La réforme de la formation professionnelle attise l’intérêt des organismes qui réfléchissent à rendre leur offre compatible avec les nouvelles règles du jeu. De quoi les inciter à innover.
Le compte à rebours a commencé… En novembre prochain, l’application qui permettra aux individus de gérer leur CPF (compte personnel de formation) sans intermédiaire sera opérationnelle. Quelques clics seulement seront nécessaires pour connaître à tout moment le montant que chacun pourra mobiliser pour suivre une formation, en dehors de celles proposées directement par l’employeur. Après avoir effectué une simple requête en ligne sur la plateforme moncompteformation.gouv.fr, en fonction de leurs besoins en matière de compétences ou de leurs envies dans le cadre d’une reconversion, les 33 millions d’usagers qui ont un compte actif verront ainsi s’afficher une liste de propositions éligibles. Ils pourront choisir directement, et sans demander l’autorisation à quiconque, celle à laquelle ils vont s’inscrire, et la financer en mobilisant leurs droits.
Pour les organismes de formation, qui seront obligés d’obtenir une certification qualité, les enjeux sont importants. Ils sont déjà sur le pont pour alimenter la plateforme dans l’attente du jour J où les comptes exprimés jusque-là en heures vont s’afficher en euros, au taux de conversion de 15 euros par heure… Le chantier est immense car il ne s’agit pas uniquement de faire du copier-coller par rapport à la situation qui prévalait jusqu’à la réforme. Les listes qui recensaient les formations éligibles ont en effet été supprimées et toutes les formations certifiantes enregistrées au RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) pourront être financées par le CPF. De quoi rebattre les cartes et donner du grain à moudre aux prestataires qui s’en sont saisis.
Premier défi : proposer des offres qui répondent à un crédit de 500 euros par an… « Pas si simple compte tenu des investissements nécessaires pour construire un programme de qualité », reconnaît le responsable d’un organisme déçu par le taux de 15 euros de l’heure… Certains envisagent tout simplement de ne pas s’adresser au marché des consommateurs finaux pour se concentrer sur celui des entreprises. « Le nouveau CPF devrait surtout favoriser les formations en ligne, souvent moins coûteuses, pour ne pas dépasser le montant alloué », prédit Christophe Parmentier, fondateur de Clava, un cabinet de conseil en formation qui accompagne les entreprises. Rien d’étonnant si les organismes sont de plus en plus nombreux à faire de l’e-learning la pierre angulaire de leur stratégie d’innovation. D’autant que les progrès réalisés en matière de suivi des apprenants permettent d’individualiser toujours plus le programme dans l’esprit même de la réforme. Pour éviter les décrochages, la plateforme FUN (France université numérique) réfléchit ainsi à la possibilité d’ajouter aux Moocs qu’elle abrite un coaching des participants par un tuteur, moyennant le paiement d’un forfait, finançable dans le cadre du CPF.
Pour ne pas faire exploser la facture, les organismes cogitent aussi sur la possibilité de suivre une formation certifiante, en validant chaque année un certain nombre de modules correspondant à ses droits CPF. « Si, pour 500 euros, il est effectivement difficile de construire une offre cohérente, avec 1 500 euros sur trois ans, on peut imaginer un programme qui permet réellement d’acquérir de nouvelles compétences », souligne Denis Reymond, directeur BU Interentreprises de Demos. Cette réflexion est partagée par une majorité d’organismes qui se sont attelés à la transformation des programmes existants sous forme de parcours découpés en blocs de compétences. Ce travail avait déjà commencé mais la perspective de l’entrée en vigueur de réforme de la formation et la bascule du CPF l’ont accentué. « Nous avons déjà transformé 200 programmes », indique François Debois, innovation manager chez Cegos. Les écoles et les universités ne sont pas en reste. En témoigne la démarche de l’EM Lyon autour de son programme général de management. « Nous l’avons organisé en dix blocs de méga compétences. Chacun d’entre eux a une durée comprise entre trois et cinq mois », explique Emmanuel Clément Mondoloni, directeur digitalisation de l’offre Executive. Ce découpage permet aussi d’accueillir les candidats qui ne visent pas la certification mais qui ont besoin d’une remise à jour sur certaines compétences spécifiques et peuvent donc se contenter de suivre le bloc dédié. De quoi répondre à la demande d’individualisation sous-tendue par la réforme.
