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« Restaurer la confiance entre ceux qui décident et ceux qui exécutent »

À la une | Entreprise et autorité | publié le : 01.06.2019 | Lys Zohin

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« Restaurer la confiance entre ceux qui décident et ceux qui exécutent »

Crédit photo Lys Zohin

Ancien chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers est désormais président d’une société de conseil en stratégie. Il travaille également pour le Boston Consulting Group, à la transformation des organisations. Il a publié « Servir » (Fayard, 2017) et « Qu’est-ce qu’un chef ? » (Fayard, 2018).

Vous vous décrivez comme un « praticien de l’autorité », comment définissez-vous l’autorité en général ?

Pierre de Villiers : Je crois que l’autorité est un mot-clé aujourd’hui dans le fonctionnement de notre société, dans l’armée comme dans les entreprises. Grâce à mes nouvelles activités, je vois un parallèle très fort en matière de préoccupations entre ce que j’ai vécu pendant mes 43 années au sein de l’armée et ce que je vois à présent dans l’entreprise. Ce sont les mêmes problématiques – de contexte géostratégique, de leadership, d’exercice de l’autorité, de management, de conduite de la transformation des organisations – et c’est la même pâte humaine, en particulier la même jeunesse.

Pour répondre plus directement à la question de l’autorité, on peut d’abord la définir par la négative. Ce n’est ni la dureté froide ni la mollesse tiède, qui sont deux extrêmes à éviter. Revenons à l’origine du mot « auctoritas », en latin, qui veut dire « faire grandir », « faire croître ». La croissance est bien un mouvement du bas vers le haut, et pas le contraire. Si l’on revient au mot latin, nous avons une partie de la réponse à la question. Avec l’autorité, il s’agit de faire croître, c’est-à-dire instaurer la confiance – mot-clé – entre ceux qui sont au sommet et ceux qui sont à la base, ceux qui décident et ceux qui exécutent. Ce flux de confiance, montant et descendant, est l’une des clés de l’autorité réussie. Quant à la confiance, elle est ce qui crée l’obéissance active ou l’obéissance d’amitié : on obéit à son chef parce qu’on l’aime, parce que c’est un ami. Bien sûr, ce n’est pas simple, mais l’objectif, c’est bien celui-là, celui de créer cette obéissance d’amitié. À ce moment-là, nous sommes dans la vraie autorité. Et c’est pour cela que je dis, lorsque je parle d’autorité, que toute autorité est un service : on est au service de l’autre lorsqu’on est subordonné comme lorsqu’on est chef.

D’ailleurs, c’est le sujet de mes deux livres. Le premier, « Servir », s’inscrit plutôt du côté du subordonné, tandis que « Qu’est-ce qu’un chef ? » est de l’autre.

Comment cette autorité est-elle appliquée dans les entreprises ?

P. D. V. : Je travaille avec des sociétés du CAC 40 dans mes activités pour le Boston Consulting Group, mais je collabore aussi avec l’Association pour le progrès du management, qui s’adresse plutôt à des PME. Est-ce que les organisations pratiquent l’autorité au sens où je l’entends, c’est-à-dire en remettant l’homme au centre ? Oui, mais il y a une belle marge de progrès… Ce qui est clair, c’est que les organisations cherchent à pratiquer de plus en plus ce type d’autorité. J’en veux pour preuve le nombre de demandes d’interventions que je reçois ! Bien sûr, la transformation des entreprises doit s’appuyer sur un projet stratégique, la digitalisation, les gains de productivité… Mais pour réussir, il faudra également le pilier humain que l’on a eu tendance à oublier. Et voilà qu’on y revient ! Comment peut-on fédérer les équipes autour d’un projet, dans un monde en rupture (géostratégique, technologique, sociétale, voire anthropologique), et comment peut-on restaurer la confiance, avoir de vrais chefs, récréer de l’adhésion et du lien social ? Telle est la question. La prise de conscience est là, de même que la volonté. Certaines organisations y parviennent, d’autres ont encore du chemin à parcourir. Parfois, c’est la prise de conscience et la conviction personnelle des dirigeants qui en sont la source. Ou bien les directions des entreprises ont compris que la performance financière passera aussi par la performance humaine et l’indice de motivation des salariés. D’ailleurs, elles disent « aussi » alors que je dis « surtout »… Quoi qu’il en soit, il y a bien reconnaissance de cette nécessité d’un retour aux fondamentaux que sont la motivation des salariés et la recherche de sens. Certes, on peut être convaincu de remettre l’humain au centre sans le faire, mais il n’en reste pas moins que la première étape, c’est d’en être convaincu ! Ensuite, deuxième étape, il faut mettre en cohérence pensée et actions. Enfin, cette cohérence se maintient avec des actions concrètes au quotidien. Ce qui n’est pas forcément aisé. Je connais des patrons de grands groupes qui sont convaincus, mais qui n’y arrivent pas. Pourquoi ? Je crois que le capitalisme, lorsqu’il devient une idéologie, au sens où la finance en est le premier critère, entraîne à l’excès. Or, la finalité d’une entreprise, c’est certes la performance – économique et financière –, mais c’est d’abord être au service des hommes et des femmes. Quand on part de ce postulat et que l’on privilégie la finalité, tout en coordonnant les moyens au service de cette finalité, alors on arrive à des résultats exceptionnels. Quand le moyen – financier ou organisationnel – devient la fin, alors on bute sur l’essentiel, l’épanouissement des hommes et des femmes que l’on a l’honneur de diriger. Nombreux, aujourd’hui, sont les facteurs de déshumanisation qui mettent les dirigeants en difficulté. Je pense ainsi à la situation géostratégique très instable (du climat au terrorisme, en passant par les migrations), qui perturbe les entreprises dans leur fonctionnement. Je pense au stress, qui fait que l’on est toujours pressé et toujours sous pression, et qui déshumanise également, puisque ce qui passe à la trappe lorsqu’on n’a pas de temps, ce sont les relations humaines et l’intérêt que l’on porte aux autres. De même, les changements technologiques font croire que l’humain devient une variable d’ajustement, ce qui n’est pas le cas. La clé de la victoire, en opérations militaires, restera toujours l’humain, y compris avec les drones et l’intelligence artificielle.

Autre élément, la crise de l’autorité et l’éloignement du pouvoir. Dans l’entreprise, les collaborateurs ne savent plus qui décide, du fait de la mondialisation, du temps qui se raccourcit, des circuits de décision de plus en plus complexes, du nombre de managers intermédiaires, de l’horizontal et du vertical, qui se coordonnent parfois difficilement, sans oublier la multiplicité des chantiers à conduire… Enfin, dernier facteur de déshumanisation : l’individualisme. Les entreprises doivent faire avec ce nouveau phénomène. Je cite souvent cet exemple : au Kosovo, en 1999, lorsque nous revenions d’une opération difficile, les jeunes allaient au foyer boire un verre ensemble. En 2007, en Afghanistan, après des opérations encore plus dures, les jeunes se mettaient devant leur ordinateur… Un changement total de comportement… Et voici qu’il y a comme un anticorps qui apparaît, avec ce besoin de réhumanisation que nous constatons aujourd’hui.

C’est vrai pour nos entreprises comme pour nos sociétés, notamment occidentales.

Comment réhumaniser l’entreprise ? Doit-on former les dirigeants ?

P. D. V. : Quatre mots-clés pour réhumaniser. Le premier : restaurer la confiance entre ceux qui décident et ceux qui exécutent, comme je l’ai déjà mentionné. Deuxième mot-clé : exercer une vraie autorité, selon la définition que j’en ai donné. Troisièmement : revenir à la stratégie et abandonner la tactique du court terme – par définition, un chef d’entreprise doit penser long terme. Et enfin, leadership. Pour l’heure, je vois beaucoup de managers et pas assez de leaders. Les entreprises ont des professionnels compétents qui savent à peu près gérer les équipes, mais elles n’ont pas de leaders ! Souvenons-nous que pour obéir d’amitié, il faut des leaders, capables d’avoir une vision et d’entraîner. Aujourd’hui, on cherche le sens. Mais le sens se trouve dans la vision ! Et la simple compétence ne suffit pas ! Je vois de très bonnes écoles de commerce qui apportent les compétences nécessaires au management, mais elles peuvent faire de nombreux progrès en matière de leadership. Et il faut effectivement former les hauts et très hauts potentiels. L’urgence est donc de réintroduire dans nos dispositifs de formation cette conviction que l’homme doit être le principal enjeu des décideurs. Le mouvement – dans les grandes écoles de commerce, par exemple – est en marche. Les millennials veulent de l’humain, et si nous recrutons tant de jeunes à l’armée, c’est pour cette raison, pour ce sens, ce supplément d’âme. Notre jeunesse a ces qualités pour faire face à ces enjeux et réhumaniser nos entreprises. Et elle le demande.

Quelles qualités un leader doit-il avoir ?

P. D. V. : La première, indispensable mais non suffisante, c’est l’exemplarité. Combien de fois ai-je vu des fautes de comportement de la part de dirigeants qui exigent néanmoins une grande rigueur de leurs subordonnés ! L’exemplarité repose sur une exigence de vie personnelle, une discipline, une éthique. C’est le pendant de l’autorité. Car avec le pouvoir viennent la responsabilité et ses contraintes ! Deuxième qualité : le naturel, la spontanéité, la sincérité, la vérité, tandis que certains sont en représentation et se contentent d’éléments de langage… Bref, il faut du cœur, ainsi que du courage pour décider ou simplement dire la vérité. Je vois beaucoup de managers qui n’ont pas ce courage. Quand vous avez des chefs de caractère, qui échangent clairement, on est dans une vraie autorité, qui suscite la responsabilisation de tous avec une subsidiarité, qui fait que l’on délègue la décision à des échelons plus bas, auprès de professionnels qui savent davantage. La confiance est donc une clé.

Autre qualité, qui manque parfois : l’humilité. Même si on a beaucoup de savoir, de diplômes, d’expérience et de certitudes. Surtout, d’ailleurs, lorsqu’on a beaucoup de certitudes, il faut rester modeste et humble ! Un vrai chef est un mendiant d’humilité. En fait, plus vous êtes haut placé dans la hiérarchie, plus vous devez développer cette modestie et cette humilité. Et pour cela, il faut avoir des contre-pouvoirs par rapport aux courtisans. Car plus vous êtes orgueilleux, plus les courtisans vous isolent et génèrent la concentration du pouvoir, et donc la déshumanisation.

Enfin l’ouverture aux autres, l’écoute, le dialogue, le pardon sont des qualités essentielles. Le chef doit toujours vérifier qu’il a bien été compris… Et l’on est toujours récompensé lorsqu’on se met au service des autres.

Êtes-vous optimiste ?

P. D. V. : Dans les grands groupes, c’est encore difficile, d’autant que certains dirigeants n’ont pas toujours eu la volonté de l’épanouissement des collaborateurs. Mais, oui, je suis optimiste ! Ce n’est pas qu’un effet de mode, sinon, je n’aurais pas tant de demandes de la part des chefs d’entreprise qui m’invitent à intervenir dans leur organisation. Il y a donc bien un déclic. Reste le passage de la conviction à l’action, et l’on ne procède pas par décret. Un nouveau modèle RH prend dix ans à se mettre en place.

Auteur

  • Lys Zohin