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La réalité virtuelle au service de la formation

Dossier | publié le : 01.09.2019 | Dominique Perez

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La réalité virtuelle au service de la formation

Crédit photo Dominique Perez

Reportage au sein de la société Nema Prévention, à Saint-Nazaire, qui s’est lancée dans la réalité virtuelle. Avec comme première consigne : « No limit » !

La sensation est vertigineuse : juché sur un échafaudage à 45 m de hauteur, il s’agit d’avancer sans faillir, avec toute la vigilance requise. Un seul faux pas, et c’est la chute. Bruits de chantier, fumées d’une chaufferie, trappes qui s’ouvrent pour descendre de deux niveaux si nécessaire, avec, au loin, des collines, un clocher… Les consignes arrivent dans le casque de réalité virtuelle : vous devez progresser, en faisant attention à vous baisser pour ne pas heurter un tuyau, vous prendre les pieds dans une caisse à outils… Pas de précipitation, scanner l’environnement pour ne pas provoquer l’accident. Ici, les formateurs utilisent en toute sécurité la pédagogie par l’erreur. Derrière les écrans, ils conduisent la manœuvre. « Allez rejoindre votre collègue au bout de cette planche, il a besoin de vous, et vite. » Plein de bonnes intentions pour aller lui prêter main-forte à ce fameux camarade, on s’engage, sans prendre garde aux consignes de sécurité de base. Aucune rambarde autour de la petite passerelle, le risque de chute est maximal. Et c’est l’échec.

Un travail collectif

C’est l’une des plus grandes difficultés : l’apprentissage du « non », que la mise en situation permet d’expérimenter. Ne pas suivre des consignes qui peuvent conduire à l’accident fatal, privilégier la sécurité dans toutes les situations… Les conséquences d’un faux pas sont là, vécues immédiatement. Temps d’exposition maximum : 20 minutes. Dans les faits, les stagiaires restent en moyenne sept minutes, en complément d’une formation plus classique. Sept minutes qui suffisent en principe à mesurer les risques. En cas de chute, les sensations mêmes sont fortes. Comme dans la réalité. Peur, palpitant qui s’emballe, haut-le-cœur…

Chez Nema Prévention, société de conseil, d’assistance technique et de formation en santé et sécurité des salariés, située dans la zone d’activité de Brais, à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), la réalité virtuelle est tout sauf un jeu. Pour Florence Geoffroy, cogérante de la société, l’aventure a commencé en 2017, à l’occasion d’une rencontre « d’intelligence collective » organisée par le Centre des jeunes dirigeants (CJD), à Pornichet, près de Saint Nazaire. 700 personnes sont venues avec des questions, des défis à relever pour aborder l’ère de la digitalisation des entreprises. Chacune propose un thème de réflexion sur un Post-it, les entreprises, les chercheurs, les formateurs, les prestataires divers se réunissent en fonction de leurs centres d’intérêt. « Nous avions indiqué deux thèmes : la digitalisation de la formation et l’utilisation de la réalité virtuelle en prévention », explique Florence Geoffroy. Dix participants, venus d’horizons divers, s’installent autour d’une table sur ce deuxième thème, et c’est le début d’une aventure collective. Ce petit groupe se retrouve tous les mois, bénévolement, pour mettre au point un premier outil pédagogique à base de réalité virtuelle. Avec un principe, posé par la société Nema, qui porte le projet : « No limit. »

Pour Christine Guéguan, ingénieure pédagogique, venue participer à ces rencontres sans connaître la société, et qui l’a intégrée depuis, l’expérience est belle. « Le principe était d’ouvrir tous les champs du possible. On partait sans savoir ce qui se faisait ailleurs, sans se mettre aucun frein… » Côté expertises et expérimentation, le bassin de Saint-Nazaire est propice à ce genre d’aventure : depuis 2014, un centre industriel de réalité virtuelle (CIRV), dédié aux technologies interactives, accueille des projets de recherche et d’innovation et des développements industriels. Parmi les utilisations de la réalité virtuelle encouragées, la formation des salariés. « Le CIRV a été emballé par la démarche, et nous encourageait également au “no limit” », explique Florence Geoffroy. Résultat, une première scène est mise au point en huit, sur une thématique cruciale dans le domaine de la prévention sécurité : la chute en hauteur, qui arrive dans le peloton de tête des accidents du travail et qui représente la deuxième cause de décès dans le cadre professionnel.

