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L’innovation au cœur de la stratégie des organismes

Dossier | publié le : 01.09.2019 | Laurence Estival

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L’innovation au cœur de la stratégie des organismes

Crédit photo Laurence Estival

L’obsolescence de plus en plus rapide des compétences, le développement des technologies et des connaissances en neurosciences invitent les acteurs du marché à se réinventer. Tour d’horizon des nouvelles tendances dans un secteur par ailleurs bousculé par la réforme de la formation professionnelle.

Il a fallu un peu moins d’une décennie à Manzalab pour séduire la moitié des entreprises du CAC40… Créée en 2010, la start-up, passée de zéro à 70 collaborateurs, qui conçoit des serious games sur mesure pour répondre aux besoins de formation des employeurs (entretien d’évaluation, négociation commerciale…), doit en grande partie cette prouesse à son rapprochement avec Stanislas Dehaene, enseignant au Collège de France, chercheur en neurosciences appliquées au secteur de la formation. « Tous nos produits respectent les quatre fondamentaux indispensables pour qu’un apprentissage soit efficace : solliciter la concentration, entraîner un engagement actif des apprenants, apporter des feed-back permanents et prévoir des mécanismes favorisant la consolidation de ce qui a été appris », énumère Julien Caporal, le directeur de la pédagogie.

Ce cahier des charges, au-delà même des jeux commercialisés par la jeune pousse, illustre les bouleversements qui attendent le monde de la formation en général, et la formation continue en particulier : le doublement du marché d’ici 2030, du fait de l’augmentation de la population active mondiale et de l’obsolescence de plus en plus rapide des compétences, comme les connaissances sur les processus d’apprentissage ont en effet condamné les méthodes pédagogiques basées sur une transmission passive des savoirs avec une évaluation en fin de parcours – mais rarement en situation – et une évaporation au fil de l’eau de tous ceux qui n’étaient pas dans le moule…

Online accompagné

Conscients des enjeux, cela fait déjà plusieurs années que les prestataires ont pris le sujet à bras-le-corps et réfléchi à la manière de faire évoluer leur offre, en s’appuyant notamment sur les technologies. Non sans raisons : elles apportent une réponse à la massification des publics et introduisent la souplesse demandée par les employeurs et par les salariés. « Nous préférons aujourd’hui parler d’évolution que de révolution », souligne François Debois, innovation manager chez Cegos. L’organisme a en effet tiré les leçons des échecs relatifs de l’e-learning dans les années 2000, puis des Moocs dans les années 2010. Si la possibilité de suivre des modules à distance est plébiscitée, se retrouver seul face à son écran en a dérouté plus d’un. « C’est pourquoi nous avons ajouté du coaching pour accompagner les apprenants dans leur parcours. Nous avons aussi introduit des travaux de groupe, soit à distance, soit en face-à-face, dans des programmes d’une durée plus courte, du fait des connaissances acquises en ligne en amont », détaille-t-il.

Les grandes écoles à l’abordage

Cette scénarisation toujours plus poussée des programmes qui peuvent intégrer, si cela apporte de la valeur ajoutée, des serious games ou de la réalité virtuelle, permet également une plus grande individualisation des parcours. Le temps nécessaire pour obtenir une certification dépend ainsi de l’expérience de chacun. « Les traces laissées par les apprenants sont aussi analysées afin de leur proposer d’adapter le niveau de difficulté des modules ou de leur recommander des enseignements supplémentaires pour combler leurs lacunes », rappelle Ivan Ostrowicz, un des fondateurs de Domoscio, une start-up spécialisée dans ces techniques connues sous le nom d’« adaptative learning », qui vient de rejoindre le département e-education de Hachette comme directeur des opérations.

Ce modèle « online accompagné » se décline en version « corporate ». Il a aussi été adopté par les universités et les écoles – y compris par les institutions les plus cotées de la planète – pour séduire toujours plus de candidats. Il y a quatre ans, l’Insead a ainsi été l’une des premières à se jeter à l’eau en lançant une série de huit certificats en ligne centrés sur la stratégie, le leadership ou encore l’innovation. D’une durée de cinq semaines, ils comprennent un suivi par un coach et des travaux de groupes à distance. « Nous souhaitions élargir l’accès de nos formations à tous, quel que soit le pays d’origine. De plus, le déploiement à grande échelle est devenu un impératif, car il faut non seulement former le top management, mais aussi le management intermédiaire aux nouveaux défis que rencontrent les entreprises », illustre Swapnil Chugh, directeur des programmes Online. 90 % des 4 000 inscrits sont allés jusqu’au bout. Un chiffre comparable à celui annoncé par l’IMD, la business school de Lausanne, qui offre treize programmes fonctionnant selon les mêmes principes.

