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Quand ONG et multinationales sont en mode partenarial

Décodages | RSE | publié le : 01.10.2019 | Judith Chétrit

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Quand ONG et multinationales sont en mode partenarial

Crédit photo Judith Chétrit

Quel est le point commun entre les poulets Casino notés en fonction de leur degré du respect du bien-être animal et le « pacte national sur les emballages plastiques », signé par Auchan, Carrefour ou Nestlé avec le ministère de la Transition écologique, afin de réduire la part utilisée dans le conditionnement ou le transport de leurs produits ? Ces démarches ont été réalisées en partenariat avec des ONG.

Dans le monde anglo-saxon, les ONG misent sur un travail en bonne intelligence avec des entreprises considérées comme de bons élèves pour encourager un alignement des meilleures pratiques. « Historiquement, les ONG françaises remplissent une fonction plus tribunitienne et politique », explique Anthony Ratier, responsable droits humains et objectifs de développement durable du réseau français du Global Compact. « Notre but est de faire bouger une filière. On comprend que les entreprises ont des contraintes, mais on doit les challenger pour aller plus vite et loin. On ne travaille pas “pour” des entreprises mais “avec” des entreprises pour obtenir quelque chose », précise Marie-Christine Korniloff, directrice déléguée au monde économique du WWF, qui pilote une équipe d’une dizaine de personnes. L’organisation, dont les ressources financières émanent pour un tiers d’entreprises, est régulièrement citée pour ses collaborations avec une soixantaine d’entreprises, dont une dizaine a été identifiée comme plus stratégique. Les partenariats d’au minimum trois ans avec Carrefour ou avec Michelin portent le plus souvent sur du mécénat et de la coopération technique. Avec des tickets d’entrée plus réduits, une trentaine de PME et d’ETI font également partie d’un club de mécènes, Entreprendre pour la planète.

Les raisons qui amènent à ces rapprochements sont souvent les mêmes : d’un côté la recherche d’une manne financière par les ONG, préoccupées par la pérennisation de leurs ressources ; et de l’autre, la quête d’image pour les entreprises. « Il ne faut pas s’attendre à des rapports très manichéens. Par effet de mimétisme, les entreprises sont quasiment obligées de montrer qu’elles nouent des relations avec des acteurs de la société civile », juge Mehdi Zerigui, professeur en sciences de gestion à l’université d’Orléans et auteur d’une thèse sur la contribution des ONG à la performance globale des entreprises responsables. Ces échanges prennent différentes formes : participation à des panels lors de forums, mécénat de compétences, contractualisation d’un mécénat financier adossé à des frais de fonctionnement ou à des opérations spécifiques sur plusieurs années, interfaces et clubs d’acteurs publics et privés organisant des rencontres fréquentes, comme la plateforme RSE multipartite sous l’égide de Matignon ou Global Compact des Nations unies…

Il y a d’abord l’expertise sollicitée pour coordonner des opérations de terrain et pour assurer une remontée d’informations grâce au travail en réseau. Michelin travaille avec le WWF sur une filière de caoutchouc naturel durable, à travers des plantations d’hévéas en Indonésie, aux côtés d’autres fabricants de pneus. Depuis 2014, le groupe de Clermont-Ferrand dispose d’un directeur des relations avec les ONG et avec la société civile en la personne d’Hervé Deguine, à la direction des affaires publiques. Cet ancien de Reporters Sans Frontières, qui se définit comme un « facilitateur » se doit, au niveau du siège, « d’anticiper et d’identifier les sujets qui peuvent devenir sociétaux, mais aussi pérenniser la qualité des relations créées ».

