Faire passer le taux de chômage des Mureaux de 20 % à 5 % à l’horizon 2024, c’est l’objectif que s’est donné le pôle territorial de coopération économique Vivre les Mureaux. L’idée de départ ? Exploiter le potentiel touristique et entrepreneurial méconnu de cette petite ville des Yvelines. Projet fou ? Reportage.
Intense séance de brainstorming, en cette fin du mois de juin, à l’Espace des habitants, une maison polyvalente des Mureaux. Pour cette troisième édition du Booster des entrepreneurs, un concours de création de start-up coorganisé par le pôle territorial de coopération (PTCE) Vivre les Mureaux et l’incubateur d’entreprises La Ruche, dix-sept candidats sont en lice. Perdus au milieu d’une forêt de Post-it multicolores, Omar, Daphné, Annie, Florian, Rachida, Ali et les autres peaufinent le pitch du business plan qu’ils devront défendre dans quelques heures face à un jury composé de patrons de PME, de responsables politiques et associatifs locaux ou de cadres dirigeants de grands groupes implantés à proximité. Les candidats n’auront que deux minutes montre en main pour réaliser l’exercice.
Alors, malgré la chaleur étouffante de ce début d’été, les cerveaux phosphorent. À leurs côtés, des professionnels RH, venus bénévolement les assister pendant ces 48 heures, prodiguent les derniers conseils avant le grand oral. Foodtruck spécialisé dans les pizzas coniques, halte-garderie mixée avec un atelier de danse, site d’e-commerce spécialisé dans la vente de produits bio issus de circuits courts, service de coaching RH pour les entreprises confrontées au burn-out, ou encore gamme de produits de beauté pour les coupes afro : les projets brassent large. Aucun thème imposé, mais une obligation : la future start-up doit s’implanter aux Mureaux (ou à proximité) pour y développer l’économie et l’emploi. À l’arrivée, le choix du jury se portera sur VanO, un projet de service de taxis-vans destiné aux villes moyennes et périphériques oubliées des grands réseaux de transports. Son créateur, Hugues Hansen, ancien cadre de La Poste, avait déjà frappé à la porte d’autres municipalités. Aux Mureaux, il pourra bénéficier d’un accompagnement au développement d’entreprise grâce à une structure partenaire du réseau BGE.
Pour les compétiteurs moins chanceux, l’aventure ne s’arrête pas là. Sur les 32 porteurs de projets ayant participé aux deux précédentes éditions en juillet et en novembre 2018, six sont parvenus à monter leur boîte. C’est ainsi que sont récemment nés un parc accrobranche, un atelier de décoration d’intérieur ou encore un cabinet de team building s’appuyant sur l’e-sport. « Au total, ces premières activités ont contribué à la création de dix emplois », se félicite Anne-Denise Daho, directrice du PTCE. L’idée du Booster des entrepreneurs n’est pas tant de plonger en pleine lumière un gagnant qu’un moyen de mettre le pied à l’étrier à tous les compétiteurs souhaitant se lancer dans la création d’entreprise, les aider à affiner leur projet et à se constituer un réseau de contacts. Et surtout, les convaincre de développer leur projet aux Mureaux.
Développer l’économie des Mureaux, c’est l’ambition du PTCE depuis sa création en 2017. Tout est parti d’une idée un peu folle : faire de cette petite ville de 32 500 habitants du nord-est des Yvelines un territoire de plein-emploi à l’horizon 2024 ! « Annoncé comme ça, ça paraît un peu dingue, mais Les Mureaux ont le potentiel pour y parvenir », sourit Jean-Marc Semoulin, l’homme à l’origine du projet. Sur le papier, l’affaire semble loin d’être gagnée. Certes, depuis une vingtaine d’années, la commune se modernise. Les anciennes cités qui faisaient la une de l’actualité dans les années 1990 ont été reconstruites à échelle humaine. Les culs-de-sac urbains où prospéraient deals et trafics d’armes ont été rasés pour faire place à un écoquartier construit selon les normes HQE. Les vieilles tours délabrées ont été abattues et des jardins collectifs sont sortis de terre. Douze ans après le tournage d’« Aide-toi et le ciel t’aidera », on est loin de la ville grisâtre et sinistre filmée par François Dupeyron. N’empêche. Tous les problèmes sont loin d’être réglés. Le taux de chômage muriautin avoisine les 20 %, il frôle même les 30 % dans certains quartiers et chez les jeunes. Et dans les esprits, l’image de « banlieue sensible » colle encore très largement aux Mureaux.
