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Les contours incertains du salaire minimum conventionnel

Idées | Juridique | publié le : 01.10.2019 | Pascal Lokiec

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Les contours incertains du salaire minimum conventionnel

Crédit photo Pascal Lokiec

Que le contexte soit celui de la restructuration des branches (la stagnation des minima constitue l’un des révélateurs de l’inertie de certaines branches) ou de la nouvelle articulation entre branche et entreprise (la notion de « salaire minimum hiérarchique » est en ce moment au cœur des négociations de branche), les contours du salaire minimum conventionnel constituent une question clé du droit du travail d’aujourd’hui.

I. Difficultés juridiques

Sous peine d’une condamnation en rappel de salaires et à des dommages et intérêts, voire à une amende lorsque celui-ci est issu d’une convention de branche étendue, l’employeur est tenu de respecter, chaque mois, le minimum conventionnel. C’est en effet mois par mois que s’apprécie son respect, ce qui interdit d’inclure un treizième mois et de faire ensuite une moyenne mensuelle. Le treizième mois n’est ainsi inclus que pour le mois de son versement. Pour déterminer si le minimum conventionnel a été respecté, il convient de se reporter à la classification conventionnelle en prenant en compte – ce qui constitue une source fréquente de contentieux – les fonctions réelles du salarié, de préférence à la qualification inscrite dans le contrat de travail ou sur le bulletin de paie. Ce, à moins que l’employeur ait manifesté une volonté claire et non équivoque (une erreur ne vaut pas) de surclasser son salarié, c’est-à-dire de lui accorder, par une clause expresse du contrat de travail, une qualification supérieure à celle correspondant à son emploi. L’application du salaire minimum peut être source d’autres difficultés juridiques. L’une de ces difficultés concerne la prise en compte de la durée du travail : l’entreprise doit effectuer une proratisation si la durée applicable dans l’entreprise ne correspond pas à celle que les partenaires sociaux de branche ont associée au minimum conventionnel (minimum conventionnel fixé sur la base de 38 heures, alors que l’entreprise est aux 35 heures par exemple). Le salaire minimum n’étant qu’un minimum, son augmentation n’implique pas que les salariés verront leur rémunération augmenter en due proportion, la seule exigence étant que les salaires soient au-dessus du minimum conventionnel. Ce minimum constituant généralement la base de calcul de la prime d’ancienneté, cette prime est en revanche souvent augmentée en même temps que le minimum conventionnel.

II. Identifier l’assiette

Comme pour le Smic, l’assiette du minimum conventionnel est source d’un important contentieux, entre d’un côté un salarié qui aura tendance à en exclure le maximum d’éléments, de l’autre son employeur qui développera l’argumentation inverse. Il n’y a pas débat lorsque l’accord collectif prend le soin de définir l’assiette du minimum conventionnel, quoiqu’il arrive que les clauses de l’accord soient ambiguës. Faut-il inclure une prime individuelle de rendement lorsque la convention collective prévoit la prise en compte des primes inhérentes au travail ? Faut-il inclure la prime de treizième mois si la convention collective prévoit que l’assiette inclut uniquement les avantages en nature et les rémunérations accessoires mensuelles en espèces ? Il vient d’être jugé que, lorsque les dispositions de la convention collective, relatives à la détermination du minimum conventionnel annuel, ne font état que des « congés payés », cela ne signifie pas qu’elle exclut les indemnités de congés payés versées au salarié lorsqu’il n’a pas pu prendre ses congés en raison de sa charge de travail (Cass. soc., 19 juin 2019, n° 18-12.642). Autant dire que l’interprétation des clauses relatives aux minima peut s’avérer délicate ! À défaut, pour la convention collective, de définir l’assiette, il convient, comme pour le Smic, de prendre en compte toutes les sommes versées en contrepartie du travail, par exemple une prime de rendement ou une prime liée à la production, ou encore les avantages en nature (avec les difficultés liées à l’évaluation desdits avantages). Exemple typique : le salarié soutient que son employeur ne lui a pas versé le salaire minimum garanti par la convention collective, puisque celui-ci aurait intégré, à tort, la part patronale des titres-restaurants, et les primes dites « exceptionnelles » versées en juin et en décembre au salarié. Si les sommes sont exclues de l’assiette, le salaire perçu est en dessous du minimum conventionnel ! Pour la Cour de cassation, les primes exceptionnelles, élément permanent et obligatoire de la rémunération, devaient être intégrées, mais pas les sommes consacrées par l’entreprise pour l’acquisition par les salariés de titres-restaurants, lesquelles n’étaient pas versées en contrepartie du travail (Cass. soc., 3 juillet 2019, n° 17-18.210). Exclusion qui vaut également pour les primes d’ancienneté ou encore pour les primes d’assiduité. Il est en revanche bien évident que, même si l’accord collectif est silencieux, le contrat de travail, un usage ou un engagement unilatéral peuvent exclure de l’assiette un élément de rémunération qui, en principe, devrait être inclus, dès lors que cela est favorable au salarié.

III. L’insaisissable « salaire minimum hiérarchique »

Vu la complexité du système des sources en droit du travail, il ne faut pas s’étonner de retrouver, avec le salaire minimum, les difficultés traditionnelles d’articulation entre les normes. Sur ce sujet, le principe de faveur n’a pas subi d’accrocs. C’est en effet ce principe qui joue dans les rapports entre le Smic (légal) et le minimum conventionnel (d’où le fait qu’un certain nombre de minima conventionnels ne reçoivent purement et simplement pas application, car inférieurs au Smic, ce qui est l’un des moteurs de la restructuration des branches). Dans les rapports entre accord de branche et accord d’entreprise, s’applique le principe voisin – mais nouveau – des « garanties au moins équivalentes ». Les salaires minima hiérarchiques relèvent en effet de ce qu’il est désormais convenu d’appeler le « bloc 1 », c’est-à-dire que celui fixé par la branche prime celui, inférieur, fixé le cas échéant par l’accord d’entreprise, quelle que soit la volonté des partenaires sociaux. Même si une telle règle d’articulation peut paraître évidente (il était peu concevable, en matière de dumping social, de soumettre les minima conventionnels au primat de l’accord d’entreprise), sa mise en œuvre ne l’est pas tant que cela, car le reste de la rémunération, y compris les primes (à l’exception des primes de dangerosité et insalubrité), les majorations et indemnités conventionnelles, relève désormais de la primauté de l’accord d’entreprise (« bloc 3 »). Ce qui veut dire que les primes d’ancienneté, de Noël, de vacances, de panier, de treizième mois, etc. peuvent être abaissées ou supprimées par accord d’entreprise.

L’impossibilité de maîtriser les primes au niveau de la branche a suscité l’inquiétude dès la promulgation des ordonnances de 2017, pas uniquement du côté des syndicats ! D’où, à l’autonome 2017, la conclusion du fameux accord dans les transports routiers (les dockers l’ont fait aussi) intégrant dans le salaire minimum hiérarchique la prime de treizième mois, ainsi que des éléments de rémunération visant à compenser le travail de nuit, les jours fériés et les dimanches. Ce qui, techniquement, a consisté à déplacer ces éléments du bloc 3 (primauté de l’accord d’entreprise) vers le bloc 1 (primauté de l’accord de branche).

Est-ce possible ? Le ministère émet aujourd’hui des réserves quant à la liberté des négociateurs à effectuer ce type d’aménagements, en émettant des réserves d’extension ou des exclusions pures et simples des dispositions contraires à la nouvelle articulation entre accords de branche et d’entreprise, « compte tenu du nouvel ordonnancement des niveaux de négociation ». Par exemple, la clause de verrouillage d’un avenant à la convention collective nationale des entreprises de services à la personne relatif à la prime d’ancienneté, qui prévoit qu’un « accord d’entreprise ne peut déroger de façon moins favorable aux dispositions négociées », a été écartée par la ministre dans un arrêté du 29 mai 2019.

La question juridique tient dans la notion même de « salaire minimal hiérarchique », telle qu’inscrite dans le Code du travail par les ordonnances de 2017. S’agit-il d’une notion ouverte, voire indéterminée, que les partenaires sociaux peuvent configurer à leur guise ? Telle n’est manifestement pas la position du ministère, ce qui empêchera les branches de « verrouiller » un certain nombre d’éléments de rémunération. Les branches pourront-elles passer par d’autres voies ? Difficile de jouer sur les notions d’insalubrité et de dangerosité qui figurent dans le bloc 2 (ce qui signifie que la convention de branche peut contenir une clause de verrouillage empêchant les accords d’entreprise de prévoir des niveaux de primes inférieurs), ces notions étant relativement circonscrites ! On ne va pas présenter une prime d’ancienneté ou de Noël comme une prime de dangerosité ! Reste donc pour les syndicats à obtenir une revalorisation du salaire de base au niveau de la branche, quitte à renoncer à des primes de branche !

La question posée n’est pas que technique ; elle est éminemment politique avec la question de l’ingérence de l’État, non pas tant dans le contenu des négociations que dans les règles du jeu de la négociation ! On savait déjà que les taux d’audience pour la représentativité (8 ou 10 %) et pour l’appréciation de la règle majoritaire en cas de conclusion d’un accord collectif (30-50 %) ne peuvent faire l’objet d’aucune dérogation (même en faveur des salariés). C’est le même chemin qui semble devoir être emprunté pour les règles d’articulation des niveaux. Autre enjeu majeur, celui du dumping social si la branche perd toute maîtrise des règles du jeu en matière de rémunération. La loi travail d’août 2016 a pourtant inscrit dans le Code du travail la mission historique de la branche qui est de « réguler la concurrence entre les entreprises relevant de son champ d’application » (art. L2232-5-1 C. trav.). Cela passe certes par une maîtrise de la branche sur les salaires minima, mais sans nul doute également sur d’autres éléments de rémunération (l’ensemble des primes liées à l’exécution du travail, E. Heyer, P. Lokiec, D. Méda, « Une autre voie est possible », Flammarion, 2018).

Pascal Lokiec

Professeur à l’École de droit de la Sorbonne. Président de l’Association française de droit du travail et de la Sécurité sociale. Auteur de « Droit du travail » (PUF, septembre 2019).

En librairie
Un must sur la condition salariale

Il n’est pas trop tard pour recommander la lecture de l’ouvrage collectif dirigé par Emmanuelle Mazuyer, directrice de recherche au CNRS, sur la place des salariés dans l’entreprise. De la participation financière et de l’actionnariat salarié aux nouvelles instances représentatives du personnel, sans oublier la question du statut du salariat, à l’heure où les vrais et faux indépendants occupent tous les débats, ce livre auquel ont collaboré une douzaine d’experts mélange le droit et l’économie pour traiter d’un sujet capital : l’implication des collaborateurs salariés dans la vie de l’entreprise.

La place des salariés dans l’entreprise. Sous la direction d’Emmanuelle Mazuyer. Éditions Mare et Martin, 252 pages, 22 euros.

Auteur

  • Pascal Lokiec