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“Les politiques ont abandonné le monde du travail”

Actu | Entretien | publié le : 01.10.2019 | Benjamin d’Alguerre

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“Les politiques ont abandonné le monde du travail”

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Sauf énorme surprise, François Hommeril, président de la CFE-CGC depuis 2016, sera réélu le 10 octobre au congrès de Deauville. L’occasion de revenir sur le durcissement du discours de la centrale de l’encadrement.

Vous avez été élu le 2 juin 2016, au plus fort de la contestation contre la précédente loi travail. Cela a-t-il inscrit d’emblée votre syndicat dans une tendance contestataire à laquelle il était peu habitué ?

François Hommeril : C’est vrai. Notre congrès de Lyon s’est tenu au moment de la septième grande manifestation contre la loi travail. Il y en a eu dix en tout, auxquelles la CFE-CGC n’a pas participé, à une exception près : au mois d’avril 2016, nous avions organisé notre propre manif aux Invalides, pour protester contre cette énième réforme du Code du travail néolibérale qui ne visait qu’à déstructurer les droits collectifs sans autre justification qu’idéologique. Notre principal grief était l’inversion de la hiérarchie des normes entre branches et entreprises qu’elle introduisait. Notre opposition à cette loi n’avait rien d’exceptionnel : la CFE-CGC a toujours défendu le rôle de la branche, même s’il est vrai que la protestation de rue n’est pas l’alpha et l’oméga de notre culture militante. Ce que nous refusons, en revanche, c’est le discours politique ambiant qui voudrait fractionner le mouvement syndical en deux camps, contestataire d’un côté, réformiste de l’autre. Dans ce schéma simpliste, la CFE-CGC ne serait qu’une organisation subalterne dont le rôle se limiterait à accompagner les réformes sans broncher. Nous réfutons cette vision binaire. Nous ne nous rangeons certes pas parmi les organisations révolutionnaires, mais nous restons un syndicat libre de ses positions et prêt à contester lorsqu’elles sont menacées.

Vous semblez avoir placé la CFE-CGC dans l’opposition à la politique d’Emmanuel Macron dès son élection.

F. H. : À l’occasion de la présidentielle de 2017, nous avions envoyé un document de 120 pages à tous les candidats. Seuls quelques-uns ont envoyé leurs équipes nous rencontrer, dont Emmanuel Macron. Manifestement, il n’a pas tenu compte de nos propositions puisque l’une de ses premières décisions, une fois élu, fut de substituer la part salariale des cotisations à l’assurance-chômage par une fraction de la CSG, ce qui relève du vol pur et simple ! Malheureusement, personne n’a vraiment réagi à l’époque face à cette mesure prise dans l’euphorie de l’état de grâce présidentiel.

Tout cela ne figurait-il pas noir sur blanc dans son programme ?

F. H. : Il n’a pris personne en traître : tout était annoncé. Mais on ne peut pas tout accepter sous prétexte que « c’était dans le programme », à commencer par le mépris dans lequel l’exécutif tient la démocratie sociale. En démocratie, le pouvoir a normalement obligation de composer avec les corps sociaux. Nous avons vite compris que ce ne serait pas le cas lorsqu’il nous a conviés à la concertation sur les ordonnances. On a fait semblant de nous consulter sur des textes dont le contenu était écrit d’avance et on les a vendus à l’opinion comme une arme antichômage alors que le problème numéro un des employeurs aujourd’hui n’est pas la difficulté à licencier, mais celle de recruter ! Au lieu de prendre cette problématique à bras-le-corps et de lancer une réflexion sur la mobilité, sur les salaires, sur le logement, sur le transport ou sur les compétences, le Gouvernement a choisi de satisfaire une vieille injonction patronale, en limitant la liberté de l’exercice syndical au travers de la fusion forcée des IRP dans une instance unique. Était-ce nécessaire ? Non. Les entreprises ne se sont jamais saisies des possibilités de rapprochement des instances que leur offrait la loi Rebsamen d’août 2015, alors pourquoi la leur imposer si ce n’est par pure idéologie ? Résultat : deux ans après les ordonnances, on constate à l’usage combien le CSE se révèle être une catastrophe. Ni les directions ni les représentants du personnel ne savent quoi faire avec cette instance unique censée débattre de l’ensemble des sujets sociaux de l’entreprise. À tel point qu’on voit aujourd’hui des PME et des ETI recréer, en catimini, des comités thématiques pour discuter des points qui relevaient hier des DP ou des CHSCT. Sauf qu’elles ne disposent plus des bases légales pour le faire…

Depuis votre élection, la CFE-CGC a adopté un ton plus dur. Qu’y a-t-elle gagné ?

