Sociologue du travail, professeur à l’École de management de l’université Paris-I
Jean-François Amadieu : Si l’on observe le parcours des dirigeants des grandes entreprises françaises, nous sommes plutôt dans un système de reproduction sociale. Évidemment, cela n’existe pas qu’en France… Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que le mot mixité s’applique avant tout aux femmes ou à l’origine ethnique, mais pas à l’origine sociale. Au point que, alors qu’il existe une convention internationale concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession, comme celle de l’OIT entrée en vigueur en juin 1960 qui mentionne explicitement l’origine sociale, la loi française de 2001 a bien repris le terme d’origine, mais l’adjectif – « sociale » – a disparu… Il y a donc clairement un embarras sur la question.
J.-F. A. : Prenez l’exemple du CV anonyme pour les entreprises de plus de 50 salariés, hérité de la loi de 2006, abrogée en 2015. Les DRH ne l’aimaient pas. Au nom de la plus grande information possible pour faire leur choix en matière de recrutement. Au nom de la liberté de faire appel aux réseaux, pour les mêmes raisons… De même, pour les stages des collégiens, des lycéens et des étudiants dans le monde du travail, c’est souvent le réseau qui fonctionne : on trouve un bon stage pour son enfant, on recommande, on coopte. Autant dire que le marché de l’emploi est loin d’être réellement concurrentiel. Si la mixité, en matière de genre et d’origine ethnique, voire de territoires, a bénéficié d’efforts ou de lois, la mixité sociale est le dernier bastion, et il sera difficile à conquérir.
J.-F. A. : Le CV anonyme existe en Australie, au Royaume-Uni, et les entreprises l’appliquent ! Reste aussi le dialogue social. Toutefois, il n’est pas rare que « ceux d’en bas » soient critiques, considérant que leur parole n’est pas écoutée. Enfin, il existe des réseaux, comme le Réseau national des entreprises pour l’égalité des chances dans l’Éducation nationale, qui œuvrent en faveur de la réussite scolaire, de l’orientation et de l’insertion professionnelle des jeunes issus de milieux défavorisés. Environ 90 entreprises en sont membres. Signe qu’elles sont conscientes de l’importance de favoriser les gens en fonction de leurs origines sociales avant l’entrée en entreprise.