C’est justement le paradoxe entre l’évolution positive que connaît la commune et la persistance de sa réputation de coupe-gorge qui a inspiré le projet de Jean-Marc Semoulin. « Il y a deux ans, j’ai eu l’intuition que la ville des Mureaux présentait tous les symptômes que l’on rencontre habituellement chez une personne en insertion : mauvaise image de soi, autodépréciation, incapacité à identifier ses points forts, honte de l’image renvoyée aux autres… » raconte ce patron engagé de l’économie sociale, adhérent du club Les entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC), à la tête depuis une vingtaine d’années d’un atelier-chantier d’insertion (La Gerbe), qui remet chaque année une trentaine de personnes dans l’emploi. De ce constat est née une ébauche de solution : « S’il existe tant de similarités entre un individu en insertion et la commune, ce qui fonctionne pour l’un devrait fonctionner pour l’autre ! Car Les Mureaux disposent d’un énorme potentiel… dont personne n’a conscience. »
Une première mouture de ce qui allait devenir le pôle territorial a vu le jour en 2017, construite autour de trois personnes : Jean-Marc Semoulin lui-même, Anne-Denise Daho, ancienne DAF de la loterie nationale ivoirienne, et Jean de Wailly, responsable de la RSE au sein du groupe Sodexo. Tous résidents aux Mureaux ou dans les communes voisines, et bien décidés à réveiller la ville. « En sondant la population, nous nous sommes aperçus que tous rêvaient de réinventer la vie économique et humaine de la ville par des initiatives populaires dépassant les clivages entre entreprises, associations, pouvoirs publics et population, en s’appuyant sur la richesse humaine, historique et géographique du territoire », détaille Jean-Marc Semoulin. D’abord portée sous forme associative, l’initiative du trio s’est transformée dès 2018 en pôle territorial de coopération économique, un dispositif impulsé par la loi Hamon de 2014.
Aujourd’hui, Vivre les Mureaux compte un conseil d’administration de douze membres mêlant citoyens, élus locaux et chefs d’entreprise, et d’un budget de 300 000 euros, fruit des dotations des collectivités et d’entreprises partenaires. Sur la forme, l’objectif est le même que celui de Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), porté par un collectif associatif piloté par ATD Quart Monde : identifier les compétences susceptibles d’être transformées en emploi pour répondre aux besoins non satisfaits. « Sur le fond, nous sommes en parfaite concordance d’esprit avec les gens de Vivre les Mureaux », reconnaît Patrice Bony, chargé de relais territorial chez TZCLD. Sur la forme, en revanche, les dispositifs divergent. « TZCLD se concentre sur des secteurs de 10 000 habitants maximum. Or, nous ne voulons pas “fractionner” Les Mureaux, explique Jean-Marc Semoulin. Sans compter que la poursuite de cette expérimentation reste suspendue à une décision de l’État. Demain, tout pourrait s’arrêter. A contrario, notre ambition reste avant tout de développer durablement l’économie à partir des points forts de la ville. Et d’embarquer toutes les communautés résidant aux Mureaux dans une optique d’amélioration du vivre-ensemble. »
À toute ambition, il faut un plan d’action. Celui de Vivre les Mureaux se décline en trois axes. Primo, promouvoir l’attractivité de la commune en valorisant ses atouts culturels, économiques et sociaux. Secundo : faciliter la mise en relation entre employeurs et demandeurs d’emploi au travers de l’organisation d’événements de type job-datings conviviaux. Tertio : développer le potentiel économique des Mureaux. Le Booster des entrepreneurs constitue l’un des piliers de cette dernière ambition. L’autre consiste à inventer et à déployer une offre touristique propre à drainer un nouveau public de visiteurs. « Venir faire du tourisme aux Mureaux ? Tout le monde a souri quand Jean-Marc a mis cette drôle d’idée sur la table », se souvient Marianne Cantau, maire-adjointe de la ville. Mais c’est oublier que la commune dispose d’infrastructures dédiées au tourisme. Cinq aéroclubs, un yacht-club, une base de loisirs que la ville partage avec sa voisine Verneuil-sur-Seine, et même l’île de Juziers, un petit paradis vert en milieu de Seine, qui comprend les résidences secondaires des amateurs de yachting. Autant d’équipements qui attirent les classes sociales aisées des alentours, mais que la commune n’avait pas pensé à exploiter.
