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Innover pour séduire : le nouveau credo des DRH

Dossier | publié le : 01.05.2019 | Laurence Estival

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Innover pour séduire : le nouveau credo des DRH

Crédit photo Laurence Estival

Dans un contexte de guerre des talents, les directions des ressources humaines misent sur l’innovation. Objectif ? Optimiser « l’expérience collaborateur », grâce au lancement de services inédits et à l’arrivée dans leurs équipes de nouveaux profils.

Ne dites surtout pas à Pierre-Marie Argouarc’h qu’il est le DRH de la Française des Jeux. « Je n’ai jamais été à l’aise avec ce terme, car je ne gère pas des ressources mais des talents et des potentiels », sourit le « directeur de l’expérience collaborateur et de la transformation » de l’entreprise… Plus qu’un changement sémantique, cette nouvelle appellation correspond à une refonte du périmètre de sa fonction, intervenue à l’occasion du déménagement de la société il y a un an. « En ajoutant l’organisation de l’espace et l’environnement numérique de travail aux aspects purement RH, il s’agissait de maîtriser au sein d’une même entité tous les processus des actions de marque employeur mises en œuvre avant l’embauche jusqu’au départ des collaborateurs de l’entreprise, en passant par le recrutement ou le parcours des salariés », poursuit l’intéressé, qui a ainsi récupéré une partie des activités des services généraux mais aussi de la DSI. La raison de cette évolution ? Centrés sur les clients, ces services ne s’occupaient pas du poste de travail ni de l’équipement de leurs collaborateurs. Ces derniers, qui évoluent dans des espaces sans bureau attitré pour introduire de la fluidité liée au travail en mode projet, sont aujourd’hui dotés de Smartphones avec des applications pour s’informer et se positionner sur les nouvelles missions, ou pour participer à des séances de créativité interservices. Sans parler de l’opportunité d’être détaché pour quelques mois dans l’une des start-up de l’écosystème FDJ, désormais installées dans l’incubateur interne.

Le temps des bâtisseurs

La FDJ n’est pas la seule à mettre le cap sur l’innovation RH. « L’injonction d’innover concerne toutes les fonctions de l’entreprise, et les DRH, longtemps restées à l’écart, sont à leur tour concernées. Elles doivent se réinventer pour répondre aux évolutions sociologiques. Le rapport au travail et à l’entreprise a changé, résume Benoît Serre, vice-président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Connectés en permanence, les salariés sont beaucoup moins contrôlables que leurs aînés et n’envisagent pas de faire toute leur carrière dans la même entreprise. Ce qui représente un véritable défi pour les DRH. » « Et pour mener ce chantier de l’innovation RH, on attend moins des shérifs que des bâtisseurs », ajoute Alexandre Pachulski, cofondateur et dirigeant de Talentsoft, éditeur de logiciels de gestion des talents. « Trop enfermées dans les process, les fonctions RH se sont très technicisées et technocratisés. Il faut revenir aux fondamentaux : il y a un réel besoin de s’occuper des gens en leur apportant de nouveaux services correspondant à leurs attentes », acquiesce Maurice Thévenet, professeur de management à l’Essec.

Dans ce contexte, nombre de directions RH communiquent davantage sur la mise en musique de cette fameuse « expérience collaborateur », véritable levier visant à faire la différence sur un marché du travail tendu. Sans remiser le Code du travail au fond du tiroir ou se désintéresser des relations sociales, l’époque exige des équilibristes « chargés de préserver le passé tout en investissant le futur », note Sébastien Damart, professeur de management et coanimateur du Cercle de l’innovation managériale de Paris-Dauphine. Après avoir investi le champ de la qualité de vie au travail ou pris à bras-le-corps celui de l’égalité salariale, « les services RH doivent devenir des professionnels de l’engagement », insiste Emmanuelle Duez, fondatrice de The Boson Project, qui épaule les entreprises dans leurs transformations sur les aspects managériaux et RH. En effet, comment répondre à la quête de sens et à la demande d’autonomie des salariés, qui figurent en tête de leurs aspirations ? Et comment accéder, par ailleurs, à leur volonté de prendre la parole, de participer, et de ne plus simplement obéir ? « En créant des espaces de liberté et en les encourageant à faire eux-mêmes des propositions », répond Laurent Choain, DRH monde de Mazars. L’idée de lancer une Mazars School est ainsi née après un hackathon. Cette proposition émanant des salariés a conduit le cabinet à créer un partenariat avec un établissement proposant des BTS comptabilité. Des « Mazariens » viennent donner des cours sur le futur de la profession. Parallèlement, les process de gestion de l’employabilité de ces collaborateurs ont été dépoussiérés en s’appuyant sur une enquête réalisée auprès des milleniums. Elle consistait à traduire en actes leurs trois priorités, résumées en un slogan choc : « Fun, learning, feed-back. » L’entretien annuel, comme chez SAS Institut ou Accenture, a par exemple laissé la place à une évaluation au fil de l’eau. En relation avec les start-up, Mazars a aussi engagé des travaux, dont une cartographie des compétences et des aspirations de chacun qui permettra, demain, de proposer à tous les collaborateurs les missions les plus adaptées à leurs envies. Chez EY, la DRH est prête à aménager le contrat de travail des salariés afin qu’ils puissent développer d’autres activités à côté. Le programme Jump Start a même vu le jour pour permettre aux candidats à la création d’entreprise de dégager jusqu’à 50 % de leur temps de travail en vue d’avancer sur leur projet…