Inclure du réel dans le virtuel

Ne pas y voir un gadget ou un jeu est donc l’une des premières conditions de réussite. « Même si certains clients sont au premier abord attirés par l’aspect ludique, ce sentiment disparaît avec les mises en situation, assure Florence Geoffroy. D’où l’importance de trouver un prestataire technique totalement à l’écoute, capable de représenter le réel, et le plus proche possible, y compris géographiquement, car la mise en place d’un scénario nécessite beaucoup d’allées et venues. Il faut partir du métier, des conditions réelles d’exercice, et travailler en collaboration étroite. »

Les périodes de test s’enchaînent au cours des huit mois de préparation et le tout-virtuel trouve rapidement… ses limites. Une fois la scène mise en place « en l’essayant, nous avons ressenti un vertige paralysant, témoigne la gérante. Nous cherchions comment nous tenir, nous accrocher à une vraie rambarde, pour nous rassurer ». La formation doit garder un côté sécurisant. La scène « physique » évolue donc. « Il y a un paradoxe avec la réalité virtuelle, poursuit Christine Guéguan. Si nous ne considérions pas le réel, nous risquions de basculer dans un monde “au-delà du réel”, et donc de perdre le sens de la formation. Nous avons donc installé un vrai plancher d’échafaudage, avec des rambardes, afin d’induire un environnement familier et plus sécurisant. Les adaptations viennent ainsi au fur et à mesure. » Y compris avec les clients, qui présentent à chaque fois des problématiques particulières. Si l’environnement graphique ne change pas, le scénario est individualisé en fonction des spécificités de chaque entreprise. 30 000 euros ont été investis dans la mise en place de cette formation, dont 7 000 euros d’aide du fonds Pays de la Loire Territoires d’innovation, de BpiFrance.

Vers la réalité augmentée

Environ 80 % des stagiaires de Nema sont des ouvriers, « des personnes parfois qui ont été en rupture scolaire, et pour qui la formation classique est problématique, souligne Florence Geoffroy. Le fait d’utiliser la réalité virtuelle leur permet non seulement d’apprendre en prenant des décisions, en agissant, mais aussi de ressentir une certaine fierté au retour dans leur entreprise, et même vis-à-vis de leur entourage. L’utilisation des nouvelles technologies change aussi leur manière d’appréhender la formation. La notion de plaisir prend le pas sur la contrainte. » L’utilisation de la réalité virtuelle évolue peu à peu avec les entreprises. D’autres usages surgissent, susceptibles d’intéresser également le management, dans des secteurs d’activité ou pour des fonctions qui n’ont pas forcément grand-chose à voir avec les travaux en hauteur. « Transmettre des consignes, modifier son comportement dans la gestion de l’équipe, voire réaliser des tests de recrutement… Des nouvelles demandes apparaissent », constate Florence Geoffroy.

Après la mise en œuvre d’un simulateur de conduite de nacelle, l’organisme va se lancer dans un autre projet : un nouveau bâtiment de 500 m, jouxtant l’atelier pédagogique actuel, consacré à la formation des conducteurs d’engins grâce à la réalité augmentée. Munis, non d’un casque, mais d’une visière leur permettant de visualiser l’environnement réel, les stagiaires verront apparaître par l’intermédiaire de cette visière divers obstacles « virtuels » beaucoup plus réalistes que les plots posés sur leur chemin, jusqu’alors utilisés pour représenter le circuit d’un engin de chantier. Camions, piétons, machines-outils… Un investissement lourd, d’un montant d’environ 600 000 euros, qui permettra la formation mais pas l’évaluation des stagiaires au certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (Caces) d’engins de chantier. Car les nouvelles technologies ne sont pas encore toujours reconnues par le législateur…

Auteur

  • Dominique Perez