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“Le Gouvernement semble préférer l’étatisme au paritarisme”

Actu | Entretien | publié le : 01.09.2019 | Benjamin d’Alguerre

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“Le Gouvernement semble préférer l’étatisme au paritarisme”

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Le n° 1 de FO dénonce une reprise en main unilatérale de l’État sur les dossiers sociaux au mépris de la négociation collective. Dernier en date, celui des retraites, contre lequel il appelle à la mobilisation des travailleurs fin septembre.

Quasiment deux ans après les ordonnances travail, quel bilan tirez-vous de la mise en place des CSE. Les « innovations » que les entreprises étaient encouragées à développer en matière de dialogue social sont-elles au rendez-vous ?

Yves Veyrier : Globalement, non. Le CSE a été présenté aux interlocuteurs sociaux comme un outil susceptible de libérer la créativité et le dialogue social dans les entreprises. Mais trop souvent, les employeurs s’en sont emparés dans une optique purement économique, y voyant l’occasion de réduire le nombre d’instances, de mandats et de délégations. La disparition du CHSCT est particulièrement alarmante à l’heure de nouveaux risques liés à des formes nouvelles d’organisation du travail, aux facteurs psychosociaux. Faute de temps et de moyens, il y a toutes les chances que les CSE se concentrent en priorité sur les grands dossiers de la négociation d’entreprise, comme les salaires ou le temps de travail, reléguant les questions de santé et de sécurité au travail au deuxième plan. Avec la concentration des responsabilités, on risque de voir se créer une forme de professionnalisation des élus des CSE. Ce qui, ajouté à la centralisation du dialogue social induite par la réduction des instances, pourrait avoir pour conséquence de rendre la représentation concrète des salariés moins efficace, moins fine, car moins spécialisée. Cette fusion des instances a beaucoup plus à voir avec l’idéologie qu’avec la volonté de redonner de l’innovation au dialogue social. Le bilan de la négociation collective 2018 fait état de 47 700 accords signés dans les entreprises, et de 1 288 dans les branches ! Belle démonstration de dynamique et créativité qui n’a pas attendu les CSE !

La branche, justement, est un échelon que FO a toujours défendu. Mi-juillet, les cinq organisations représentatives ont adressé un courrier à la ministre du Travail lui enjoignant de respecter le rôle de régulateur des branches. Y a-t-il danger en la matière ?

Y. V. : Oui. Malgré les ordonnances, les interlocuteurs sociaux ont pu conserver treize domaines de négociation dans le giron de la branche et quatre sujets pour lesquels elle peut rendre des dispositions impératives. Parmi ces prérogatives de branche demeure la fixation du salaire minimum hiérarchique (SMH). Or, le ministère du Travail bloque l’extension de certains accords de branches fixant ce SMH (métallurgie, bijouterie-joaillerie, commerce de détail…) au prétexte que leurs dispositions ne sont pas conformes à sa définition du champ des dispositions interrogeables. Pour nous, c’est une atteinte au principe de la liberté de négociation collective définie par l’OIT.

En juillet, encore, le Gouvernement a abrogé la convention Unédic 2017 pour la remplacer par un « règlement » de son cru. Y a-t-il ingérence dans le pré carré des partenaires sociaux ?

Y. V. : L’exécutif a engagé la réforme de l’assurance-chômage avec un parti pris purement comptable, en exigeant dans sa lettre de cadrage que les partenaires sociaux réalisent une économie de 3,7 milliards d’euros sur les règles d’indemnisation pour les trois prochaines années. Ces conditions étaient intenables sans détériorer les droits des chômeurs. Le Gouvernement a donc repris la main, comme il avait menacé de le faire, en rédigeant cette nouvelle convention par laquelle il s’autorise à augmenter de 370 millions le budget de Pôle emploi et confie au ministère du Travail le soin de revaloriser les indemnités chômage. Dans cette configuration, le CA de l’Unédic n’a plus qu’un rôle consultatif. L’exécutif semble vouloir reproduire avec l’assurance-chômage ce qui existe déjà avec les dépenses santé, débattues annuellement au Parlement dans le cadre des PLFSS. Ce mouvement a été engagé avec le transfert des cotisations salariales de l’assurance-chômage vers la CSG. Le Gouvernement semble préférer l’étatisme au paritarisme.

