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Comment l’intelligence artificielle transforme-t-elle la fonction RH ?

Idées | Recherche | publié le : 01.06.2019 | Cécile Dejoux

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Comment l’intelligence artificielle transforme-t-elle la fonction RH ?

Crédit photo Cécile Dejoux

Après avoir accompagné la transformation des organisations, des méthodes de travail et des métiers avec le numérique, les DRH se retrouvent face à un nouvel enjeu : faire accepter aux collaborateurs les bénéfices des solutions d’intelligence artificielle (IA), afin qu’elles deviennent des opportunités de création de valeur et de transformation des métiers.

La première étape pour la fonction RH consiste à s’appliquer ce principe à elle-même. En d’autres termes, il s’agit de comprendre comment l’IA transforme la fonction RH dans la diversité de ses champs d’application.

L’IA en quelques mots… et la RH Tech

L’IA est un domaine rassemblant diverses techniques de traitement et d’analyse de données qui existent depuis les années 1950. Depuis une dizaine d’années, les progrès des techniques d’apprentissage telles que le machine learning et les réseaux neuronaux ont ouvert de nouveaux champs d’application (reconnaissance faciale, vocale, outils d’aide à la décision, algorithme de prédiction, d’analyse, de recommandation, etc.) bénéficiant d’un contexte très favorable reposant sur de forts investissements, le développement du cloud, la miniaturisation des processeurs, l’augmentation des volumes de données avec Internet, l’arrivée d’algorithmes avancés, et la puissance de calcul et de stockage1.

De nombreuses solutions techniques utilisant de l’IA sont apparues dans plusieurs domaines RH, portés par des start-up ou des grands groupes (Axa, L’Oréal, Thales…). La RH Tech2 a augmenté de 175 % entre 2014 et 2017. En France, on compte à peu près 600 start-up innovantes en RH et numérique, dont une centaine dans la RH et l’IA. Au niveau international, les investissements dans l’innovation RH s’élèvent à 2 milliards d’euros en 20163. Les solutions d’IA en RH vont être amenées à se développer. L’une des nombreuses questions qui se posent alors est de savoir quel va être la nature de l’apport des start-up RH, intégrant de l’IA, dans les domaines RH actuels ?

Nouvelle cartographie des domaines RH actuels concernés par l’IA

Dans le cadre du centre de recherche-action, le Learning Lab Human Change-Julhiet Sterwen, hébergé par la Fondation du Cnam, nous avons identifié, testé, analysé et cartographié les start-up qui font de l’IA tech en RH en France, entre 2017 et 2019. Les conclusions de nos travaux révèlent une typologie des transformations apportées par les solutions IA en RH autour de quatre axes.

• Les disrupteurs

Ce groupe comprend les domaines RH disruptés par l’IA. Cela signifie que les principes fondamentaux de structuration du domaine sont remis en cause. Un de ces domaines concerne le recrutement qui passe d’une logique de cadre à une logique de preuve .

Le domaine du recrutement , et plus particulièrement celui de la présélection des candidatures, représente un champ d’expérimentation pour l’IA. Des start-up proposent de faire remonter des profils de candidats sans recourir au CV, aux diplômes ou à l’expérience. Leur positionnement s’appuie sur du matching affinitaire (clustree), du matching prédictif (HireSweet) ou de la construction de smart data (Goshaba).

Il ne suffit plus de savoir , c’est-à-dire de posséder un diplôme ou des qualifications, ou d’avoir fait , comme disposer d’une expérience ou de recommandations, pour correspondre à un profil, mais de faire-savoir , en valorisant son portfolio de compétences, et de démontrer ses compétences en temps réel, par exemple en réussissant un serious game ou en participant à deux jours en entreprise au sens de la « pisicine »4.

Les solutions d’IA font remonter des profils de CV qui n’étaient pas présélectionnés antérieurement. Par exemple, Unilever utilise depuis 2016 l’IA pour le recrutement, avec le jeu de neuroscience cognitive réalisé par Pymetrics. Grâce à cette solution, le nombre d’embauches est passé de 63 % à 83 % en 2017.

Ces techniques sont performantes pour des postes à basse qualification sur des marchés en tension. Plus les postes nécessitent un nombre de compétences élevées et complexes, plus les limites sont nombreuses. Par exemple, les candidats juniors sans expérience professionnelle mais avec un fort bagage de connaissances diplômantes sont désavantagés. Il s’agit d’un biais de construction.

• Les challengers

Ce groupe comprend les domaines RH qui intègrent de nouvelles fonctionnalités grâce à l’IA, ou dont certaines activités évoluent rapidement. Ainsi, le domaine de la formation passe d’une logique d’acquisition des compétences métiers à une personnalisation des parcours grâce à l’IA .

