logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Actu

“La CES est un bel outil pour faire l’Europe sociale”

Actu | Entretien | publié le : 01.05.2019 | Jean-Paul Coulange, Nathalie Tran

Image

“La CES est un bel outil pour faire l’Europe sociale”

Crédit photo Jean-Paul Coulange, Nathalie Tran

Fin mai, le secrétaire général de la CFDT deviendra président de la Confédération européenne des syndicats (CES). Il précise les enjeux et détaille les grandes orientations qui devront être prises dans le plan d’action de l’organisation pour 2019-2023.

Comment concevez-vous le rôle de président de la Confédération européenne des syndicats ?

Laurent Berger : J’aurai un rôle d’animation, d’impulsion et légèrement de représentation, en lien étroit avec le secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats. Le président n’a pas un rôle exécutif, je reste donc secrétaire général de la CFDT. J’ai été investi dans la composition de la future équipe. La gouvernance de la CES répond à des équilibres subtils et doit prendre en compte à la fois les différentes régions d’Europe, les genres, ainsi que les sensibilités syndicales. Jusqu’ici, elle se composait d’un président ou d’une présidente et d’une quinzaine de vice-présidents. Leur nombre va être réduit à quatre. L’exécutif de la CES, qui représentait une équipe de sept personnes, va passer à six membres. Il y aura un secrétaire général, Luca Visentini, deux secrétaires généraux adjoints et trois secrétaires confédéraux.

Pourquoi votre candidature a-t-elle suscité des réactions de la part de FO et de la CGT ?

L. B. : Lorsque Thiébaut Weber, le secrétaire confédéral de la CES, issu de la CFDT, a annoncé qu’il rentrait en France pour raisons personnelles, Luca Visentini et des camarades d’autres pays m’ont sollicité pour prendre la présidence. J’ai souhaité qu’elle s’exerce par rotation, par période de deux ans. Les secrétaires généraux des autres affiliés français (CGT, FO et Unsa) ont été informés de ma candidature et ne s’y sont pas opposés.

Quel regard portez-vous sur la dernière mandature ?

L. B. : Il y a eu des avancées, et la création d’une autorité européenne du travail en est une. Cette dernière peut être un puissant élément de régulation, à condition qu’elle ait les moyens de lutter efficacement contre les abus. À présent, il va falloir la mettre concrètement en place. Sur beaucoup de sujets, les travailleurs, y compris les Français, ont bénéficié de nouveaux droits grâce à l’Europe, mais nous n’en sommes qu’au début du chemin. Nous avons vécu une traversée du désert pendant dix ans en termes de dialogue social, sous la présidence de José Manuel Durão Barroso. La commission Juncker a permis d’avancer, mais encore trop modestement. Néanmoins, nous disposons aujourd’hui du socle européen des droits sociaux. Un certain nombre d’ambitions ont été affirmées, dont celle de recréer du dialogue social. Il faut désormais passer à l’acte pour que l’Europe progresse fortement aux niveaux social, écologique et démocratique. Le syndicalisme a tout son rôle à y jouer.

Comment le congrès de la CES va-t-il s’articuler avec les élections européennes ?

L. B. : Le congrès se tient juste avant les élections européennes. C’est l’opportunité pour la CES de réaffirmer ses ambitions concernant l’Europe, de rappeler que l’Europe n’aura pas d’avenir s’il n’y a pas davantage de justice sociale, de dialogue social, si on ne s’inscrit pas dans les transitions écologiques et technologiques qui intègrent les notions d’emploi, de compétences, de qualité de travail et de partage des richesses créées. L’élection est un moment inquiétant pour l’Europe, avec la montée des populismes, mais aussi passionnant, car c’est maintenant qu’il faut agir. Nous n’avons pas des années devant nous. La CES va devoir faire face à de gros défis. Des défis internes d’abord, pour renforcer sa proximité avec les travailleurs européens. Cela exigera des campagnes d’information beaucoup plus importantes. L’enjeu de la syndicalisation est également très fort dans l’ensemble des pays européens. Enfin, la CES va devoir se positionner sur les bons sujets, à hauteur de femmes et d’hommes, c’est-à-dire être raccrochée à la situation réelle des travailleurs, notamment sur l’harmonisation des droits sociaux des citoyens dans l’ensemble de l’Union européenne.

Comment se concrétise aujourd’hui le socle européen des droits sociaux ?