L’État avait pourtant prévenu : il reprendra le contrôle là où les partenaires sociaux ne parviennent pas à s’entendre. On l’a vu récemment sur le bonus-malus, et le risque pèse désormais sur la santé au travail…

Y. V. : Je regrette que nous ne soyons pas parvenus à engager les employeurs sur une discussion sérieuse à propos de la réduction de l’usage des contrats très courts. Nous soutenions l’idée d’un ciblage des secteurs recourant structurellement aux CDD de courte durée (agriculture, hôtellerie-restauration…) et d’une variation des cotisations patronales de 3 à 6 %, en fonction du taux d’abus. Selon les calculs de l’Unédic, 17 % des entreprises auraient subi le malus avec ce système, mais 82 % en auraient été exonérées, voire auraient bénéficié du bonus ! C’était à la fois raisonnable et incitatif pour se montrer vertueuses. Malheureusement, le lobbying patronal aura été le plus fort. La négociation sur la santé au travail, de son côté, est arrivée à un point de blocage à cause des divergences de points de vue entre interlocuteurs sociaux sur l’organisation du système ou sur la médecine du travail. Mais elle n’est pas terminée pour autant, et devrait reprendre en septembre. À l’heure de la multiplication des risques psychosociaux et de l’enjeu du burn-out ou des conséquences des nouveaux modes de travail (coworking, télétravail, utilisations d’exosquelettes…) sur la santé des salariés, il n’est pas acceptable d’imaginer les interlocuteurs sociaux écartés du système.

Autre sujet à l’agenda : la réforme de la fonction publique. FO reste le premier syndicat dans la fonction publique d’État et a conquis la deuxième place dans la fonction publique hospitalière. Le sujet doit être particulièrement sensible pour vous.

Y. V. : Le Gouvernement pratique un double discours sur cette réforme. D’un côté, il promet qu’il ne touchera pas au statut des agents publics ; mais de l’autre, il annonce qu’il recrutera de plus en plus de contractuels de droit privé. On en compte déjà 20 % dans les effectifs ! Pour FO, la fonction publique n’est pas réductible à une « dépense » dans le budget de l’État, mais constitue un ensemble de services qui doivent rester accessibles à chaque citoyen, partout sur le territoire. Le mouvement des « gilets jaunes » a d’ailleurs exprimé le besoin de services publics de proximité. Les maisons France services que le Gouvernement a prévu de déployer ne sont pas une réponse : les usagers y rencontreront surtout des agents insuffisamment formés, qui devront être polyvalents, souvent contractuels si on suit sa logique, et dont la fonction principale risque de se limiter à expliquer comment utiliser les sites Internet de l’administration…

À propos de la réforme des retraites, FO avait un slogan : « Retraite par points, travail sans fin. » Le partagez-vous toujours après la présentation du rapport Delevoye ?

Y. V. : Au-delà du slogan, on constate que l’exécutif gère son projet de réforme des retraites comme celle de la fonction publique. Il y a d’un côté la com – la promesse de ne pas toucher à l’âge de départ à 62 ans – et de l’autre, la réalité : il faudrait au moins atteindre 64 ans pour partir avec une retraite à taux plein. Nous sommes à l’époque des carrières fluctuantes où les individus peuvent connaître des périodes de vaches maigres (chômage, temps partiel subi, CDD…). Or, il faudra acheter des points tout au long de la carrière, y compris durant ces périodes, au lieu d’un calcul sur les 25 meilleures années par exemple. Des points dont la valeur de service ne sera d’ailleurs connue qu’au moment de faire valoir les droits et dépendra donc de celui qui la fixe. L’âge de 62 ans deviendra celui de l’ouverture légale des droits, tandis que l’« âge d’équilibre » à 64 ans celui du départ effectif dans le meilleur des cas. Sans compter que même pour les professions dont la pénibilité ouvre droit à départ anticipé, le départ réel sera lié à l’âge d’équilibre et risque donc d’évoluer avec lui. Avec cette réforme, le Gouvernement cherche avant tout à réaliser des économies et à faire porter la responsabilité des déficiences des politiques économiques en matière d’emploi aux régimes de protection sociale, en passant doucement à un système de retraites d’État qu’il pilotera. Pour l’instant, on ne sait pas ce que le Premier ministre retiendra du rapport Delevoye, c’est pourquoi nous appelons les travailleurs à se mobiliser le 21 septembre pour dire non à cette réforme.

Yves Veyrier

Élu en novembre 2018 à la tête de FOrce ouvrière, Yves Veyrier a ré-ancré le syndicat dans le sillon du réformisme après la parenthèse Pavageau. Ingénieur des travaux de la météorologie, il a rejoint la météorologie nationale (aujourd’hui Météo-France) en 1984, avant de prendre ses premières responsabilités chez FO l’année suivante, puis de diriger la Fédération de l’équipement et des transports de 1995 à 2004, date de son entrée au bureau confédéral, où il est en charge de la presse et de la communication depuis 2010. Reconnu pour son expertise des normes internationales du travail, il a siégé à l’OIT (il est encore le vice-président de son comité de la liberté syndicale), au CISL et à la CES. En France, il a représenté FO au CESE de 2007 à 2015.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre