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Les sites de notation font la loi… ou presque

Décodages | Réputation | publié le : 01.05.2019 | Judith Chétrit

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Les sites de notation font la loi… ou presque

Crédit photo Judith Chétrit

Qu’elle soit économique, sociale, d’image, toute crise fait des dégâts. Les exemples sont légion : la crise de management de France Telecom, il y a plus de dix ans, la crise sanitaire de Lactalis l’année dernière… Voici quelques facteurs à prendre en compte pour gérer du mieux possible cette situation.

D’un côté, la liberté d’expression du salarié, de l’autre la subordination à son employeur, à qui il doit loyauté durant son contrat de travail. C’est bel et bien la subtilité de cet équilibre qu’a dû pondérer la chambre sociale de la Cour de cassation en rendant un arrêt, mi-avril 2018, concernant le bien-fondé d’une décision de licenciement pour faute grave d’un ancien directeur artistique dans une agence de communication qui s’était exprimé via un site de notation.

L’originalité du dossier ? Les propos, très négatifs selon l’entreprise, avaient été écrits anonymement sur une plateforme de notation, mais l’identité de l’individu avait pu être tracée. Finalement retiré, le propos décrivait une « direction drastique à tous points de vue », des « promesses jamais tenues » et des heures supplémentaires non payées. Critiquer certes, mais jamais dénigrer ou injurier. Ce cas, finalement jugé en faveur de la décision de l’employeur, illustre a minima le succès de ces sites qui évaluent les entreprises à l’aune de commentaires et de notes attribués par d’actuels ou d’anciens salariés – et la manière dont les entreprises peuvent y réagir, même timidement. Jusqu’alors, ces prises de parole étaient le plus souvent échangées dans les cercles familiaux et amicaux. Là, un espace y est dédié et les employés se sont pris au jeu. Particulièrement en amont d’une embauche. « Il y a eu un changement de paradigme, explique Thomas Chardin, fondateur de Parlons RH, une agence éditoriale spécialisée dans le digital. Il ne s’agit pas d’être intéressé par des candidats, il faut être intéressant pour eux et donner “à voir” pour susciter de l’intérêt. » L’évolution des comportements en ligne lui donne raison : selon l’enquête « recruteurs » de décembre 2018 réalisée par Hellowork, ils sont 82 % des candidats et 83 % des recruteurs à se renseigner mutuellement en ligne durant le processus de recrutement.

En France, plusieurs acteurs se partagent désormais ce marché de la notation des entreprises, dynamisé par l’arrivée en 2014 du site américain Glassdoor (800 000 visiteurs uniques par mois). Dès 2015, le réseau social professionnel Viadeo a lui aussi intégré les « avis et notations » dans son offre. En appliquant les mêmes fonctionnalités qu’un site tel que Tripadvisor pour mesurer la réputation d’un hôtel ou d’un restaurant, ces plateformes participent de l’image de marque de l’entreprise, notamment auprès de futurs prospects curieux de connaître l’état d’esprit de potentiels futurs collègues ou bien de situer l’entreprise en comparaison avec d’autres d’un même secteur. Il n’est guère étonnant que Glassdoor, dont 50 % d’avis écrits sur une entreprise proviennent de salariés en poste, se soit fait racheter pour plus d’un milliard de dollars par un groupe japonais de services RH, déjà propriétaire du site d’annonces d’emploi Indeed. Chaque note laissée est accompagnée d’avantages et d’inconvénients qui servent de critères justifiant le chiffre attribué. Ce gage de transparence et d’une « parole vraie », hors circuit de la communication corporate, a pu déranger des directions de ressources humaines inquiètes d’y voir divulguer des informations internes et supposées confidentielles, et de plus en plus mobilisées sur les questions de « marque employeur ».

Des abonnements parfois coûteux.