L. B. : Il témoigne d’abord d’un engagement politique des chefs d’État et des Gouvernements. Au sommet social européen de Göteborg, c’était la première fois depuis des décennies que la construction européenne était abordée sous une dimension sociale. Cette volonté commune de construire une Europe plus protectrice des travailleurs est très importante. Reste à présent à donner corps aux vingt principes et droits qui ont été énoncés. Il y a en effet des actions concrètes à mettre en œuvre concernant les conditions de travail, l’accès au marché de l’emploi et à la protection sociale… C’est ce que nous ferons de ce socle qui sera déterminant ou non. Il est nécessaire d’interpeller le patronat sur sa responsabilité dans le dialogue social, sur la mobilité des travailleurs et l’élévation des compétences pour faire face aux transitions qui sont à l’œuvre. Il faut également que la CES puisse peser sur le trio Commission, Conseil et Parlement européens. L’Europe va devoir être apporteuse d’un certain nombre de garanties pour les travailleurs. Dès que nous aurons une nouvelle commission, nous devrons nous mettre rapidement au travail pour construire réellement ce socle de droits sociaux.

Quelles sont les priorités ?

L. B. : La mise en place de l’Autorité européenne du travail, l’harmonisation fiscale et la création d’un système d’assurance-chômage pour la zone euro. La CES réclame également des salaires minimums applicables partout en Europe, équivalents à 60 % du salaire médian dans chaque pays, qui constitueraient un levier de protection pour les travailleurs qui doivent être détenteurs d’un certain nombre de droits.

Que se passera-t-il si le futur Parlement européen et la future Commission européenne sont encore moins « social » qu’aujourd’hui ?

L. B. : L’Europe a pris beaucoup de retard sur les questions sociales. Et la poussée populiste dans de nombreux pays n’est pas porteuse d’une Europe sociale. Ces élections risquent pour la première fois d’intégrer des eurosceptiques au sein de la Commission. Notre seule consigne est de ne pas voter pour les extrêmes. Je suis un peu inquiet sur les résultats au niveau global, mais je crois en la société civile européenne et à une aspiration à une Europe plus sociale et fraternelle. Il faut espérer que les citoyens se mobilisent. Toutefois, l’Europe a également besoin d’un syndicalisme plus fort, porteur de propositions plus affinées. La CES devra rappeler aux Gouvernements les enjeux en termes de sécurisation professionnelle, de formation, de qualité du travail, et mener le rapport de force au bon endroit. Le patronat européen n’est pas aussi prompt à négocier qu’il y a vingt-cinq ou trente ans. Or, si nous n’avons pas un dialogue social ambitieux pour anticiper les transformations, nous irons dans le mur, et le modèle social ne tiendra pas car il sera miné par les inégalités.

Avez-vous réussi à mobiliser vos militants sur l’Europe ?

L. B. : La CFDT est très impliquée, et son engagement vis-à-vis de l’Europe est collectif. Il y a eu beaucoup d’initiatives des fédérations et d’unions régionales sur l’Europe, de nombreux débats. Mes collègues et moi-même avons régulièrement rencontré les équipes. Un kit de communication a été mis à la disposition des militants, rappelant la finalité de l’Europe et ce qu’elle a permis aux travailleurs d’obtenir depuis des décennies ainsi que nos revendications. Nous ne sommes pas des Européens béats, mais des Européens convaincus.

Est-ce que le triple A social voulu par Jean-Claude Juncker, le président sortant de la Commission européenne, est atteignable dans quatre ans ?

L. B. : Aujourd’hui, il est encore trop tôt pour le dire, mais rien ne nous empêche de l’atteindre. L’Europe ne peut s’en sortir que par la qualité de son modèle productif, de son innovation sociale, de ses relations démocratiques. Il y a un espace pour l’Europe si elle veut bien se réinventer, en créant une société ouverte, où l’on combat les inégalités plus vigoureusement. Certes, il doit y avoir un effort convergent de la Commission et des institutions européennes, mais cela relève aussi de la responsabilité des acteurs politiques et sociaux. Il faut porter des projets européens, et la CES est un bel outil pour le faire.

Laurent Berger

Fils d’un ouvrier des Chantiers de l’Atlantique et d’une auxiliaire de puériculture, Laurent Berger, 50 ans, est devenu numéro un de la CFDT en 2012, en succédant à François Chérèque. Réélu secrétaire général par le congrès de 2014, cet ancien salarié d’une association d’insertion nazairienne a été réélu pour un deuxième et dernier mandat en juin 2018. Depuis son arrivée à la tête de la confédération, la CFDT est devenue le premier syndicat français, secteurs public et privé confondus, aux dépens de la CGT.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange, Nathalie Tran