« Comprendre et aller plus loin. »

Chez Renault, c’est à la suite de deux rapports comparatifs et critiques d’Amnesty International sur les conditions de travail dans les mines de cobalt en République démocratique du Congo que la direction des achats a engagé des réunions de travail avec l’ONG et une quinzaine d’audits chez ces fournisseurs qui interviennent dans la chaîne de fabrication des batteries lithium-ion. Une cartographie des matières premières a également été réalisée en fonction des risques RSE répertoriés. « À l’époque, en 2016, on ne pensait pas être spécifiquement mauvais. On a voulu comprendre et aller plus loin dans notre gestion des approvisionnements », confie une porte-parole. Ce travail aurait-il pu être engagé sans les ONG ? Une ONG a-t-elle déjà pu influencer la stratégie d’une entreprise ? Quelle réciprocité en tirer ? Ce type de questionnements traverse ces relations qui n’obéissent pas à la même temporalité.

Médecins du monde qui, depuis cinq ans, accentue le recours à des mécènes comme Chanel et L’Oréal, explique clairement à ses partenaires « qu’on ne construit pas des projets ad hoc pour eux », comme le rappelle Hélène Berger, responsable des financements privés. L’ONG est positionnée sur des sujets comme l’accès à la santé, l’urgence humanitaire ou la grande exclusion, éloignés du cœur d’activité d’une grande entreprise. Du coup, les fondations font souvent figure d’« interlocuteurs naturels » ou de portes d’entrée pour les ONG. La Fondation Veolia a participé ainsi avec Médecins du monde à l’élaboration d’un programme de démantèlement de déchets de métaux aux Philippines, conjuguant « apport d’expertises et mécénat de compétences ».

En 2017, à l’issue d’ateliers réunissant une dizaine d’associations françaises agissant dans la solidarité internationale, la coordination Sud s’est fait la porte-parole d’un constat : « Les relations partenariales restent déséquilibrées dans l’accès aux ressources financières, dans la définition des rôles et des responsabilités, dans la construction des projets, dans l’échange d’expertises. » Elle regrettait, en parallèle, un « paternalisme, un évitement des conflits et une diminution progressive des attentes ». Cela n’empêche pas les parties en présence de reconnaître la montée en compétences techniques et managériales des ONG. « Les personnes qui composent mon équipe ont déjà travaillé dans des directions RSE d’entreprise ou dans des sociétés de conseil. Elles assurent le lien avec les équipes techniques », développe Marie-Christine Korniloff, chez WWF. Mais les méthodes de travail et les cultures sont encore très différentes…

Objectifs à tenir.

Si toutes les entreprises n’attendent pas un retour sur investissement, les partenariats avec les ONG reposent néanmoins sur des objectifs à tenir, variables d’un acteur à l’autre, qui se heurtent à la difficulté d’obtenir des données précises. Au Crédit agricole, la fondation Grameen s’est appuyée depuis 2016 sur la méthodologie de l’association Cerise, promouvant la finance éthique pour mener une due diligence et un monitoring sur les institutions de microfinance. « Cela a constitué un premier axe de mesure, qui est renouvelé chaque année, pour comparer le portefeuille des institutions soutenues au niveau mondial », avance Éric Campos, directeur de la RSE et délégué général de la fondation. Chez Orange, Yves Nissim, directeur de la transformation et des opérations RSE, reconnaît que l’entreprise s’est ouverte aux acteurs externes sans avoir pour autant eu besoin de formaliser ce dialogue avec les ONG. « On regarde ce qui fait le plus de sens, sujet par sujet, pour la stratégie de l’entreprise. » Si le groupe réfléchit actuellement à la constitution d’un comité de parties prenantes, il a entamé depuis plusieurs années un travail interne d’identification de fournisseurs à risques, notamment en Asie, afin que les plus gros d’entre eux « soient éduqués à cette méthodologie d’audit pour la diffuser ensuite dans le rang 2 et rendre le système global plus vertueux ».

Poil à gratter.

