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Passé 50 ans, tous consultants ?

Décodages | Carrière | publié le : 01.05.2019 | Lucie Tanneau

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Passé 50 ans, tous consultants ?

Crédit photo Lucie Tanneau

Les entreprises voient se multiplier les propositions de missions venant d’experts en RH, en finance ou en informatique, pour les aider à résoudre un problème. Beaucoup de ces consultants ont plus de 50 ans et sont passés par la case du salariat. Un choix de fin de carrière davantage qu’une contrainte dictée par le marché du travail.

Passé 50 ans, une infime minorité de salariés a déjà fait valoir son droit à la retraite. Une grande partie est encore salariée. Mais certains, donc, et de plus en plus, choisissent de terminer leur carrière en tant que consultant. N’importe quelle entreprise est en mesure de vous dire qu’ils sont de plus en plus nombreux, ces consultants qui proposent des audits, des missions et des conseils en tout genre. Stratégie, pilotage du changement, informatique, ressources humaines, management… Les consultants, ces « offreurs de compétences » intellectuelles ou opérationnelles, se sont engouffrés partout. Avec un point commun pour nombre d’entre eux : leur âge. Cette situation est tantôt choisie, parfois subie. Lassés du management, du manque de responsabilités, de la hiérarchie, d’anciens salariés sautent le pas et décident, grâce à une rupture bien négociée ou à un licenciement, d’utiliser leur expertise autrement. D’autres, faute de retrouver un emploi alors que l’âge peut être un critère discriminant passé 45 ans (et ce malgré l’allongement des carrières) et désireux de ne pas rester « sans activité » trop longtemps, voient cette opportunité comme une transition, avant de retrouver – ils l’espèrent – un poste salarié. « Je descendrais la barrière à 45 ans, indique Yannick Mériguet, le créateur du Blog du consultant. Ces dernières années, j’ai croisé beaucoup d’anciens cadres dirigeants qui ont décidé de se lancer soit parce qu’ils se sont fait virer, soit parce qu’ils ont envie d’autre chose ou suite à un burn-out », constate-t-il. Un mix entre la crise de la quarantaine qui pousse à réfléchir et la réalité du monde du travail pas franchement tendre avec les seniors.

Dans sa dernière étude sur le travail indépendant en Île-de-France, l’Insee s’intéresse au changement de situation que peut amener l’âge. « Comme en province, les indépendants franciliens sont en moyenne plus âgés que les salariés : en 2015, 43 % d’entre eux ont 50 ans ou plus, contre 30 % dans l’ensemble des emplois. Entre 2007 et 2015, la part des indépendants de 60 ans ou plus augmente sensiblement. » Tous ne sont pas consultants, mais l’Insee pointe, entre 2007 et 2015, une augmentation notable des indépendants dans les secteurs du conseil de gestion (+ 65 %), de l’information-communication (+ 29 %) et d’autres activités spécialisées (publicité, design, photographie, traduction…) (+ 54 %). Ces trois secteurs totalisent plus d’un tiers des effectifs régionaux supplémentaires, avec une augmentation du « recours » au travail indépendant de 5 à 8 points, selon les secteurs.

Un pied dans l’entreprise sans passer par le salariat.

Si l’on ne dispose pas de chiffres précis sur les consultants installés en France, en fonction d’un éventuel critère d’âge, la tendance est aussi validée par le rapport annuel sur l’évolution des PME et des ETI en France, réalisée par BpiFrance. En 2017, dans l’ensemble de l’économie marchande non agricole, 591 000 entreprises ont été créées dans l’Hexagone, soit 7 % de plus qu’en 2016. Parmi elles, une augmentation de 6 % des entreprises individuelles classiques et de 9 % des microentrepreneurs. « Le secteur participant le plus à la hausse globale des créations d’activité est celui des activités spécialisées, scientifiques et techniques (+ 14 %, soit 12 600 créations de plus). Avec un total de 103 000 en 2017, il devient le premier secteur en nombre de créations devant le commerce », note le rapport. Parmi ces profils, les consultants : « Cet essor est dû aux activités de conseil pour les affaires et autres conseils de gestion, en particulier celles immatriculées sous le régime du microentrepreneur », complète BpiFrance. Quatre catégories de créateurs sont mises en avant : « Les jeunes diplômés qui entrent sur le marché du travail, les créateurs recherchant une activité de complément, ceux cherchant en premier lieu à créer leur propre emploi et les créateurs expérimentés. »

« Avec l’allongement des carrières, les cadres supérieurs ne partent plus en retraite avant minimum 62 ans. Et après trente ans de salariat, ils se lassent de la subordination… La tendance du consulting s’observe donc pour eux comme un moyen de garder un pied dans l’entreprise, mais sans passer par le salariat », confirme Cécile Garofoli, ex-responsable RH, et consultante depuis 17 ans pour l’Association pour l’emploi des cadres (Apec). Avec un avantage : le statut de consultant n’exige ni diplôme particulier ni certificat de formation, et peut donc être utilisé dans tous les secteurs. « On retrouve beaucoup de consultants dans les fonctions supports : finance, technologie, fonction RH », constate Yannick Mériguet. « De plus en plus également dans l’organisation et la conduite du changement, la qualité, la formation et la qualité de vie au travail », complète Cécile Garofoli. Avec des différences d’âge selon les secteurs. En informatique, la valeur n’attend point le nombre des années, comme dit l’adage. Dès la sortie d’école, un jeune peut remplir son carnet de commandes en tant que consultant. En revanche, « quand on parle d’organisation ou de conduite du changement, je veux bien qu’à 30 ans on ait des choses à dire, mais je pense qu’il faut plus de bouteille pour conseiller les dirigeants là-dessus », justifie la consultante de l’Apec. Elle cite en exemple son propre parcours : « Je suis devenue consultante à 30 ans, mais comme salariée. Je n’aurais pas pu devenir indépendante, car les compétences commerciales m’auraient manqué. Même si j’avais vu de nombreuses situations pendant mes sept ans de RH, certaines cordes auraient fait défaut à mon arc pour proposer mes services à des dirigeants », analyse-t-elle. Car les entreprises font appel à des consultants pour obtenir une expertise qu’ils n’ont pas en interne.

