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Faut-il un âge minimal et maximal pour la retraite ?

Idées | Débat | publié le : 01.09.2019 |

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Faut-il un âge minimal et maximal pour la retraite ?

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Régimes multiples, lisibilité médiocre, inégalités fortes : Emmanuel Macron a promis une profonde réforme des retraites, par laquelle les régimes convergeraient vers un système universel et les cotisations, par points, donneraient les mêmes droits, sans toucher à l’âge de départ, ni au niveau de pension. Alors que le haut-commissaire a dévoilé ses propositions le 18 juillet, d’autres mesures d’équilibre, touchant notamment à la durée de cotisation, ont failli figurer dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Dès lors, une question persiste…

Gilles Berrut Chef du service de gérontologie du CHU de Nantes, auteur de « Les papys qui font boom »*.

L’apparition d’un âge légal de la retraite est relativement récente. Plusieurs facteurs se sont joints pour imposer cette idée : pénibilité des métiers, désir d’équité, nécessité d’élaborer un système solide financièrement et enfin, au début des années 1980, l’idée que les départs à la retraite réduiraient le chômage des plus jeunes. Pour chacun de ces arguments qui semblaient évidents lors de leur formulation, apparaissent maintenant des fondements fragiles, dépassés par les nouvelles conditions de travail. Le regard sur l’âge de départ à la retraite est né de la révolution industrielle et de l’émergence de grandes unités de production réunissant parfois plusieurs milliers de travailleurs. Cette vision collective concerne toutes les dimensions du travail y compris l’âge de départ, qualifié à juste titre maintenant d’« âge légal ». Mais, il existe un écart croissant entre l’âge de départ et l’âge légal. La France, pendant longtemps, s’est caractérisée par l’un des plus faibles taux d’employabilité des personnes de plus de 55 ans parmi les pays de la zone euro (32 % entre 55 et 64 ans, contre 41 % en Europe et 62 % en Suède). Les mesures prises lors du dernier quinquennat ont porté cette proportion aux alentours de 50 %. L’emploi des seniors n’a pas bonne presse dans les entreprises françaises et l’absence de cotisation de toute une génération, formée, expérimentée, régulière dans son travail et disciplinée dans ses pratiques, est un manque à gagner considérable pour les organisations. Une partie du déficit des régimes de retraite et de la fragilité de la répartition y trouve son explication. La fracture numérique, parfois utilisée comme système de « dégraissage », a accéléré ce mouvement. Dans un tel système, on peut décider l’âge légal à 60, 62 ou, demain à 67 ans, il n’aura que peu de choses à voir avec l’âge de départ du travail. On retarde le paiement des retraites dues, ce qui augmente le nombre de seniors pauvres, en particulier les femmes qui sont les grandes perdantes de ces économies illusoires – car ne résolvant rien et créant uniquement de la précarité. En fait se poser la question d’un âge de départ à la retraite identique pour tous est aussi inopérant et virtuel que de se demander à partir de quel âge on est vieux.

Pierre-Emmanuel Sassonia Directeur associé, Eres.

Le débat sur l’âge de la retraite est marqué d’une part par une question économique : il s’agit, en agissant sur la variable de l’âge, de rétablir ou de préserver l’équilibre des caisses, comme on l’a fait depuis les années 1980, en retardant l’âge de la retraite et en augmentant par là même le nombre de cotisants, sans donner, d’ailleurs, le choix à ces derniers. Et d’autre part, par une question politique, sujet de crispations, car liée au système de répartition lui-même. Un système de répartition qui montre clairement ses limites. De fait, il est peu clair, compte tenu d’un lien entre cotisations et prestations illisible, ces dernières étant conditionnées par la bonne santé des caisses et non par les montants de cotisations versés. Le système est également peu équitable alors que la retraite par répartition est présentée comme synonyme de solidarité. Par exemple, la réversion favorise, par définition, les couples mariés aux dépens des célibataires, qui ont cotisé de la même façon et qui devraient d’ailleurs avoir des droits majorés. On peut également pointer les inégalités entre catégories socioprofessionnelles : les ouvriers ont une espérance de vie à la retraite beaucoup plus faible que les cadres, ce qui n’est pas pris en compte et aboutit à un système dans lequel les ouvriers financent la retraite des cadres ! En conséquence, si les Français se disent, selon les sondages, favorables à une réforme, ils voient surtout pour l’instant des contraintes supplémentaires – et arbitraires – comme celle de travailler plus longtemps, plutôt que des droits futurs. Si l’on adopte une pensée « libertarienne », alors la retraite devrait pouvoir être prise quand on veut, en fonction de paramètres lisibles et vérifiables. La loi Pacte, qui inclut des mesures pour simplifier et fluidifier l’épargne retraite, notamment en ce qui concerne la sortie, plus flexible, en rente ou en capital, devrait quelque peu décrisper les opinions et donner un nouvel élan à la retraite par capitalisation, tout en favorisant le financement de l’économie.

