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Suffit-il de légiférer pour garantir l’égalité femmes-hommes dans les entreprises ?

Idées | Débat | publié le : 01.05.2019 |

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Suffit-il de légiférer pour garantir l’égalité femmes-hommes dans les entreprises ?

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Depuis le 1er mars 2019, les entreprises de plus de 1 000 salariés doivent publier leurs résultats à différents critères, constituant un « index de l’égalité salariale » entre les hommes et les femmes. Celles qui affichent les meilleurs scores les ont largement diffusés. Mais est-ce assez ? La question peut également être posée en d’autres termes…

Jean-Michel Monnot : Membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et fondateur du cabinet All Inclusive !

« Je déteste les quotas, mais j’adore ce qu’ils font », avait dit l’ancienne commissaire européenne Viviane Reding à Davos en 2013. Oui, la loi nous aide à progresser, et elle est malheureusement indispensable. Nous avons en France un arsenal législatif complet qui a fait bouger les lignes, mais le constat s’impose malgré tout : nous sommes loin de l’égalité entre les femmes et les hommes. La loi ne peut pas tout, et, surtout, elle ne suffit pas à changer des cultures ancrées depuis longtemps dans nos vies. Elle peut par exemple sanctionner le sexisme, mais elle ne peut pas l’éliminer ou le faire reculer.

Le mot-clé est : éducation. Nous savons que les stéréotypes de genre sont déjà ancrés entre 5 et 7 ans, parce que les enfants grandissent dans une culture qui leur donne des repères qui changent peu de génération en génération. Dans la famille, à l’école, nous transmettons et nous partageons nos expériences. L’éducation devrait donc être revue dès ce moment-là pour promouvoir l’égalité femmes-hommes.

L’éducation a toute sa place dans le monde du travail, et les entreprises qui veulent avancer doivent prendre le temps de former. Former à l’inclusion, aux stéréotypes, aux biais : en découvrant que nous ignorons la réalité des autres, que nous avons des filtres, nous devenons conscients de nos « bugs » et capables de changer. Aucune organisation ne progresse réellement sans faire cet effort, ce qui veut dire qu’il faut déjà en comprendre l’intérêt. Si la mixité est considérée comme un sujet « sympa », pas question d’y consacrer un budget. Si c’est un enjeu vital, alors la mixité s’intègre dans la stratégie de l’entreprise (pas juste la stratégie RH) et on y accorde les mêmes moyens qu’au marketing ou au développement commercial. Il me paraît essentiel de former les femmes et les hommes, ensemble. Beaucoup d’entreprises considèrent encore qu’elles ont un problème avec les femmes : elles ont un problème avec la mixité, et les hommes doivent être investis dans toutes les actions, car rien ne se fera sans ou contre eux.

Jean-Michel Monnot galement coauteur du livre « Mixité, quand les hommes s’engagent » (éd. Eyrolles).

Martine Liautaud : Fondatrice et présidente de la banque d’affaires Liautaud & Cie et de la Women Initiative Foundation

Alors que j’étais, à l’origine, contre les quotas, je me suis convertie après avoir observé la proportion de femmes dans les conseils d’administration, avant l’adoption de la loi Copé-Zimmermann. Légiférer sert à quelque chose. Il suffit de comparer la situation qui prévaut au Canada et aux États-Unis, deux pays qui n’ont pas de quotas d’administratrices… Et si les critères du nouvel index sur l’égalité femmes-hommes sont loin d’être parfaits, le dispositif a un avantage certain : il oblige les entreprises à effectuer ces calculs et, ce faisant, à faire preuve de davantage de transparence, en interne comme en externe. De quoi faire pression sur les entreprises pour qu’elles adoptent des politiques adéquates, comme celles de constituer un vivier de femmes qui iront rejoindre le Comex, instance pour laquelle je ne suis pas pour une législation – ou comme celles de conditionner, comme cela se passe parfois au Canada, l’évolution de carrière ou le bonus d’un homme à son action en faveur de la mixité, voire à sa prise de congé paternité… Au-delà de la législation, seules des actions volontaristes peuvent provoquer des changements culturels. Sommes-nous au bout de nos peines ? Loin s’en faut ! Mais je vois de plus en plus d’entreprises qui sentent la nécessité de mettre en place des politiques sur l’égalité femmes-hommes – ne serait-ce que pour la RSE ! – tandis que d’autres se disent simplement « on sait qu’on doit faire, mais on ne sait pas comment faire ». Je suis donc relativement optimiste pour l’avenir, d’autant que les initiatives sont nombreuses, comme celles de la fondation que j’ai créée et qui vise, entre autres, à mentorer des femmes, y compris celle de la génération des millennials, pour qu’elles trouvent leur place à l’avenir au sein des instances dirigeantes des entreprises.

Agnès Touraine : Présidente de l’Institut français des administrateurs (IFA)

Parce que la parité se heurte toujours à l’inertie managériale, doit-on, à regret, légiférer ? Sans aucun doute ! Ainsi, la loi Copé-Zimmermann de 2011 a été très bénéfique pour la mixité des conseils d’administration, avec un objectif en 2018 de 40 % de mixité aux boards des entreprises cotées et non cotées dépassant 500 salariés et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, sous peine de nullité de la nomination des administrateurs et de la suspension du versement des jetons de présence. En 2020, les entreprises de plus de 250 salariés et de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires devront également se conformer à ces dispositions. Selon le baromètre IFA-Ethics & Boards SBF 1201, la France se situait en 2018 au premier rang européen et international en matière de mixité dans les conseils d’administration, avec un taux de 43,6 %. Reste que dans ces mêmes sociétés, le rééquilibrage induit par la loi n’a pas été suivi par le même mouvement au sein des comités exécutifs. De fait, seules quatorze entreprises du SBF 120 comptent un tiers ou plus de femmes dans leur Comex ! Il est extrêmement important que des progrès rapides soient faits, et si possible de façon volontaire, avec des objectifs clairs et des plans d’action opérationnels dans les entreprises. Et il est de la responsabilité du conseil d’administration de vérifier que des plans sont bien en place et de suivre régulièrement les avancées.

La mixité est un enjeu crucial pour la compétitivité et l’attractivité des entreprises. Il est dommage que certains demandent encore des preuves de cela, par ailleurs apportées par des études comme celle du cabinet de conseil McKinsey Women Matter2. Des progrès sont observés, mais trop lentement. La récente loi sur l’égalité salariale portée par Muriel Pénicaud, constructive et enfin efficace, montre que le législateur n’hésitera pas à intervenir en cas d’évolution insatisfaisante.

Ce qu’il faut retenir

// Sur le fil. Un tableau d’honneur – avec pas moins de 100/100 pour Sodexo Hygiène et Propreté, et 99/100 le groupe CNP Assurances et la MAIF – et quelques bonnets d’ânes (dans des secteurs très masculins) pour Bolloré Logistics (69/100), Thales Services (70/100) et Atos (71/100)… Si les entreprises de plus de 1 000 salariés n’avaient pas toutes publié leurs résultats au nouvel index de l’égalité salariale femmes/hommes au 1er mars, comme le leur demandait la ministre du Travail, elles ont continué de s’exécuter ensuite. À partir du 1er septembre, ce seront les entreprises de 250 salariés et plus qui devront le faire, celles de 50 à 250 salariés auront en revanche jusqu’à mars 2020.

// Critiques. Les syndicats ont émis des doutes sur la façon de calculer les différents scores, quand ce n’étaient pas les critères eux-mêmes. « Le barème retenu est très progressif et les cinq critères se compensent, dénonçaient la CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC et la CFTC, dans un courrier adressé en décembre dernier à Muriel Pénicaud1. Il sera donc possible de ne pas être sanctionné, tout en ayant un écart de rémunération de 15 % »…

(1) Source : www.egalite-professionnelle.cgt.fr/wp-content/uploads/2018/12/lettre-intersyndicale-ministre-d%C3%A9cret-in%C3%A9galit%C3%A9s-salaire.pdf

En chiffres

60 %

Si les femmes représentaient, en 2018, 60 % du conseil d’administration d’Ipsos (soit plus que les 40 % à partir du 1er janvier 2017 qu’exige la loi Copé-Zimmermann de 2011), faisant de cette société la lauréate du prix de la mixité d’Ethics and Boards1, l’entreprise de sondages n’affiche que 28,6 % de femmes dans son comité exécutif, là où se prennent les grandes décisions…

(1) Source : www.ethicsandboards.com/publications/435-ipsos-remporte-le-prix-de-la-mixite-2018

1

Outre Delphine Arnault, une seule femme, Chantal Gaemperle, DRH du groupe, siège au Comex de LVMH (avec dix hommes). En revanche, en accord avec la loi Copé-Zimmermann, le groupe de luxe compte bien 40 % d’administratrices à son conseil. Cet écart n’a pas empêché le géant du luxe d’afficher un score de 90/100 au nouvel index égalité femmes-hommes1.

(1) Source : www.ethicsandboards.com/assets/images/814/original/E_B_Palmar%C3%A8s_de_la_F%C3%A9minisation_2018_classement.pdf1544112689