« Dans l’automobile, on constate une multiplication de cadres de 30-35 ans, brillants, qui sortent d’écoles de commerce prestigieuses et qui maîtrisent parfaitement les tableaux Excel, mais à qui il manque l’expertise. C’est pour cela que l’on va chercher des consultants souvent plus âgés », note Laurent Vittenet, ancien directeur de concessions automobiles dans le Grand-Est et consultant depuis janvier. « Quand j’ai annoncé que je voulais quitter l’entreprise, mon président m’a proposé de me conserver en tant que consultant relations publiques trois jours par mois : cela leur permet de garder mon réseau, et c’est pour moi une rémunération complémentaire qui va m’aider dans le lancement de mon activité », apprécie-t-il.

L’âge, « un critère valorisant ».

Laurent Vittenet soulève cependant un problème dans l’essor du consulting comme second choix de carrière : « Quand on est dirigeant on voit se multiplier les propositions d’audits, de conseils, d’accompagnement. Mais il y a de tout. Et même si LinkedIn permet de repérer les consultants qui ont déjà planté deux boîtes avant, on a du mal à savoir la valeur ajoutée qu’ils représentent vraiment. » « Souvent, on est plus méfiants encore vis-à-vis des jeunes, même s’ils peuvent être brillants », remarque-t-il. D’où l’intérêt du secteur pour leurs aînés. « Pour une fois, l’âge est un critère valorisant. Il rassure. Il prouve que la personne a été confrontée à des situations diverses et complexes tout au long de sa vie professionnelle », résume Cécile Garofoli de l’Apec. « Et les jeunes cherchent souvent à acquérir de l’expérience en entreprise ou en tant qu’entrepreneur, s’ils ont une idée, plus que des missions de conseil », remarque-t-elle. En ressources humaines particulièrement, les jeunes préféreront aussi souvent apprendre à gérer des problématiques en interne. Ce sera donc seulement au bout de plusieurs années, quand apparaît la lassitude d’être attaché à la même entreprise, avec le phénomène de répétition des situations, que peut poindre l’envie d’indépendance. Le futur ex-salarié aura déjà, à coup sûr, atteint sa deuxième partie de carrière…

La situation arrangerait donc tout le monde. 19 % des créateurs d’entreprise se lancent en effet pour avoir une activité de complément, 4 % sont retraités (âgés de plus de 60 ans), et 21 % sont des créateurs expérimentés (anciens travailleurs indépendants ou anciens chefs d’entreprise). Ils devancent de loin les 8 % de jeunes en sortie d’études, les 27 % de chômeurs et les 13 % de personnes éloignées de l’emploi (qui peuvent elles aussi choisir le consulting pour rebondir).

Les différentes formes d’emploi qui se sont développées sur le marché du travail depuis dix ans facilitent aussi ce choix de deuxième tronçon de carrière différente, avec filet de sécurité. « Les groupements d’employeurs, le temps partagé, les coopératives d’emploi et le régime de la microentreprise permettent de se lancer dans une activité personnelle avec des facilités administratives et juridiques », rappelle l’Apec. L’occasion pour des seniors qui veulent se tester dans un nouveau rôle, ou changer de rythme après trente ans de salariat, d’oser sauter le pas, avec beaucoup moins de craintes et d’appréhension qu’auparavant. Car même si le crédit pour la maison se termine, l’âge où l’on devient senior rime souvent avec le financement des études des enfants… Le parachute que représentent les nouvelles formes d’emploi ou le portage salarial, choisi dans un premier temps par ceux qui pensent se tester comme consultant avant de retrouver un poste, est alors bienvenu.

Passé 40 ou 50 ans, le consulting peut aussi être une occasion de ne pas laisser un vide sur son CV pour un ancien cadre « en transition professionnelle ». « Ne pas avoir trop d’interruptions est un plus sur le CV », rappelle Cécile Garofoli, comme une évidence. Le consulting peut être l’atout permettant la poursuite de l’activité. À une condition : savoir se vendre. Car si, en théorie, tous ceux qui disposent d’une expertise dans un domaine peuvent devenir conseil pour d’autres, le consulting demande, en quantité non négligeable, des qualités commerciales pour rechercher des clients, s’organiser, relancer son réseau, avoir la connaissance des besoins de ses clients… « Souvent, ceux qui ont cette appétence et qui goûtent au consulting, n’ont pas envie de revenir au salariat », remarque-t-elle. Sur le forum Cadremploi, une consultante de plus de 50 ans explique ainsi ne pas regretter son choix : « Devenir autonome m’a permis de décupler l’attractivité de mon CV », rapporte-t-elle. « L’équation est simple. En tant que salariée, je représente un surcoût : pour effectuer le même travail, je demande un salaire plus élevé que celui d’un cadre junior. En revanche, en tant que solo, je deviens un partenaire de choix plus expérimenté. Les entreprises ont donc tout intérêt à faire appel à moi, surtout dans le cadre d’une mission délicate ou d’importance stratégique majeure. » D’autant que les entreprises choisissent souvent des consultants qui leur ont été conseillés. Anciens collègues ou employeurs, amis, clients, fournisseurs, membres du même club… Autant de gens croisés dans la première vie du consultant, laquelle lui assure ensuite un réseau au sein duquel partager son expertise.

Auteur

  • Lucie Tanneau