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Décodages

Il n’y a pas que l’argent dans le travail

Décodages | Management | publié le : 01.05.2019 | Lucie Tanneau

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Il n’y a pas que l’argent dans le travail

Crédit photo Lucie Tanneau

Alors que les marges de manœuvre sur les rémunérations sont parfois faibles, comment motiver ses collaborateurs ? La reconnaissance non monétaire, appliquée depuis longtemps au Canada, arrive en France. Avec un réel intérêt sur la fidélisation et sur l’engagement des salariés. Mode d’emploi.

Câlinothérapie, pratique de Bisounours, forme de paternalisme, voire de cynisme… La reconnaissance non monétaire est souvent critiquée par ceux qui n’en connaissent pas bien le principe. Particulièrement en cette période de revendications, où les salariés sont en demande de pouvoir d’achat. Pourtant, alors que le manque de reconnaissance est, selon les experts, le principal risque psychosocial – avant même la charge de travail –, la notion présente un intérêt. Parmi un panel de solutions.

« Si la reconnaissance non monétaire est utilisée comme un moyen pour ne pas traiter la reconnaissance monétaire, vous êtes à côté de la plaque », prévient d’emblée Christophe Laval, spécialiste de la méthode en France. « S’il y a un problème de reconnaissance monétaire, il faut le reconnaître ; le salaire est important. Mais il y a beaucoup d’autres choses, une augmentation ou une prime sont une motivation à court terme, mais tout ne se traite pas par l’argent, et tout le monde a besoin de reconnaissance globale, dont non monétaire », appuie-t-il.

Mais qu’entend-on par « reconnaissance non monétaire » ? Pour Christophe Laval, qui accompagne des entreprises à la mettre en place depuis dix ans et qui enseigne à HEC Montréal, elle comporte quatre champs, également mis en avant par Jean-Pierre Brun et Ninon Dugas en 2015 dans l’ouvrage « La reconnaissance au travail : analyse d’un concept riche de sens ». La première reconnaissance est celle de l’individu en tant que personne. Vient ensuite la reconnaissance de la pratique de travail et donc des compétences techniques, comportementales ou de l’expertise de la personne. Puis la reconnaissance des résultats, ou de la contribution aux résultats. Enfin, la reconnaissance de l’investissement, c’est-à-dire de l’énergie ou des efforts déployés au travail (et ce, même si les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous). Pour chaque champ, une prime peut venir attester d’une considération de l’employeur. « Mais les salariés ont aussi besoin d’être reconnus par leurs pairs, par leurs managers, par les clients et par les fournisseurs externes à l’entreprise, et bien sûr par la direction », note Christophe Laval. La reconnaissance n’est donc pas uniquement une histoire de boss. Tout le monde peut se saisir du sujet, peu importe son poste, son niveau hiérarchique, ou son rôle dans l’organisation.

Casser le cercle de la défiance.

Concrètement ? On pense aussitôt aux entreprises qui s’inspirent des modèles américains avec le tableau d’affichage et le concours d’« employé du mois » ou à celles qui effectuent le décompte du nombre de jours sans accident du travail. Ces pratiques en font partie, mais la reconnaissance non monétaire passe par bien d’autres habitudes. « Le “Bonjour” du matin, déjà : toutes les hiérarchies n’ont pas cette première notion de respect, mais c’est la base de la reconnaissance existentielle », cite encore Christophe Laval, qui a travaillé dans nombre de grands groupes internationaux (Schlumberger, Quakers Oats, Yoplait, JT International, Compass), avant de diriger l’Association Entreprise&Personnel. Offrir aux gens la possibilité de participer à des formations ou mettre en place des tutorats, voilà aussi des systèmes de prise en considération des compétences et de la qualité de travail. Du côté des efforts, inviter son équipe au restaurant après un appel d’offres remporté leur montrera aussi la prise en compte de leur rôle dans ce succès. La mise en place de réunions participatives ou l’investissement dans un logiciel de partage d’informations peuvent aussi être des outils grâce auxquels les collaborateurs se sentent plus impliqués, et donc mieux reconnus.

« On ne se lève pas un matin en se disant : “Tiens, on va travailler à la reconnaissance et former nos managers” », relève Jérôme Leroy, ancien DRH d’Arkéma sur le site de Lacq-Mourenx. « On a fait face à une grève de six jours en 2015… La CGT et FO portaient une revendication salariale, mais nous savions que ce n’était pas le vrai sujet. Dans la chimie, les salaires sont assez élevés, et chez Arkéma, avec les primes de nuit et de postes, les revenus étaient hauts par rapport au bassin de vie, se souvient l’ex-DRH. On a réussi à sortir du conflit, mais on a décidé de creuser le sujet de la qualité de vie au travail. » Jérôme Leroy a fait intervenir le cabinet AlterNego, pour effectuer un diagnostic social partagé. Les résultats mettent au jour des soucis dans la culture d’entreprise, un manque de valorisation, de communication, et de reconnaissance. « Je n’aurais pas dit ça, il y a quatre ans, mais le fait de réaliser ce diagnostic et de révéler les résultats aux collaborateurs, sans relecture de la direction, a été une reconnaissance. Cela casse le cercle de la défiance », argumente-t-il. En 2016, le volet « reconnaissance » est inscrit dans la démarche QVT de l’entreprise. 70 managers se frottent aux quatre formes de reconnaissance et élaborent un plan d’action, avec des pistes de progrès au quotidien.