Les techniques de formation évoluent grâce à l’IA avec les learning analytics5, qui permettent de traçer la façon d’apprendre des candidats et d’individualiser les propositions de développement des compétences. À ce jour, les solutions IA qui fonctionnent réellement sont peu nombreuses. On peut citer Kneeton et Edcast.

Ainsi, la posture de l’entreprise qui proposait des contenus de formation plus ou moins digitaux à destination de cibles métiers prédéfinies se doit d’intégrer un nouveau champ permettant qu’une partie de l’offre de formation soit individualisée grâce à l’IA. La question qui se pose, au-delà du tri entre les solutions IA qui fonctionnent et celles qui surfent sur la promesse, est de savoir comment rentabiliser l’engagement et la rétention de ces profils formés sur mesure, à leur propre vitesse.

• Les optimisateurs

Ce groupe comprend les domaines RH qui gagnent en efficacité, en temps et en performance grâce à l’IA. Ainsi, ces domaines passent d’une logique de performance fondée sur la rationalisation à une logique de performance fondée sur la prédiction.

Les solutions d’IA optimisent la gestion des effectifs, d’un point de vue quantitatifs avec des tableaux de bord réalisés en temps réel, et d’un point de vue qualitatif avec des solutions d’IA qui prévoient une probabilité de départ des collaborateurs avant qu’ils ne l’aient décidé (cf. : Google).

L’IA permet d’améliorer la prévention et le bien-être au travail . Ainsi, la marie de Paris s’est dotée d’un algorithme qui identifie les éventuels accidents de travail pouvant survenir, en se fondant sur l’âge, le type de contrat, l’ancienneté ou les maladies professionnelles.

La rémunération est également optimisée par des solutions d’IA qui proposent des chatbots d’informations conçus comme des assistants personnels en self-service. Par exemple, la solution cloud Beqom s’intègre directement dans la suite RH, quel que soit le SIRH initial.

Ainsi, dans ce contexte d’optimisation, les solutions IA en RH optimisent des processus, élaguent des étapes, apportent de nouvelles informations sous la forme d’outils d’aide à la décision. La question qui se pose alors est de repérer les nouveaux domaines de valeur ajoutée des personnes qui auront du temps libéré.

• Les intégrateurs

Ce groupe fait référence aux solutions IA qui permettent de mettre en relation plusieurs domaines IA dans une logique de dessilotage et de circulation de flux de communication. Ces domaines se positionnent comme des agrégateurs d’activités RH.

Des start-up en IA proposent des solutions pour fluidifier la gestion de la mobilité qui allient évaluation, formation, proposition de parcours, de postes et de programmes de développement de compétences. Par exemple Worday s’appuie sur l’IA cognitive de Watson et propose des solutions de capital humain qui, en France, sont limitées avec la RGPD, alors qu’elles peuvent être individualisées dans d’autres pays.

D’autres solutions d’IA en RH se concentrent sur l’optimisation de l’expérience RH pour attirer, capter et optimiser la gestion des talents . Ainsi, la start-up Talentsoft vient de boucler un tour de table de 45 millions d’euros. Elle concurrence les solutions d’IA en RH de SAP, Cornerstone ou Oracle.

Ce groupe est à la croisée entre les RH et l’informatique. Dans quelle mesure y aura-t-il entente équilibrée entre ces deux fonctions ?

Nous avons surtout présenté des start-up IA en RH, mais de nombreuses entreprises développent en mode « test and learn » des projets IA en RH6. En effet, comme nous l’avons décrit dans l’ouvrage « Métamorphose des managers à l’ère du numérique et de l’IA », les dirigeants ont bien conscience que la fonction RH a un rôle stratégique d’accompagnement dans la transformation avec l’arrivée de l’IA dans le quotidien des collaborateurs.

Cécile Dejoux

Cécile Dejoux, professeure des universités au Cnam, affiliée à l’ESCP Europe et intervenante à l’ENA et conférencière. Fondatrice et directrice de la Chaire Learning Lab Human Change-Julhiet Sterwen, sur le futur du travail et du learning, elle est également créatrice des MOOCs « L’intelligence artificielle pour les managers et leurs équipes » et « Du manager au leader : devenir agile et collaboratif » sur Fun-Mooc.

(1) Pour aller plus loin avec de nombreuses interviews sur IA et RH : MOOC gratuit « L’IA pour les managers et leurs équipes ».

(2) La RH Tech comprend des start-up innovantes à la fois dans le domaine du numérique et de l’IA.

Auteur

  • Cécile Dejoux