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Idées

Diagnostic partagé : comment intégrer des parties prenantes très différentes ?

Idées | Recherche | publié le : 01.10.2019 | Valery Michaux, Christian Defélix

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Diagnostic partagé : comment intégrer des parties prenantes très différentes ?

Crédit photo Valery Michaux, Christian Defélix

Pour traiter des sujets aussi cruciaux que la QVT, les RPS, le changement ou la gestion des compétences, les RH devraient théoriquement en passer, au préalable, par un diagnostic partagé avec les parties prenantes dans l’entreprise.

Le diagnostic partagé, un outil participatif très répandu

Qualité de vie au travail, risques psychosociaux, amélioration continue, lean management, GPEC, conduite du changement, innovation participative, transformation digitale : toutes ces démarches sont – en principe ! – fondées sur une phase initiale de « diagnostic partagé » conduite en mode participatif. Ces différents contextes partagent plusieurs points communs. Dans tous les cas, l’objectif est de réussir à partager un diagnostic des problèmes pour pouvoir être en mesure de coconstruire des solutions ad-hoc transversales et innovantes. Ce sont souvent des situations où plusieurs services ou départements sont interdépendants. On parlera donc de diagnostic partagé entre « parties prenantes » internes. Dans tous les cas, l’émergence d’une vision réellement partagée est rendue complexe, car chaque partie prenante peut avoir une vision très différente du diagnostic à faire, d’autant plus si différentes strates hiérarchiques sont réunies.

Les trois fondements théoriques des démarches participatives de diagnostic partagé

L’efficacité des démarches de diagnostic partagé et participatif repose sur les principes issus de trois courants fondamentaux. Le premier est celui de l’intelligence collective : on obtient une vision plus riche, précise et objective des problèmes et des solutions possibles en croisant les points de vue des différentes parties prenantes. Le deuxième est celui du développement des compétences collectives : il est nécessaire de créer une vision partagée pour créer une compréhension plus globale et plus transversale des problèmes, de leurs causes et de leurs conséquences avant de pouvoir coconstruire des solutions partagées réellement pertinentes. Le troisième est celui du développement organisationnel. Ce courant historique soulève un paradoxe souvent méconnu autour du rôle du tiers. Le tiers est essentiel pour favoriser la prise de recul des individus sur ce qu’il est pertinent de changer. C’est particulièrement vrai dans les situations de diagnostic partagé où les parties prenantes poursuivent des objectifs parfois contradictoires et où le tiers rend possible la prise de conscience des antagonismes organisationnels. En même temps, il est contreproductif d’apporter des solutions toutes faites de l’extérieur par un tiers. Pour être vraiment efficace, tout changement, amélioration ou innovation doit être initié par les individus et les équipes eux-mêmes. C’est l’héritage d’un demi-siècle de recherche en socio-dynamique des collectifs. Pour adopter réellement de nouvelles pratiques, les individus comme les équipes doivent rester acteurs de leur propre évolution. C’est une condition d’efficacité et de rapidité des transformations.

Le diagnostic partagé constitue donc une méthodologie spécifique d’intervention basée sur la présence d’un tiers à la fois actif, pour impulser suffisamment d’éléments au cours des échanges pour favoriser l’émergence d’une vision globale des problèmes, des causes et de leurs conséquences, et ainsi permettre aux individus et aux équipes de prendre le recul nécessaire pour co-construire des solutions ; et neutre, i.e. capable de s’effacer devant les parties prenantes et de jouer un rôle de facilitateur et de médiateur entre des parties prenantes qui ont forcément des points de vue différents potentiellement contradictoires, voire antagonistes, et difficilement conciliables.

Pour identifier les facteurs clés de succès et d’échecs des diagnostics partagés participatifs, nous avons étudié des situations très complexes réunissant de nombreuses organisations différentes autour de problématiques territoriales. Nous avons identifié plusieurs points de vigilance méthodologiques.

Premier point de vigilance : éviter les deux pathologies opposées de la prise de décision. Certains diagnostics partagés n’aboutissent à aucun résultat. Les réunions se succèdent, les parties prenantes discutent ouvertement des mêmes problèmes inlassablement, mais personne ne réussit à se mettre d’accord. A l’inverse, dans certains diagnostics partagés, les parties prenantes se sont mises d’accord sur quelques évidences qui n’engagent personne, et sur quelques solutions qui restent extrêmement superficielles et peu efficaces. Dans les deux cas, on a ici des pathologies de la décision. Dans le premier cas, il s’agit d’une escalade d’indécisions dont on sort difficilement car il n’y a pas de travail sur les points de consensus. Dans le second cas, il s’agit de points de consensus superficiels issus d’échanges où les préoccupations, les différends ou les antagonismes qui font enjeux pour les parties prenantes ont été effleurés ou contournés. Ces consensus sont dits « minimums », c’est-à-dire portant sur « le plus petit commun dénominateur » entre les parties prenantes. C’est tellement fréquent dans les organisations qu’un courant de recherche s’est développé autour de la montée actuelle du cynisme des cadres qu’on implique dans des démarches participatives n’aboutissant à rien.