Conséquence d’une législation pionnière française sur le devoir de vigilance votée en 2017, les sociétés mères et donneuses d’ordres doivent en effet répondre de leurs atteintes à l’environnement ou aux droits humains, notamment en cas de sous-traitance. Sans prévoir pour autant des sanctions pénales. De quoi inciter les entreprises à solliciter directement des ONG pour les aider à s’améliorer ? Des organisations comme Sherpa ne souhaitent clairement pas endosser ce costume de tiers valideur. « Nous avons été régulièrement sollicités par des cabinets d’avocats et des entreprises, mais ce n’est pas notre mission et nous n’en avons pas la capacité. Nous préférons exposer ce qui dysfonctionne plutôt que de nous transformer en consultants gratuits », souligne Sandra Cossart, de Sherpa. L’organisation, essentiellement financée par des fondations privées anglo-saxonnes, a publié un guide d’analyse juridique qui donne son interprétation du fameux « devoir de vigilance ». À l’instar d’Attac ou de Foodwatch, Sherpa préfère conserver son rôle de poil à gratter, en utilisant les classements et les campagnes d’opinion pour dénoncer le décalage entre les discours des entreprises et la réalité. Ou en passant à la vitesse supérieure avec des plaintes au civil et au pénal pour faire condamner et changer des pratiques.

In fine, les relations entre ONG et multinationales mettront encore du temps à se normaliser. Sans parler de l’armement ou du nucléaire, avec lesquels aucune ONG n’indique travailler, d’autres secteurs font encore figure de no man’s land. C’est le cas, par exemple, de la chimie pour le WWF qui se refuse également à signer des « contrats bilatéraux » dans le secteur de la finance. Mais les manœuvres d’approche se poursuivent. Ainsi, l’ONG anglaise CDP mène chaque année une enquête auprès de 7 000 entreprises. « Quasiment toutes se font noter sur leurs performances environnementales. Or, si le questionnaire est de plus en plus lourd, incluant désormais la gestion de l’eau et des forêts, CDP a réussi à augmenter le nombre d’entreprises répondantes », souligne Gérald Maradan, cofondateur du cabinet EcoAct. Résultat, l’ONG a constitué une gigantesque base de données et vend des services associés au travers de partenaires externes. Un modèle hybride qu’EcoAct ne serait pas surpris de voir se développer.

Les produits-partage ont le vent en poupe

Faisant le lien entre l’atteinte d’objectifs RSE et l’attractivité et la fidélisation de talents, les produit-partage ont la cote. En clair, il s’agit de produits vendus à un prix parfois supérieur, mais dont les bénéfices issus de la commercialisation sont reversés à des organisations caritatives ou humanitaires. Le jus de pomme Biocoop associé à Générations futures pour trouver des alternatives aux pesticides chimiques, la papeterie Clairefontaine au profit de l’Unicef, des coffrets Sophie La Girafe pour lutter contre la rougeole aux côtés de MSF, l’arrondi solidaire à la caisse chez Monoprix ou sur salaire chez Dior et Accenture… les exemples se multiplient. Dans le monde anglo-saxon, ces opérations, qui font toutes l’objet de conventions, obéissent aux règles du « cause-related marketing » qui cible les fameux consom’acteurs. Pour autant, les ratés existent. Notamment en cas de déficit de communication ou d’une incohérence entre la marque et la cause choisie, comme le souligne Sanata Diabaté, doctorante au laboratoire de recherche en gestion Coactis de l’université Lumière Lyon 2 : « Ce sont des campagnes ponctuelles qui ont besoin d’une approche stratégique bien ficelée pour impliquer à la fois les consommateurs et les salariés. Car le scepticisme apparaît rapidement dans ce transfert d’image : pourquoi les entreprises ne donnent-elles pas directement ? » Exemple : la chaîne de fast-foods KFC qui vend du poulet frit pour collecter des dons pendant le mois d’octobre, une période choisie pour sensibiliser au dépistage du cancer du sein… Et ce, alors que la malbouffe et la prise de poids accroissent les risques de développement de tumeurs…

Auteur

  • Judith Chétrit