On les disait disqualifiés par le mouvement des « gilets jaunes », marginalisés par l’exécutif, divisés, inaudibles… Et voilà que les Français ont redécouvert l’existence des syndicats, le 13 septembre, lors d’un vendredi noir dans les transports parisiens. Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître : cinq organisations (CGT, FO, CFE-CGC, Unsa et SUD) ont mobilisé au-delà de leurs espérances les salariés sur la défense de leur régime spécial de retraite, provoquant la fermeture d’une dizaine de lignes de métro. Galvanisée, la CGT aimerait maintenant associer les cheminots à la bataille des retraites qui s’annonce. Une telle « convergence des luttes », pour reprendre le jargon cégétiste, serait l’assurance de bloquer sinon la France, du moins la région capitale. Comme en 1997, lors de la tentative de réforme avortée des régimes spéciaux, qu’avait tenté de mener à la hussarde Alain Juppé.
Bien entendu, les experts ès conflits sociaux feront observer que RATP, SNCF, La Poste, EDF et autres entreprises à capitaux publics sont les derniers grands bastions syndicaux, réputés pour leur « gréviculture ». Des lieux où les agents – et non pas les salariés, la précision est d’importance – peuvent user d’un vrai pouvoir de blocage. On pourrait ajouter un autre point commun. Chacune de ces entreprises ou presque est agitée par un grand projet de réorganisation pour s’adapter à une ouverture progressive à la concurrence ou à un changement de statut. Tel le projet Hercule de scission du groupe EDF en deux entités distinctes, l’une renationalisée, l’autre ouverte aux capitaux extérieurs, qui a rassemblé la CFDT, la CGT, FO et la CFE-CGC en intersyndicale. Chez les cheminots, l’accouchement au forceps de la « nouvelle SNCF » au 1er janvier 2020 (et la fin des embauches sous statut) ne va pas jusqu’à reconstituer la défunte intersyndicale. Mais nul doute qu’à Matignon et à l’Élysée, à l’heure de nommer le successeur de Guillaume Pépy, on surveille comme le lait sur le feu le climat social dans les gares et dans les entrepôts.
Tous ces mécontentements, comme ceux qui agitent une partie des fonctionnaires, après la loi de transformation de la fonction publique d’août dernier, pourraient s’agréger dans le cadre de la refonte du système de retraites. C’est donc pour parler aux organisations syndicales, en premier lieu, qu’Édouard Philippe s’est rendu devant le Conseil économique, social et environnemental, le mois dernier, afin d’annoncer le calendrier et les modalités de cette réforme majeure. Une forme tardive de reconnaissance après deux années d’ostracisation. Gageons que pour les syndicats, elle avait un goût amer.