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Idées

« Gilets jaunes » : virage local du mouvement social ?

Idées | Livres | publié le : 01.10.2019 | Lydie Colders

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« Gilets jaunes » : virage local du mouvement social ?

Crédit photo Lydie Colders

Dans son livre « In Girum », l’enseignant en sciences politiques Laurent Jeanpierre analyse l’évolution du mouvement social à partir de l’étude des « gilets jaunes ». Pour lui, ces révoltes locales de citoyens pourraient se développer au-delà de la question du travail. Une lecture passionnante.

Comment expliquer qu’en quelques mois, les « gilets jaunes », sans expérience militante, aient obtenu plus de concessions du Gouvernement que les syndicats ? Cette révolte change-t-elle la donne du mouvement social ? Dans ce livre très complet, Laurent Jeanpierre, enseignant en sciences politiques, tente de tirer les leçons de la contestation de ces dizaines de milliers de personnes qui ont surgi sur les ronds-points de France en novembre et en décembre 2018, pour protester contre la taxe carburant. Une analyse poussée, interrogeant « les nouveaux vecteurs de cette lutte », marquée par le rejet des politiques.

Le discours des syndicats dépassé ?

Retraçant les grandes étapes de cette mobilisation inclassable, l’auteur la lie à l’effondrement de la gauche et du mouvement social classique : « La critique radicale et généralisée de toutes les formes de représentation et de délégation est l’un des traits principaux du mouvement des “gilets jaunes”. Elle s’adresse aux partis et aux syndicats, aux politiciens et aux militants. » Les cortèges syndicaux auraient-ils fait leur temps ? Laurent Jeanpierre ne va pas jusque-là. Mais selon lui, la victoire des « gilets jaunes », malgré une répression policière qu’il juge inédite en France, est venue rompre avec « la déception » et avec les « rendements décroissants de cette routinisation » des manifestations. Il rappelle que malgré d’importantes mobilisations, les syndicats n’ont plus obtenu de succès depuis le retrait du CPE en 2006… L’enseignant y voit un virage dans les revendications « fordistes du capitalisme » des syndicats. Autrement dit, des conflits basés sur la répercussion des gains de productivité en hausse de salaires et du pouvoir d’achat : « La fin de la centralité ouvrière dans la conflictualité est un fait ancien. Pourtant, une grande partie des organisations du champ bureaucratique, syndical ou politique, lui est encore attachée. » Or, l’auteur fait remarquer, relatant les expériences d’occupation sur les ronds-points, que les « gilets jaunes » « ne remettent pas en cause l’organisation économique », ni celle du travail. Leur exaspération face à la taxe essence illustrerait d’autres difficultés : celle de joindre les deux bouts en travaillant, mais aussi de payer les factures de cantine ou de s’occuper de parents âgés.

Dans une société qui érige la mobilité en promesse sociale, l’enseignant estime que les « gilets jaunes » de tous âges, « entravés » dans l’avenir, « sont venus montrer que la localisation géographique, le rapport aux transports sont des questions devenues aussi importantes que celle du travail ». Ancrées dans leur territoire, ces protestations « font en réalité écho à d’autres mobilisations comme la multiplication des zones à défendre, voire des territoires libérés ». Une certaine idéologie « communaliste qui n’a rien d’utopique », soutient l’auteur. Et pourrait se décliner en local. Les mouvements sociaux à venir auraient à en tenir compte…

In Girum.

Laurent Jeanpierre, La Découverte, 192 pages, 12 euros.

Auteur

  • Lydie Colders