Aude De Castet Auteure, avec Jacky Bontems, de la note de l’Institut Diderot « Réformer les retraites, c’est transformer notre société ».

Recul de l’âge légal de départ à la retraite à taux plein ou fixation d’un âge pivot à 64 ans avec décote sont de fausses bonnes idées que l’on nous sert régulièrement sous couvert de soutenabilité budgétaire.

Or, le sujet de fond n’est pas budgétaire. Notre régime général des retraites tend déjà à l’équilibre. Si la croissance se poursuit au rythme annuel de 1,8 % par an, comme le Conseil d’orientation des retraites (COR) en a fait un moment l’hypothèse, le PIB sera multiplié par deux en 40 ans, avec une population augmentée seulement de 20 %. Il n’y aurait donc pas de problème quantitatif pour honorer l’ensemble des pensions. Ne nous abaissons pas à un débat sur l’allongement de la durée du travail ! Au slogan « Travailler plus », opposons « Travailler plus nombreux ! ». Le chantier prioritaire est de s’attaquer à l’employabilité des seniors, compte tenu du fait que la moitié d’entre eux est au chômage, en invalidité ou en inaptitude à 62 ans. Une progression dans ce domaine, à l’image de nos voisins européens, dont le taux d’emploi des 55-62 ans est supérieur (+ 5 points) au nôtre, serait un bel objectif qui amènerait mécaniquement de nouvelles recettes. Les employeurs devraient également participer à cet effort collectif en maintenant le potentiel de compétences et d’emplois des seniors. Toute autre mesure relève de l’incongruité économique et porte en elle les germes d’une nouvelle fracture sociale. Réformer les retraites passe par la création d’un lien de confiance entre les générations… Il en va de notre cohésion sociale.

Ce qu’il faut retenir

//Tendance générale. Dans les pays de l’OCDE, la tendance générale est à un allongement des durées de cotisation, ne serait-ce qu’en raison de l’allongement de l’espérance de vie. En France, la récente réforme des retraites complémentaires – fusionnant au 1er janvier 2019 les deux régimes, Agirc et Arrco, en un seul, le régime Agirc-Arrco – a principalement pour but d’encourager les travailleurs à cotiser au-delà de l’âge légal de départ à la retraite.

//Trompe-l’œil. Le Medef milite pour un recul de l’âge légal de 62 à 64 ans d’ici 2028, dans le but d’assurer l’équilibre financier du système. Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire en charge du dossier pour le gouvernement, s’y oppose, de même que les partenaires sociaux. Toutefois, si l’âge de départ à la retraite resterait fixé à 62 ans, il ne garantirait pas une retraite complète. Le gouvernement pourrait ainsi instaurer un système de bonus-malus sur les pensions, avec un âge pivot de 64 ans. Les personnes qui cesseraient de travailler avant 64 ans ne pourraient pas toucher une retraite pleine, alors que les années accumulées après cet âge permettraient de bénéficier d’une retraite revalorisée.

En chiffres

60,7

C’est la note générale de la France au palmarès des systèmes de pension (en fonction de leur adéquation et de leur durabilité, notamment), réalisé tous les ans par le cabinet Mercer. Elle place l’Hexagone en 17e position, derrière les Pays-Bas (1er), l’Allemagne (13e) ou le Royaume-Uni (15e) par exemple.

Source : https://info.mercer.com/rs/521-DEV-513/images/Mercer%20-%20MMGPI%20Report%202018 %20Summary.pdf

17,2

Le total de millions de personnes qui percevaient, à fin 2016, une pension de droit direct ou dérivé, tous régimes de retraite confondus, selon la Drees, le service statistique du ministère de la Santé. Soit des effectifs en hausse de 0,9 % par rapport à 2015.

Source : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/panoramas-de-la-drees/article/les-retraites-et-les-retraites-edition-2018/ https://fr.slideshare.net/lesechos2/retraites-2018-panorama-de-la-drees

* « Les papys qui font boom. La longévité, une chance pour tous ! ». Solar, 2018.