Nouveaux services, nouveaux profils

« Mais il n’y aura pas de solution unique, chaque entreprise, du fait de sa culture, doit trouver les réponses les plus pertinentes et réfléchir en termes de services rendus », pointe Michel Barabel, professeur associé à Sciences Po et intervenant dans le master RH. Selon lui, les collaborateurs ont des attentes sur la manière dont les entreprises gèrent leur impact social et environnemental, ou sur la capacité de leurs employeurs à les protéger en leur apportant, là aussi, des prestations sociales correspondant à leur situation. Attention, toutefois, aux mesures gadget. « Attention, aussi, à ne pas confondre nouveauté et innovation », renchérit Frédéric Mischler, formateur et conférencier spécialisé dans les RH. Il déconseille d’ailleurs aux équipes RH de ne considérer l’innovation qu’à travers le seul prisme des technologies numériques, malgré le déluge d’applications aujourd’hui proposées, qui vont du repérage à la gestion de carrière en passant par le recrutement. « Ces technologies ne sont que des outils au service de la stratégie », martèle-t-il. « La digitalisation est là pour nous faciliter certaines tâches chronophages, qui vont ainsi être automatisées. Elle va aussi nous laisser davantage de temps pour recentrer l’activité des RH sur la création de nouveaux services porteurs de sens », apprécie Pierre-Marie Argouarc’h. Grâce aux technologies, les directions des ressources humaines vont, d’autre part, pouvoir s’appuyer sur une multitude de données pour mieux cerner les besoins et les attentes de leurs collaborateurs, ainsi que les nouveaux services à mettre en place.

« Le déplacement des RH du domaine de la gestion à celui de l’accompagnement des transformations et de l’épanouissement des collaborateurs change profondément leur rôle, mais aussi les compétences demandées », insiste Frédéric Guzy, directeur général d’Entreprise&Personnel. Dans certaines entreprises, l’heure est déjà à l’intégration de nouveaux profils. C’est le cas à la FDJ, qui vient de se doter d’un data analyste spécialisé dans les données RH, ou de coachs internes pour épauler les collaborateurs en cas de difficultés. Les professionnels avec un savoir-faire dans le domaine du marketing arrivent également en force, afin de transférer aux collaborateurs et d’adapter les expériences qu’ils ont mises en place pour les clients extérieurs de l’entreprise. Sans recruter des spécialistes du learning machine ou de l’intelligence artificielle, les directions RH s’ouvrent, en outre, aux candidats ayant une appétence pour ces sujets, quand tous les membres doivent se doter d’une connaissance des outils numériques – devenue indispensable, ne serait-ce que pour discuter avec les bataillons de start-up qui vont continuer à proposer de nouveaux services et applications. Sans oublier d’intégrer aussi des sociologues afin d’anticiper les services du futur. « Plus que jamais, l’objectif est de créer des “dream team” pluridisciplinaires, mais aussi de faire en sorte que les directeurs de ces départements revisités soient des “DRH hors les murs”, capables de capter les nouvelles tendances et d’enrichir leurs pratiques en regardant ce qui se passe dans d’autres univers que le leur », plaide Michel Barabel. À bon entendeur…

Des frontières devenues poreuses

Même si sur le papier ce n’est pas tout à fait la même chose, il semble difficile, aujourd’hui, de séparer l’innovation RH de l’innovation managériale ou même organisationnelle. Et les DRH n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser ces trois leviers… « Il y a une zone de recoupement qui s’explique par la complémentarité entre les unes et les autres. Elle est renforcée par les outils numériques, mais aussi par l’obligation pour les RH de créer un milieu favorable en mobilisant différents outils pour susciter l’engagement des salariés et améliorer leurs performances », reconnaît Maurice Thévenet, professeur de management à l’Essec. La question de l’encouragement au management collaboratif, une des priorités mise en avant par les entreprises actuellement, illustre cette complexité : comment, en effet, séparer les relations entre les managers et les membres de leur équipe de l’organisation du travail à mettre en place, pour les fluidifier ou pour prendre en compte l’évolution même du périmètre des équipes, fluctuant au rythme des projets ? Et comment, en amont, ne pas réfléchir aux dispositifs à initier pour recruter des collaborateurs plus autonomes, ou pour former ceux déjà en place à ces nouveaux comportements ? « Tout se passe en réalité comme si les managers étaient des “jardiniers” appelés à faire éclore les talents, quand les directions des ressources humaines dans leur ensemble, mais plus encore les DRH eux-mêmes, étaient les chefs des “jardiniers”, chargés de les accompagner et de les orienter, estime pour sa part Emmanuelle Duez, fondatrice de The Boson Project. En cela, ils jouent un rôle d’aiguillon et de chef d’orchestre. Ils doivent à ce titre élaborer et décliner une politique RH au service de la raison d’être de l’entreprise. » Et la capacité à relever le défi dépend avant tout, selon les experts, de la qualité de la relation entre le DRH et le dirigeant de l’entreprise.

Auteur

  • Laurence Estival