L’EM Lyon vient à son tour d’entrer dans la course : son programme général de management a été entièrement digitalisé. Comme le programme similaire de l’Edhec, qui s’est rapproché de sept autres universités internationales, dont Imperial College, pour accélérer le développement d’une offre en ligne conduite en partenariat avec ses institutions. À HEC, où une première formation diplômante – un master in sciences in innovation and entrepreneurship – ainsi qu’une offre de certificats en ligne ont vu le jour, l’heure est au rapprochement : une plateforme commune à l’école de Jouy-en-Josas, à Polytechnique et à Sciences-Po Paris doit être inaugurée à cette rentrée. Moyennant un abonnement, les entreprises pourront orienter leurs salariés vers des parcours autour de nouveaux enjeux (data, intelligence artificielle…), décomposés en plusieurs modules d’une dizaine d’heures chacun. Ces enseignements s’appuieront sur les expertises technologiques, business et sciences sociales des trois institutions. Objectif : résister, en jouant la carte de la complémentarité, face aux universités américaines, omniprésentes sur les plateformes comme Coursera, qui a fait évoluer son offre, de simples Moocs vers des parcours diplômants ou certifiants structurés.

Learning by doing

Malgré le boom des formations en ligne, les organismes de formation n’ont pas pour autant renoncé à offrir – du moins pour l’instant – des programmes en face-à-face. « Les programmes à distance ont été conçus pour délivrer le maximum de connaissances en un temps limité avec des interactions entre pairs et des feed-back permanents. Mais ils n’offrent pas la même expérience que celle qui peut être vécue sur un campus, où il y aura plus d’interactivité entre les participants. Pour un candidat, le choix entre les deux formules dépend de ses disponibilités et de ses besoins », justifie Paul Hunter, directeur digital learning de l’IMD. S’ils ne disparaissent pas, ces programmes en présentiel poursuivent en revanche leur mue. En témoigne la multiplication des mises à l’épreuve des participants afin d’expérimenter leurs nouveaux savoirs. « Dans chacun de nos certificats, nous avons introduit un fil rouge sous forme de cas pratiques sur le terrain qui vont se dérouler à la fin de chaque module, tout au long du cursus », illustre Nathalie Cerre, responsable des offres certifiantes de Télécom Évolution, le département formation continue d’IMT Atlantique, Télécom Paris et Télécom SudParis. La réalisation de projets permet en outre d’élargir son champ de vision au-delà même de son sujet de prédilection. « En travaillant par exemple sur un projet de déploiement d’un data center, les apprenants vont ainsi devoir aborder des sujets qui y sont liés, comme l’intelligence artificielle ou le cloud », détaille la responsable.

Cette technique du « learning by doing » est aussi plébiscitée par l’Edhec pour ses formations destinées aux cadres dirigeants dispensées en face-à-face. Les participants au programme AMP sont ainsi invités à passer une semaine au large du Mexique, sur un porte-hélicoptères, pour épauler au quotidien les forces armées et réfléchir en situation à la question de la stratégie ou du leadership. « Ces modules n’ont rien à voir avec le team building des années 1980. Aujourd’hui, il n’y a plus de solutions toutes faites, c’est à chacun de trouver la sienne en expérimentant dans des conditions réelles », explique Stéphane Canonne, directeur de l’Executive Education. « De plus, le fait de plonger les participants dans des situations concrètes suscite des émotions propices à l’apprentissage et à la mémorisation », ajoute Nathalie Lugagne, son alter ego à HEC.

Le dur métier d’apprendre

« Toutes ces nouvelles tendances qui visent à faciliter l’accès à la formation sont utiles pour former toujours plus de personnes. Mais attention de ne pas confondre les outils à notre disposition avec la finalité, qui est l’acquisition de nouvelles compétences. Car apprendre demande et demandera toujours des efforts », relativise Denis Reymond, directeur BU Interentreprises de Demos. Un avertissement bienvenu. La réponse au défi de former toujours plus d’individus, et de plus en plus vite, ne se réglera pas d’un seul coup de baguette magique, aussi innovante soit-elle !

Rémy Challe, directeur général d’EdTech France
« Il faut rapprocher les mondes »

Depuis octobre dernier à la tête d’EdTech France, vous avez affiché votre volonté de créer un écosystème vertueux autour des technologies appliquées à l’éducation, afin de créer un marché et de peser dans le débat public. Vous n’avez pas peur de vous mettre les acteurs traditionnels à dos ?

Rémy Challe : Mis à part Open Classroom, les membres d’EdTech France ne sont pas des organismes de formation, mais des entreprises ayant développé des outils qui peuvent aider les organismes de formation à rendre leurs programmes plus efficaces. Après avoir réussi à convaincre les acteurs de l’enseignement supérieur, qui ont signé des accords avec EdTech France, nous travaillons sur un partenariat du même type avec la Fédération de la formation professionnelle.

Une preuve supplémentaire des évolutions actuellement à l’œuvre ?

R. C. : En France, le développement des EdTech est porté par la formation professionnelle, qui représente 70 %. L’innovation vient donc de la formation continue. Or, les EdTech n’ont pas démontré à elles seules leur potentiel d’amélioration : le faible taux de personnes qui vont jusqu’au bout d’un Mooc a semé le doute sur leur efficacité.

Un mariage de raison en quelque sorte ?

R. C. : Nous nous sommes rapprochés de chercheurs en neurosciences pour mieux comprendre cet échec relatif. Nous avons compris qu’il fallait réintroduire de l’humain pour accompagner les apprenants, ce que les organismes savent faire. Ces derniers, quant à eux, sont soumis à d’autres défis : la nécessité de rendre la formation ludique pour intéresser et susciter l’engagement des individus, en multipliant par ailleurs les approches. Les technologies évoluent très vite et nous avons tous intérêt à travailler ensemble.

Auteur

  • Laurence Estival