Photographies de bureaux, organigrammes et qualité du management, perspectives de carrière, indications sur les grilles salariales et sur les avantages sociaux… Au fil des publications, les images des employeurs s’affinent, se révèlent des aides à la décision et tendent même à devenir une mine de données sur les conditions d’embauche et de travail de près de 800 000 entreprises dans le monde. Au bureau français de Glassdoor, qui compte une dizaine de personnes, on précise que les entreprises peuvent renseigner des salaires en complétant les descriptifs de postes et d’offres d’emploi, et éventuellement apporter des précisions sur les salaires postés par les internautes.

Pour les dernières générations arrivées sur le marché du travail, il est ainsi fréquent de consulter les fiches d’entreprises avant de répondre à une offre ou de se présenter à un entretien. Mais mieux vaut avoir un filtre en les parcourant, selon Sophie Palès, déléguée générale de l’Association française de communication interne (Afci). « Il est parfois complexe de résumer la situation d’un salarié. En cas de souci évoqué, est-ce qu’un simple lecteur peut se rendre compte s’il s’agit d’un problème relationnel ou d’une chaîne managériale déficiente ? » Dans ce type de cas, la profusion d’avis allant dans le même sens a tendance à faire foi. Du fait de leur effet de loupe, ces sites alimentent également des classements annuels de « best employeurs » totalisant les meilleures notes dans leur secteur ou dans un pays, largement relayés par la presse et par la communication externe.

En raison de cet impératif d’attractivité, les entreprises ont peu à peu investi leurs propres pages sur ces sites de notation, en payant parfois des abonnements coûteux pour accéder à des fonctionnalités autres que celles accompagnant la création gratuite d’un compte. Un reporting régulier s’est ainsi progressivement mis en place depuis trois ans à la Société Générale sur les avis positifs et négatifs, raconte Nathalie Gouadain, responsable de la communication RH : « Une personne a pour mission prioritaire la coordination internationale de ces pages, notamment entre la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Inde. Un état des lieux du nombre de visites et une remontée des principaux thèmes évoqués à la direction des ressources humaines ou directement aux entités sont réalisés chaque mois. On a ainsi alerté nos recruteurs quand on a vu que les questions d’entretien étaient régulièrement diffusées, afin qu’ils puissent les modifier. » Les entreprises peuvent également consulter le nombre de visites chez leurs concurrents sur leurs principales cibles, comme le recrutement IT ou de commerciaux, et figurer plus haut dans les résultats de recherche d’emploi. Cela reste, en revanche, une réalité à petite échelle : en 2016, Glassdoor indiquait que seulement 12 % des entreprises disposaient d’un compte. En plus de diffuser des offres d’emploi, des chargés de communication ou des ressources humaines répondent à une partie des commentaires ou dupliquent des contenus complémentaires déjà accessibles sur leurs sites carrières. Il peut s’agir de vidéos promotionnelles dans lesquelles témoignent leurs salariés ou des descriptifs de leurs différents métiers et branches. Un volet d’opportunités et de pratiques que ces plateformes comptent bien continuer de monétiser. Ainsi, le moteur de recherche d’offres d’emploi Indeed vient de lancer une formule « premium » afin que des entreprises comme la Macif puissent personnaliser leurs pages, et ce dès la liste de résultats d’offres d’emploi, en y faisant figurer la note ou un commentaire qu’elle aurait envie de mettre en avant. « On constate un va-et-vient de plus en plus fréquent entre un résultat d’une recherche d’emploi, une petite enquête en ligne sur la qualité de vie au travail et l’acte de candidature. Même des avis négatifs peuvent être le garant d’un plus grand nombre de candidatures aux offres à partir du moment où les entreprises acceptent cette transparence », témoigne Charles Chantala, directeur senior des ventes d’Indeed France, qui totalise 7 millions de visiteurs uniques mensuels.

Chez Choose My Company, une société française créée en 2011, chaque note est accompagnée de la réponse à une série de 22 questions sur le management, les conditions de travail ou encore l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Hormis un droit de réponse, les entreprises peuvent s’abonner à l’année pour requérir des avis dits « sollicités » auprès de salariés, d’anciens stagiaires ou candidats. Principal résultat de ce changement de modèle économique ? Deux tiers des avis postés sur la plateforme sont des verbatims qui émanent de l’intérieur des entreprises. « Il leur est possible d’ajouter des focus comme l’agilité, la RSE ou l’intégration des jeunes diplômés. On leur propose ensuite un baromètre les comparant avec d’autres participants », pointe Laurent Labbé, le fondateur passé par les RH de L’Oréal, dont la plateforme recense les avis par ordre chronologique et supprime ceux de plus de trois ans.