« Les touristes sont là… sauf qu’ils ne descendent pas aux Mureaux », constate l’élue muriautine. C’est justement pour pallier cette absence d’attrait que le PTCE a mis en branle plusieurs initiatives : les baptêmes de l’air à prix réduits par les pilotes des clubs aériens et les balades ludiques dans la ville rencontrent déjà leur petit succès et, surtout, permettent à des populations qui ne se mélangeaient pas de partager un peu de temps ensemble. On évoque l’idée d’un parc de pilotage de drones ou la création d’un embarcadère qui permettrait aux résidents de l’île verte de profiter du centre-ville. Autre initiative emblématique : celle de repas chez l’habitant, organisés à l’initiative du PTCE. « Cent nationalités cohabitent aux Mureaux, on ne se représente pas le potentiel gastronomique exceptionnel que cela suggère », analyse Anne-Denise Daho. Le principe de ces déjeuners ou dîners à domicile ? Organiser des rencontres entre habitants et visiteurs extérieurs autour d’une table bien garnie, la transaction se faisant au préalable grâce à l’application Eatwith, spécialisée dans le « fooding at home ». « Ce n’est pas forcément un emploi en dur, mais pour certaines familles qui en sont éloignées, c’est déjà un revenu et l’amorce d’un retour à l’activité », souligne Jean de Wailly. Là encore, l’apprentissage du vivre-ensemble fait partie de l’expérience. Pour promouvoir l’opération, quelques grands patrons et personnalités publiques, à l’image du général Pierre de Villiers, se sont prêtés au jeu.
Charles-Benoît Heidsieck fait partie de ceux qui ont participé à l’un de ces déjeuners. Fondateur et président du conseil d’orientation du Rameau, un laboratoire d’idées dédié à l’observation des méthodes de coconstruction d’« alliances innovantes au service du bien commun », il observe de près ce qui se passe dans ce coin des Yvelines. Les Mureaux sont devenus l’un des douze « catalyseurs territoriaux » sélectionnés par le think tank pour recenser les bonnes pratiques. « C’est une initiative particulièrement intéressante de coopération entre acteurs publics, associatifs et entreprises. Les territoires dits “fragiles” sont souvent à la pointe de l’innovation. Je ne sais pas s’ils parviendront à tenir leur pari du plein-emploi, mais ce qui se passe aux Mureaux est non seulement important pour la commune, mais aussi à l’échelon national. » In fine, le plein-emploi à l’horizon de cinq ans est-il atteignable ? Les gens du PTCE y croient. « Je ne sais pas ce que seront les chiffres du chômage aux Mureaux en 2024, avance Marianne Cantau. Mais ce que je vois, en revanche, c’est que Vivre les Mureaux a enclenché une dynamique positive de reprise de confiance et de création d’activité. » L’expérience séduit d’autres villes au profil similaire. Une délégation de Lens s’est ainsi déplacée dans les Yvelines. Alors, rendez-vous dans cinq ans !