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Idées

Un réquisitoire contre l’ubérisation de la société

Idées | Culture | publié le : 01.10.2019 | Adeline Farge

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Un réquisitoire contre l’ubérisation de la société

Crédit photo Adeline Farge

Après « Moi, Daniel Blake », Ken Loach propose une nouvelle fable sociale qui dépeint avec réalisme et sensibilité l’inquiétante mutation du monde du travail et ses conséquences sur les travailleurs les plus défavorisés de la société britannique.

Ricky enchaîne les boulots mal payés. Perclus de dettes, ce bourreau de travail croit avoir décroché un « bon » job en devant chauffeur-livreur à son compte. Une opportunité offerte par la révolution du numérique. Mais petit à petit, il va découvrir qu’il n’est qu’une variable d’ajustement au sein d’une plateforme de livraison qui presse jusqu’à l’épuisement ses employés. Armé d’un boîtier ultra-performant qui trace ses faits et gestes en décomptant les secondes passées hors de la camionnette qu’il a achetée à prix d’or, Ricky est soumis à une course folle à la rentabilité. En cas d’absence, il doit trouver son propre remplaçant, il travaille six jours sur sept sans salaire fixe et doit assumer tous les frais imprévus (accidents, vols de colis, casse…). Quant à sa femme, une aide à domicile dévouée, ses conditions de travail ne sont guère plus enviables. Abby travaille tous les jours de 7 h 30 à 21 h, possède « zéro contrat », et elle est payée à la visite chez ceux que l’on n’appelle plus des « patients », mais des « clients ».

Après « Moi, Daniel Blake », qui s’attaquait à la brutalité du chômage, Ken Loach livre une nouvelle fois, avec « Sorry We Missed You », une critique implacable des dérives du libéralisme, qui broient les individus et anéantissent toute valeur humaine, en pointant sa focale sur l’ubérisation de l’emploi. À 83 ans, le cinéaste britannique, en fin observateur de la réalité sociale, dénonce à travers une histoire bouleversante cet esclavagisme des temps modernes, et ses ravages sur la vie privée des plus précaires. Dans ce drame incisif et puissant, le couple d’employés accaparés par leurs obligations professionnelles doit aussi faire face à l’éclatement du cocon familial, avec un fils qui sèche le lycée et qui aligne les bêtises, et une fille, témoin des disputes, qui n’en dort plus les nuits. Ces pressions familiales se répercutent sur l’assiduité au travail de Ricky, le faisant passer du statut d’employé exemplaire à celui de perturbateur. Une spirale infernale dont la famille ne sortira pas indemne.

Sorry We Missed You.

Film de Ken Loach (1 h 40), en salle le 23 octobre.

Auteur

  • Adeline Farge