« Difficile de tricher. »

En un simple tour d’horizon sur leur page, les sociétés peuvent sonder le ressenti de collaborateurs actuels et se rendre compte d’insatisfactions concrètes, qui n’ont pas été traitées ou réglées. Une source complémentaire d’information qui s’ajoute à des questionnaires diffusés en interne. « Nous intégrons ces données depuis un an dans nos rapports trimestriels en complément de l’enquête sur les managers, l’engagement des salariés, ou les exit interviews. Les avis de candidats sur nos entretiens de recrutement ne sont pas trouvables ailleurs, d’où leur intérêt », pointe Marysa Bryan, senior talent acquisition au bureau londonien de Criteo. Il lui a fallu également définir une stratégie dans la réponse à apporter à des commentaires négatifs sur l’image de l’entreprise ou sur la vie de bureau des salariés. « J’ai encore récemment demandé à Glassdoor des clarifications sur des phrases qui pourraient constituer une violation de leurs conditions d’utilisation », poursuit-elle. Avec un système de modération moitié humain, moitié algorithmique pour les propos jugés haineux, diffamatoires ou racistes et les identifications de personnes, Glassdoor a ainsi diffusé une liste de conseils au travers d’une publication sur son blog « Comment répondre aux avis négatifs (pour les nuls) ». « Difficile de tricher quand on a un volume conséquent d’avis négatifs, mais mieux vaut toujours apporter une réponse, si cela nécessite d’en apporter une », juge Mathieu Lemonnier, fondateur de My RH Community, une agence spécialisée dans la communication digitale, qui gère les comptes de plusieurs grandes sociétés depuis quelques années. « C’est une tâche qui reste encore très chronophage pour des équipes de ressources humaines. » Si les salariés sont aujourd’hui de plus en plus encouragés à incarner ou à porter la parole de leur employeur sur les réseaux sociaux en diffusant des actualités ou des offres d’emploi, en revanche peu d’entreprises osent leur demander de manière explicite ou plus subtile de rédiger des avis. Idéalement positifs.

Quelle identité numérique pour quel recrutement ?

Daniel Pélissier, docteur en sciences de l’information et de la communication à l’université Toulouse 1 Capitole, a étudié la communication numérique des banques sur leur recrutement.

En quoi l’exemple des entreprises bancaires est-il pertinent pour parler « marque employeur en ligne » ?

Daniel Pélissier : Ce sont des entreprises qui se sont considérablement investies dans la problématique de recrutement et de l’identité de marque – pas nécessairement toujours sur Internet, où leur présence est plus fragmentée. Et ce sont des structures d’emploi qui intègrent beaucoup de jeunes diplômés, allant du bac + 2 au bac + 5. Je voulais étudier leurs façons d’interpréter les informations trouvées en ligne. Par exemple, certaines banques ont intégré un module d’un site de notation sur leurs sites destinés aux écoles, alors que d’autres s’en sont méfiées, estimant que si les avis étaient tellement positifs qu’ils étaient mis en avant, leur crédibilité pouvait être interrogée.

Qu’est-ce qui retenait le plus leur attention, voire leur suspicion ?

D. P. : La plupart des banques étaient en mesure de faire la part des choses entre un avis et un témoignage. Elles faisaient bien plus attention au texte qu’au score, qui est finalement souvent centré et peu tranché. En revanche, à l’image d’autres sites d’avis pour des réservations ou des achats, elles ont une propension plus importante à croiser les informations sur le climat social et à tenter de les quantifier pour estimer leur fiabilité et leur véracité. D’autant plus qu’elles s’appuient là-dessus pour préparer leurs entretiens d’embauche. Mais cela a surtout de la valeur pour un premier temps exploratoire.

Auteur

  • Judith Chétrit