« Les candidats souhaitant suivre des programmes longs et diplômants pourront aussi s’adresser à leur entreprise et lui demander d’abonder le CPF afin de coconstruire avec les salariés des parcours dépassant leurs droits, en échange de la mobilisation de ceux-ci », rappelle Nathalie Lugagne, directrice des programmes Executive d’HEC. Combiné à la possibilité, encouragée par la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel, de déposer en amont un dossier de VAE (validation des acquis de l’expérience), le raccourcissement de ces derniers à travers le développement de modules en ligne – ils devraient représenter bientôt 30 % de l’Executive MBA de l’établissement, contre 10 % aujourd’hui – pourrait d’ailleurs favoriser ces dynamiques. Plus que jamais, les spécialistes de l’ingénierie pédagogique explorent de nouvelles combinaisons.
Au-delà du CPF, les prestataires de formation sont également sur le qui-vive pour voir comment la reconnaissance explicite par la loi de la formation en situation de travail, qui a désormais un statut juridique, leur permettrait d’apporter leur expertise sur les apprentissages aux entreprises engagées dans ces démarches. « Il faut réaliser un travail en amont pour bien organiser les séquences », mentionne Denis Reymond. À Télécom Évolution, l’idée de construire, pour des besoins spécifiques, des cours en ligne afin d’aider les salariés qui se verront proposer ce type de dispositif est également envisagée. Tout comme la possibilité de participer à la validation des compétences acquises à l’issue de ces parcours accompagnés par un tuteur.
Si les organismes de formation ne manquent pas d’atouts, pour profiter pleinement de la transformation du CPF qui est le principal axe d’innovation, ils vont devoir séduire le consommateur final, qu’il soit salarié, indépendant ou demandeur d’emploi. « Il s’agit pour eux de passer d’un modèle de B to B à un modèle de B to C en communiquant auprès de publics auxquels ils n’ont pas l’habitude de s’adresser », résume Christophe Parmentier. Un changement de paradigme d’autant plus difficile à gérer que demain, les bénéficiaires du CPF auront la possibilité à l’issue de leur formation de la noter, créant une sorte de TripAdvisor de la formation. Et gare aux mauvais élèves !
Alors que la réforme de la formation professionnelle encourage la création de CFA d’entreprise pour pallier les difficultés de recrutement des employeurs, plusieurs grands groupes sont déjà passés à l’acte, à l’image de Sodexo, d’Accor, d’Adecco, de Schneider Electric ou de Cap Gemini, qui vient d’ouvrir son école pour s’attacher les services des jeunes diplômés de niveau ingénieur. « Pendant trois à cinq mois, ils vont suivre une formation de spécialisation sur des sujets dans l’air du temps (cybersécurité, cloud, expérience client, intelligence artificielle…) », explique Marie Clarous, la directrice de cette nouvelle entité créée en partenariat avec des écoles et des universités. À terme, 400 nouvelles recrues seront intégrées et l’école devrait également accueillir les consultants de l’ESN souhaitant monter en compétences pour évoluer au sein de l’entreprise. Microsoft a lui aussi choisi de former lui-même ses futurs experts en intelligence artificielle, mais également ceux de ses partenaires, soit quelque 240 personnes. Exakis Nelite, spécialiste de l’intégration des solutions du géant américain, est par exemple l’un des premiers, sur la dizaine de partenaires qui devraient être associés, à avoir ouvert il y a quelques mois un de ces établissements coconstruits, bénéficiant par ailleurs de l’apport de l’organisme de formation Simplon. Seize étudiants, sélectionnés sur leur motivation plutôt que sur des critères académiques, ont été accueillis pour une durée de six mois, avec la certitude d’être recrutés à l’issue de ce parcours.