F. H. : Il ne s’agit pas de faire du syndicalisme pour « gagner », mais pour porter des idées. Manifestement, les nôtres portent. Sur le plan électoral, nous avons enregistré une croissance de 85 000 voix lors des dernières consultations et nous comptons 2 à 3 % d’adhérents supplémentaires chaque année depuis dix ans. On est le premier syndicat dans la banque, chez Renault, chez PSA, chez Axa ou chez Generali, et nous restons l’organisation de référence pour les cadres, les techniciens et les ETAM. Preuve que des salariés se reconnaissent dans les positions que nous portons. Notre dernier bilan de juin 2019 fait état d’environ 145 600 adhérents. Les victoires sur le terrain social sont plus modestes, mais quel dirigeant syndical peut se vanter d’avoir gagné quoi que ce soit en trois ans de mandat ? A fortiori lors des dernières négociations interpro, cornaquées par des lettres de cadrage draconiennes et où le Gouvernement s’est assis sur les accords conclus.

Pourtant, dès juin 2018, les leaders des organisations patronales et syndicales représentatives ont pris l’habitude de se rencontrer dans le but de déterminer leur agenda social.

F. H. : Nous nous rencontrons régulièrement mais nous avançons lentement. Il y a eu quelques surprises, comme cet accord RSE signé par la CPME et les cinq organisations syndicales, mais le Medef ne joue pas le jeu. Il place la barre trop bas, alors que nous voulons de vraies négociations sur la souffrance au travail, sur la gouvernance des entreprises, sur la gestion par les coûts, sur la QVT ou sur les fins de carrière. De vrais sujets que le Medef ne souhaite pas aborder.

Pourquoi ?

F. H. : Nous rencontrons un vrai problème de représentativité patronale. Le Medef se révèle de plus en plus comme le faux nez de l’Afep, l’association des grands groupes du CAC 40. Si le Medef ne veut plus jouer son rôle dans le paritarisme et dans la négociation interprofessionnelle, qu’il s’en aille et laisse la place à la CPME et à l’U2P qui, elles, veulent négocier.

En l’absence de concurrent, vous serez réélu président de la CFE-CGC le 10 octobre prochain. Qu’allez vous dire lors du congrès ?

F. H. : Il s’agira de motiver les troupes, mais aussi de porter fermement nos positions, de poser un nouvel acte d’identification de la CFE-CGC et de redire des choses simples : les politiques ont abandonné le monde du travail. Ils se contentent d’imposer une dérégulation générale dénuée de sens comme on le voit sur l’assurance-chômage, la formation, le dialogue social ou les retraites. Tout cela a des conséquences sur les conditions de travail. La dictature de la gestion par les coûts, qui s’impose depuis une vingtaine d’années, entraîne des effets ravageurs. S’agissant de l’encadrement, l’exécutif continue de spolier les droits de ces salariés intermédiaires à travers ses récentes réformes (dégressivité des allocations-chômage, retour à un système de retraite par points préjudiciable aux cadres ayant fait des études longues, etc.), tout en prétendant le contraire dans son discours public. Le congrès sera donc l’occasion de mobiliser. Mais aussi d’appeler à l’adhésion des générations plus jeunes. Nous sommes confrontés à une remise en cause de notre modèle social, il faut être à la hauteur de l’enjeu.

François Hommeril

Après un premier échec face à Carole Couvert en 2013, François Hommeril a été élu président de la CFE-CGC trois ans plus tard. Issu de la fédération de la chimie, cet ingénieur géologue a construit sa carrière au sein du groupe Péchiney (devenu Alcan, puis Rio Tinto). Après avoir gravi les échelons syndicaux au sein du groupe, il est entré au comité confédéral du syndicat des cadres en 2000, puis il est devenu secrétaire national chargé de l’Europe, de l’International et de la Formation professionnelle en 2010.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre