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Le ratio d’équité, un outil à double tranchant

Dossier | publié le : 01.10.2019 | Catherine Abou El Khaïr

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Le ratio d’équité, un outil à double tranchant

Crédit photo Catherine Abou El Khaïr

Exposer les écarts de salaires dans l’entreprise pour mieux les combattre : tel est l’objectif du ratio d’équité prévu dans la loi Pacte. Un pas de plus vers la transparence à laquelle les DRH devraient se préparer, avancent certains spécialistes.

Après les États-Unis et le Royaume-Uni, le voici arrivé en France. Introduit par la loi Pacte promulguée le 22 mai 2019, le ratio d’équité remet un coup de projecteur sur les écarts salariaux dans l’Hexagone. Les rapports de gouvernance des entreprises françaises cotées devront en effet publier « le niveau de la rémunération du président du conseil d’administration, du directeur général et de chaque directeur général délégué », mais aussi les rémunérations moyenne et médiane du côté des salariés. L’évolution de ce ratio devra par ailleurs être affichée « au cours des cinq exercices les plus récents au moins, présentés ensemble et d’une manière qui permette la comparaison ».

Si les tentatives de moralisation des pratiques de rémunération des dirigeants d’entreprise ne sont pas nouvelles, cette évolution législative reflète aussi un mouvement de fond. « Nous allons vers une transparence progressive sur les rémunérations, qu’on le veuille ou non, souligne Jean-Pierre Magot, responsable de l’activité reward chez Mercer France. Une fois que le chiffre sera publié, il va donner lieu à un certain nombre de commentaires, tant dans les assemblées générales que parmi les salariés. » Une transparence accrue qui va, selon lui, aboutir tôt ou tard à une régulation : « Il ne s’agira pas d’imposer un ratio, mais il va y avoir une pression, soit en interne, soit par l’extérieur au travers des actionnaires, des consommateurs ou des pouvoirs publics. »

Aux États-Unis, en 2018, la publication de ce qui est appelé outre-Atlantique le « pay ratio » a logiquement attiré la curiosité de la presse, s’intéressant non seulement aux rémunérations spectaculaires des PDG mais aussi au salaire médian. Une information qui concentrait les inquiétudes des entreprises. Mais alors qu’elles craignaient un « retour de flamme » des employés sur le sujet, la réplique n’aurait finalement pas eu lieu, « du moins pour le moment », écrit prudemment le cabinet spécialisé dans les rémunérations de dirigeants Pearl Meyer. Dans l’absolu, « il serait imprudent d’ignorer la lame de fond du débat public sur les salaires », peut-on lire dans leur rapport.

Risques pour l’image

Et pour cause : comme aux États-Unis, les chiffres exigés dans la loi Pacte risquent de choquer. « La publication des extrêmes n’est pas la bonne solution », convenait le PDG de Danone, Emmanuel Faber, début septembre sur Europe 1. « Si pour apparaître dans un ratio acceptable, il suffit de sortir de l’entreprise tous les jobs mal payés, ce n’est pas la solution », souligne-t-il. Impensable, cependant, d’esquiver cette demande de transparence caractéristique des nouvelles générations et qui peut influencer la marque employeur. Pour répondre « intelligemment » à ce besoin, le PDG en appelle à une présentation qui « permettrait de donner des statistiques sur la cohésion interne des revenus dans les entreprises ». Tel un « coefficient de Gini », suggère-t-il, faisant référence à cet indicateur d’inégalités de salaires compris entre 0 et 1, utilisé aujourd’hui par les statisticiens.

Jusqu’ici, seuls quelques investisseurs particulièrement intéressés par le sujet essayaient de calculer ce ratio. Une tâche chronophage et approximative qui consistait à diviser la masse salariale par le nombre d’équivalent temps plein. Mais, prochainement, « tout le monde va avoir cette information », se satisfait Loïc Dessaint, directeur général de Proxinvest. Pour cette société de conseil et d’analyse financière, ce type de données est un bon indicateur du mode de management des entreprises et de l’attention qu’elles accordent au capital humain. La seule différence entre les salaires médian et moyen, mise en exergue par le ratio, pourra déjà donner en théorie une idée de la distribution plus ou moins égalitaire des salaires. Selon la nature de leur activité et le type de main-d’œuvre employée, certains secteurs pourraient afficher des écarts-types plus élevés que d’autres. Face à la publication de ces données, les DRH sont donc encouragés à réagir. « La perception que ce ratio peut créer est un stéréotype qu’il faudra absolument combattre pour éviter un risque de caricature possible par certains acteurs, comme des ONG. Il va falloir beaucoup de pédagogie et de mise en perspective pour expliciter les ratios », insiste Caroline de La Marnierre, directrice du cabinet de conseil en communication Capitalcom, qui anime aussi l’Institut du capitalisme responsable.

Seulement, comment procéder ? Il faudra « trouver des thématiques d’équité sociale qui peuvent se refléter ou non dans le ratio », poursuit Caroline de La Marnierre, qui avance plusieurs pistes : mettre en avant les différents avantages sociaux qui existent dans l’entreprise, ou l’actionnariat salarié, qui est « une autre forme de rétribution ». « Soit la communication autour du ratio ne se fera pas, soit elle sera englobée dans une présentation plus large », analyse de son côté Nicolas Bourgeois, directeur associé d’Identité RH et spécialiste des politiques de rémunération.

Syndicats peu enthousiastes

Au-delà de l’image externe, le ratio peut également susciter des réactions en interne. « Avec le salaire médian, les salariés vont découvrir où ils se trouvent, dans la première ou dans la deuxième moitié. Ils vont voir l’écart entre la DG et la moyenne des salariés, ce qui peut être déstabilisant », estime François Auger, directeur de l’activité de rémunération d’Aon France. « Les salariés sont très sensibles quand ils voient que leur salaire a augmenté de l’ordre de l’inflation et que celui des dirigeants prend 15 % », convient Gérard Mardiné, secrétaire national en charge de l’économie, de l’industrie et de la RSE à la CFE-CGC. Pour autant, la publication d’un tel chiffre – peu parlant à l’échelle d’une grande entreprise – « ne sera pas déterminante », estime le syndicaliste. Un avis partagé par le secrétaire confédéral CGT, Fabrice Angéï : « Il faudra en tirer le maximum tout en en soulignant les limites. » Autrement formulé, « ne pas aller sur une condamnation morale et sur la stigmatisation de certaines catégories professionnelles », mais « en venir vraiment à la structuration des salaires dans l’entreprise, aux niveaux collectif et individuel ».

Autant dire, un vaste sujet sur lequel les organisations syndicales ont beaucoup de griefs, tant dans la transparence que dans l’équité. « Aujourd’hui, dans les entreprises, on négocie parfois plus l’évolution de la masse salariale que celle des salaires. Aussi, toutes les directions ne sont pas prêtes à négocier sur la partie variable des rémunérations », explique Tanguy d’Orange, consultant au cabinet Syndex. Or, « à défaut de négocier le salaire, il est possible de négocier des outils de gestion qui favorisent l’équité interne tels que les indicateurs de dispersion, des grilles de salaires à l’embauche ou encore la fixation de règles en matière d’augmentation individuelle. Mais ces démarches sont plutôt rares », selon l’expert auprès des CSE. D’autant plus rares que l’information guidant les politiques de rémunération est peu partagée. « L’information du bilan social et de la BDES est très pauvre au niveau des rémunérations. On peut disposer de salaires moyens par catégorie sociale (cadres, non-cadres), et parfois de manière un peu plus fine, mais sans toujours savoir quels éléments de rémunération sont pris en compte. » Fréquemment utilisées, les enquêtes salariales sont aussi rarement communiquées. « Même lorsque celles-ci sont de qualité, la plupart des entreprises refusent quasiment systématiquement de les fournir dans le cadre du dialogue social et des NAO », poursuit Tanguy d’Orange.

Dernier défaut : les débats sur les rémunérations

Évoquer ces sujets de manière transparente est la voie conseillée par de nombreux experts. Les auteurs du rapport Pearl Meyer consacré au « pay ratio » aux États-Unis recommandent aux employeurs de « continuer à focaliser leurs efforts sur l’éducation à la rémunération, afin d’assurer que les cadres et les employés comprennent comment leur salaire est calculé ». Encore faut-il être mûr. Or, « dans la gestion des rémunérations, on est à l’âge de pierre, lance Cyril Brégou. Les sociétés qui nous appellent pour remettre de l’ordre dans leurs politiques ne prennent pas le temps d’avoir du recul. Leurs systèmes sont de plus en plus compliqués, ils manquent de cohérence et de lisibilité ». Certaines pratiques peuvent être par ailleurs peu justifiables au regard de l’équité interne. Exemple, « ces dernières années, on a poussé le manager à différencier les rémunérations de ses collaborateurs en fonction de la performance, mais se retrouver avec des plages de salaires très importantes pour le même job, ce n’est pas tenable à long terme », estime François Auger, d’Aon France. Autre spécialiste de la rémunération, le consultant et enseignant à l’IGS Denis Falcimagne relève la persistance de pratiques difficilement explicables telles que le « système de la tournante » en matière d’augmentations individuelles. Or, celles-ci, pour être perçues comme équitables, « doivent reposer sur des critères objectifs et être faites en fonction de la performance », rappelle-t-il. Pour convaincre, les entreprises ont donc encore du pain sur la planche.

L’actionnariat salarié dopé par la loi Pacte

Optimiser les systèmes de participation financière des collaborateurs, telle est la voie choisie par la loi Pacte pour « récompenser le travail des salariés ». Si le texte touche en premier lieu les entreprises de moins de 250 salariés qui bénéficieront de conditions fiscales plus avantageuses au travers de la suppression du forfait social pour les sommes versées dans le cadre de l’épargne salariale, des améliorations existent aussi pour les grands groupes. Elles porteront surtout sur l’actionnariat salarié, à travers la réduction du forfait social de 20 % à 10 % pour les abondements de l’employeur à un tel produit. Cette réforme, qui concerne toutes les entreprises de plus de 50 salariés, rendra ce type de dispositif financièrement plus intéressant pour les employeurs. « Beaucoup d’entreprises proposent déjà l’abondement, et il y en aura de plus en plus », parie Mirela Stoeva, directrice des études chez Eres, groupe de conseil et de gestion spécialisé en épargne salariale, en retraite et en actionnariat salarié. Deuxième paramètre modifié, le taux de décote maximum passe quant à lui de 20 % à 30 % pour un blocage pendant cinq ans, et de 30 % à 40 % pour un blocage à dix ans ; un argument de plus en faveur de l’attractivité de l’actionnariat salarié. « Aujourd’hui, le taux moyen de décote pratiqué par le SBF120 est de 18 % », il n’y a donc aucune raison, selon Mirela Stoeva, que les entreprises n’aillent pas plus loin. Traduite dans le décret du 20 août 2019, la possibilité d’abonder unilatéralement un support d’investissement en actionnariat salarié équivalant à 2 % du plafond de la Sécurité sociale dans un plan d’épargne entreprise constitue un troisième élément favorable. L’abondement unilatéral « sera plus facile à mettre en place » que l’attribution d’actions gratuites qui a eu tendance à décliner ces dernières années. Selon la Dares, en 2017, 15,8 % des entreprises de 1 000 salariés ou plus ont effectué une opération d’actionnariat salarié, et près de 500 000 personnes en ont bénéficié.

Auteur

  • Catherine Abou El Khaïr