Deuxième point de vigilance : privilégier la médiation et conclure des consensus intermédiaires. Beaucoup de recherches montrent que les individus n’ont jamais une représentation structurée des problèmes, de leurs causes et de leurs solutions. La notion de représentation cognitive « prête à l’emploi » est donc de plus en plus remise en question. Il ne faut donc pas attendre des individus des échanges construits et structurés au démarrage d’une démarche de diagnostic partagé. Il faut au contraire favoriser les interactions contradictoires entre les parties prenantes. Au fur et à mesure de ces interactions, les parties prenantes vont être en mesure de verbaliser leurs propres antagonismes et les rendre « visibles » pour les autres. On ne peut pas faire l’économie de cette phase de prise de conscience pour rendre possible la coconstruction d’une vision partagée. Nos travaux montrent que le tiers joue ici plusieurs rôles fondamentaux : celui de produire et d’introduire à chaque phase de discussion de nouveaux outils de médiation favorisant les échanges contradictoires et celui de produire des outils de réification qui permettent de consolider immédiatement des points de consensus sur lesquels les différentes parties prenantes sont d’accord au fur et à mesure de la démarche. Il ne sert donc à rien de se mettre d’accord – sur tout – d’un seul coup. Il est important de produire des accords intermédiaires qui vont rendre possible la suite. Il n’est donc pas rare que le premier matériau de médiation introduit soit un diagnostic de la situation fait par le tiers de l’extérieur, et que des éléments complémentaires de diagnostic continuent à être introduits tout au long de la démarche. Mais ce diagnostic externe reste un support aux échanges, non un résultat final.

Troisième point de vigilance : ne pas chercher à se mettre d’accord sur les détails tant qu’un consensus global et holistique n’a pas émergé. Les théories de la négociation utilisent la notion de « consensus optimum » pour exprimer le fait que dans ces situations, toutes les parties prenantes sont non seulement gagnantes des décisions prises mais plus gagnantes qu’avant. Il faut donc réussir un jeu d’articulation très complexe où le diagnostic partagé doit apporter une valeur ajoutée plus forte que s’il n’y avait pas eu de diagnostic. Nos travaux de recherche montrent qu’on ne réussit à atteindre ce type de consensus que si on respecte quelques principes. Le premier découle de l’impossibilité de se mettre d’accord sur des points de détails tout de suite. C’est souvent parce qu’on n’est pas d’accord sur les détails que les spirales d’indécisions commencent ou les consensus minimums se nouent. Donc, cela ne sert à rien d’établir un diagnostic complet et détaillé de tous les problèmes pour ensuite s’atteler aux solutions. Le tiers va chercher à avoir des points de consensus holistiques sur des grandes lignes de problèmes et de solutions sur lesquelles les parties prenantes sont d’accord pour avancer. Puis petit à petit, en partant du général vers le détail, on va approfondir les discussions en ayant en tête d’établir à chaque phase de discussion des consensus intermédiaires écrits autour d’axes préoccupations-problèmes-enjeux-attentes-solutions possibles.

Quatrième point de vigilance : une gouvernance claire et impliquée et un tiers « neutre ». Beaucoup de diagnostics partagés terminent dans une corbeille sans être utilisés, car les solutions coconstruites ne correspondaient pas aux attentes des initiateurs de la démarche (direction générale, direction opérationnelle, DRH, etc.). Rien de pire pour créer la démotivation et la frustration des salariés parties prenantes. Le diagnostic partagé ou participatif nécessite donc un contrat clair et une implication certes de toutes les parties prenantes, mais aussi des initiateurs de la démarche autour des consensus intermédiaires. Parallèlement, il est important que le tiers soit neutre, donc n’appartienne pas aux différents départements ou services de l’entreprise concernés par le diagnostic partagé.

Source : Michaux V. Defelix C. (2019), Conduire un diagnostic partagé en contexte inter-organisationnel : Enseignements théoriques et pratiques, « Revue de Gestion des Ressources Humaines », n° 11 (janvier-mars 2019).

Valery Michaux

Docteur en sciences de gestion, Valery Michaux est professeure à Neoma Business School. Elle en a été la directrice de la recherche entre 2012 et 2015. Après une carrière dans le privé puis dans les politiques publiques, elle devient enseignante chercheuse et publie différents ouvrages et articles.

Christian Defélix

Christian Defélix est professeur des universités spécialisé en gestion des ressources humaines, et depuis 2012 directeur de Grenoble IAE-iniversité Grenoble Alpes. Chercheur au Cerag, il conduit des travaux sur le management des compétences et la contribution des ressources humaines à l’innovation. Il anime la chaire « Capital humain et innovation », qui fédère les acteurs RH de l’écosystème Grenoble-Isère. Il a notamment copublié « Gestion des compétences : nouvelles relations, nouvelles dimensions » (Vuibert, 2009) ainsi que « RH, RSE et territoires. Défis théoriques, réalisations pratiques » (Vuibert, 2015).

Auteur

  • Valery Michaux, Christian Defélix