« Dans le diagnostic, personne ne disait : “Je suis mal payé”. En revanche, il y avait des demandes d’autonomie, le souhait de mieux contribuer aux projets… » cite Jérôme Leroy. Il n’est pas question de cogestion, mais bien de coconstruction. Depuis 2015, le site de Lacq-Mourenx n’a connu aucune grève (hormis les appels nationaux), dans une période où le secteur y a pourtant été confronté. « Cela nous a demandé du temps et de l’argent, mais aujourd’hui le dialogue social et la confiance sont bien meilleurs », relève l’ancien DRH.

Car la reconnaissance non monétaire ne vise pas à créer un monde de Bisounours au travail. Ses objectifs sont bien plus concrets. Baisse de l’absentéisme et du turnover, hausse de l’engagement et de la fidélité, meilleurs partage des idées et participation aux projets… « Au CHU de Dijon, où j’ai travaillé, la direction a relevé un gain d’un million d’euros la première année, notamment grâce au recul de l’absentéisme induit par la reconnaissance dont ont bénéficié les agents », illustre Christophe Laval. Au Canada, les entreprises sont convaincues dans une large majorité. En France, c’est encore loin d’être une méthode de management généralisée, mais la notion commence à être connue de ceux qui s’intéressent aux sujets de qualité de vie au travail, devenus tendance.

Des Victoires du travail.

Pour Odile Le Ven, directrice générale adjointe en charge des RH de Maisons & Cités, un bailleur social des Hauts-de-France qui compte 63 000 logements et 900 salariés, la reconnaissance non monétaire est arrivée au bureau suite à une « démarche vision », soit quatre jours pour entendre les idées et les envies des collaborateurs afin de définir la stratégie des prochaines années. C’était en 2015, et le besoin de reconnaissance est sorti du lot. 120 managers ont alors été formés. « Pour nous, la reconnaissance passe par le salaire, mais aussi par le fait de se dire “Bonjour” le matin, et par se féliciter, même si l’on n’est pas arrivé au bout des objectifs », cite la DG. Sur ce dernier point, Maison & Cités a donc décidé de créer des « Victoires » : depuis deux ans, les managers identifient des « Victoires du quotidien », que ce soit une problématique client bien résolue ou une gestion de projet menée grâce à un vrai travail collaboratif… Certains projets sont ensuite sélectionnés (grâce aux votes des salariés) et le collaborateur est récompensé lors de la cérémonie des vœux. « Être appelé par son prénom, bénéficier de l’écoute de son manager, recevoir une médaille du travail, participer à un déjeuner d’équipe… Ce sont autant de choses qui entrent dans la reconnaissance », décrit Odile Le Ven, qui note que les managers ont particulièrement apprécié de se voir financer un parcours de formation dédié.

Sur le terrain, les collaborateurs organisent aussi des visites du parc immobilier, deux ou trois fois par an : « C’est une reconnaissance de leur travail et de leur connaissance », poursuit la responsable RH, qui encourage ainsi les relations entre services avec un but : créer des synergies y compris dans le travail, ce qui est valorisant. « On va voir dans le temps plus long comment ces nouvelles pratiques vont changer les choses », attend Odile Le Ven. « Le bien-être au travail est la résultante de beaucoup d’actions, mais je crois que si on me dit “Bonjour”, “Merci”, si on me félicite ou si on me dit que sur ce dossier-ci on peut travailler ensemble, je me sens reconnu, cela participe à mon bien-être et ce bien-être joue sur la performance en baissant l’absentéisme et en créant une meilleure ambiance dans l’entreprise », défend-elle. Désormais, Maisons & Cités a intégré les formations pour les managers à son catalogue. L’entreprise se donne trois ans pour constater les effets, « mais les “Victoires” ont déjà apporté du positif », rapporte la directrice générale adjointe.

Comme toute pratique managériale, la reconnaissance non monétaire s’entretient au quotidien, avec des écueils à éviter. Une saute d’humeur, une réunion bâclée, une semaine sans dire « Bonjour » pour telle ou telle raison, et l’élan positif retombe. Une communication transparente qui s’arrête à la porte de certains sujets et la confiance en prend un coup… Chez Arkéma, Jérôme Leroy a décidé d’associer les organisations syndicales dès le début. « Redonner leur place aux syndicats fait partie de la reconnaissance », croit-il. « Dans le rapport de force, on se dit que les OS sont les empêcheurs de tourner en rond. Je me suis battu pour dire que l’on devait les considérer différemment et entendre autrement leurs revendications, pour traiter avec eux les vrais sujets, qui n’étaient pas l’argent, mais la poussière sous le tapis », décrit-il. « La reconnaissance passe par un repositionnement des managers, par un dialogue social raisonné, par une confiance restaurée, par la transparence dans laquelle on dit ce qu’on fait et on fait ce qu’on dit : la méthodologie est très importante et chacun a sa place, les managers, les salariés, comme les OS », défend l’ancien DRH. « Tout n’est pas négociable, mais ça n’empêche pas de se parler, et d’informer les parties », décrit-il, rappelant la différence entre coconstruction et cogestion. Lors des négociations avec les syndicats, ce sont des personnes qui sont autour de la table. Elles aussi ont besoin de reconnaissance existentielle au travail. La reconnaissance non monétaire doit s’appliquer à tous pour fonctionner.

Quelques exemples…

Voici quelques exemples de reconnaissance non monétaire :

• Dire « Bonjour ».

• Offrir une lettre de félicitation à un collaborateur, rédigée de façon précise.

• Organiser un déjeuner d’équipe suite à un projet particulièrement réussi.

• Permettre de récupérer des heures aux salariés qui se sont investis sans compter pour un projet.

• Permettre aux collaborateurs d’inviter leur famille à visiter l’open space.

• Investir dans la formation.

Auteur

  • Lucie Tanneau