économie comme les autres, plutôt qu’à la Transition environnementale comme c’est le cas aujourd’hui. Christophe Itier (l’actuel haut-commissaire, NDLR) agit beaucoup pour porter les valeurs de l’ESS auprès des acteurs économiques « classiques » – et sur ce plan nous constatons quelques avancées – mais il reste encore un gap très important entre ce que nous demandons en matière de valorisation de notre secteur et les réponses de l’exécutif. Ne pas considérer l’ESS comme un domaine interministériel n’a aucun sens ! À ce titre, le pacte de l’économie sociale et solidaire de novembre 2018 prévoyait la mise en place d’une réunion annuelle entre les acteurs du secteur et le Premier ministre. Rien n’est encore venu.

Regrettez-vous de ne pas avoir participé au pacte du pouvoir de vivre lancé par Laurent Berger et Nicolas Hulot, réunissant les syndicats réformistes, des ONG et de grandes structures associatives ?

H. V. : Ce pacte du pouvoir de vivre est important. On y retrouve beaucoup de nos propositions. Rien n’est figé dans le marbre. Une collaboration entre l’Udes et les signataires de ce pacte serait intéressante.

Hugues Vidor

Lyonnais d’origine et parisien d’adoption, Hugues Vidor, 57 ans, est un pur produit du monde de l’ESS. Titulaire d’un DESS de management avancé des RH, il a commencé sa carrière en 1988 comme délégué général du Mouvement familial puis du Snaecso, le syndicat des acteurs du lien social et familial, jusqu’en 2006. DEPUIS CETTE DATE, il dirige Adessadomicile, la fédération nationale d’aide, de soin et de services à la personne (400 entreprises, 40 000 salariés). Il a été vice-président de l’Udes (alors Usgeres), en charge du dialogue social et de la négociation de 2009 à 2015, et depuis il préside l’Union qui représente les employeurs associatifs, mutualistes et coopératifs.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre