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L’évaluation des salariés à l’épreuve du droit

Idées | Juridique | publié le : 01.04.2019 |

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L’évaluation des salariés à l’épreuve du droit

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L’évaluation constitue aujourd’hui un outil clé de gestion des ressources humaines. Sous l’angle du droit, la pratique peut être considérée comme vertueuse, car elle participe de l’objectivation de la politique de gestion du personnel (se voir refuser une promotion sur la base d’une évaluation négative est plus objectif que sur la base d’une décision prise sur un coin de table). Mais elle est aussi porteuse de dangers, en termes de respect des données personnelles (RGPD), mais aussi de santé mentale (stress).

Un pouvoir de l’employeur

Évaluer ses salariés fait partie du pouvoir de direction de l’employeur qui s’est vu reconnaître de façon explicite, par la Cour de cassation, le pouvoir d’apprécier l’aptitude professionnelle de ses salariés. Il s’agit d’un pouvoir et non d’un devoir, si bien que, par exemple, la pratique de l’entretien annuel d’évaluation, qui n’est pas prévue par la loi, n’est pas une obligation sauf si la convention collective le prévoit, (dans le secteur de la banque, par exemple). Le propos doit néanmoins être nuancé : ne pas évaluer peut être reproché à un employeur au regard de son obligation d’assurer l’adaptation de ses salariés à leur poste de travail et l’exposer à des dommages-intérêts, lesquels se cumuleront à ceux prévus par le barème s’il licencie son salarié sans cause réelle et sérieuse et s’il se voit reprocher d’avoir licencié son salarié, par exemple pour insuffisance professionnelle ou pour motif économique, sans avoir cherché à le former au long de sa carrière.

L’entretien annuel d’évaluation, facultatif, ne doit pas être confondu avec l’entretien professionnel, obligatoire depuis 2014 et destiné non pas à l’évaluation du salarié mais à l’examen de sa carrière professionnelle (actions de formation, perspectives d’évolution notamment). Les employeurs ont en effet l’obligation d’organiser des entretiens professionnels périodiques avec chacun de leurs salariés, quelle que soit la nature de leur contrat. Cet entretien est obligatoire, tous les deux ans, avec pour objet d’aborder les perspectives d’évolution professionnelle et devra, tous les six ans, dresser un état des lieux récapitulatif du parcours du salarié. Par ailleurs, il doit être réalisé après – et, depuis le 1er janvier 2019, avant la reprise du travail si le salarié le demande – une période de suspension du contrat de travail : congé sabbatique, congé de maternité, congé parental d’éducation, arrêt longue maladie, etc.

Si l’entretien constitue la technique la plus classique d’évaluation, celle-ci peut prendre de multiples formes. Certaines sont particulièrement suspectes vis-à-vis du droit, à commencer par le classement (« ranking ») par quotas, qui contraint l’évaluateur à respecter, pour chaque catégorie, un pourcentage prédéterminé de salariés à affecter. Si ce mode d’évaluation est prohibé en France, un classement des salariés en dehors de tout quota, ou sur la base de quotas dont la valeur n’est qu’indicative, est possible.

Quelles garanties ?

Quelle que soit la méthode pratiquée, deux séries de règles doivent être suivies. Les premières sont des règles de procédure. D’abord, comme l’essentiel des dispositifs susceptibles de porter un préjudice au salarié (la vidéosurveillance, l’ouverture par l’employeur de fichiers informatiques étiquetés comme « personnels », etc.), le salarié doit en être informé au préalable. Il ne peut en revanche prétendre à la présence d’un représentant du personnel à ses côtés lors d’un entretien d’évaluation, une telle assistance n’étant prévue qu’en cas de licenciement ou de procédure disciplinaire. Ensuite, lorsque des données personnelles sont collectées dans un document à caractère informatique lors de l’évaluation, le RGPD s’applique, avec en outre un droit d’accès du salarié à son dossier d’évaluation. Le refus d’un tel accès peut constituer un commencement de preuve d’une discrimination ! Le risque de discrimination est plus élevé encore si la qualité de représentant du personnel est mentionnée dans une fiche d’évaluation afin de réduire ses primes du fait d’une disponibilité réduite ou, comme il a parfois été soutenu, d’une implication irrégulière liée à l’exercice du mandat.

La seconde série de règles porte sur le fond de l’évaluation. Celle-ci doit avoir exclusivement pour objet d’apprécier l’aptitude professionnelle du salarié, sur la base de critères objectifs et précis. Il faut bien admettre qu’il est difficile de s’y retrouver dans la jurisprudence lorsqu’on constate que la cour d’appel de Toulouse jugeait, en 2011, qu’agir avec courage n’est pas un critère admissible tandis que celle de Versailles décidait, un an plus tard, que l’ouverture vers l’extérieur, la clairvoyance, l’imagination et la capacité à fédérer le sont.

Évaluation et objectifs

Le recours à des critères pertinents est essentiel dans la mise en œuvre des clauses d’objectifs, lesquelles, très souvent, requièrent une évaluation afin de déterminer si lesdits objectifs ont été atteints. Les clauses d’objectifs (également appelées « clauses de rendement » ou « de quotas ») se sont multipliées avec le succès de modes de rémunération variable fondés non plus seulement sur le chiffre d’affaires, mais aussi sur la performance individuelle du salarié (augmentation du nombre des ventes, du nombre des clients, réalisation d’objectifs qualitatifs), et ce afin de renforcer l’implication des salariés. Ces clauses posent un certain nombre de difficultés juridiques, à commencer par la fixation même des objectifs : ceux-ci peuvent l’être par les parties de manière contractuelle (ce qui pose la question, parfois réglée par le contrat, de leur fixation à défaut d’accord), mais aussi de manière unilatérale par l’employeur. Le plus souvent, ces clauses ont pour finalité de définir la part variable de la rémunération du salarié, la jurisprudence française admettant la validité des clauses dites de « rémunération variable » dès lors qu’elles reposent sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, ne font pas peser le risque d’entreprise sur le salarié, et n’ont pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels. Ces clauses peuvent-elles aussi servir à justifier le licenciement du salarié ? Concrètement, l’employeur peut-il licencier son salarié pour non-atteinte des quotas chiffrés figurant dans son contrat ? La jurisprudence répond, depuis près de trente ans, par la négative : la seule non-atteinte des objectifs fixés par contrat ne peut justifier un licenciement (on parle alors de « licenciement pour insuffisance de résultats ») ; pour que le licenciement soit valable, il faut que la non-atteinte des résultats ait été liée à une insuffisance professionnelle, ou à une faute imputable au salarié. On peut y voir la réticence du droit français du travail vis-à-vis de la préconstitution par contrat des motifs de licenciement, poussée depuis plusieurs années par le patronat – le contrat « agile » du Medef, ou encore le contrat de croissance de la CGPME.

Si les clauses d’objectifs sont de peu d’utilité en cas de licenciement, l’évaluation y a un rôle majeur à jouer dans le cas du licenciement pour insuffisance professionnelle. L’évaluation, à condition d’être menée conformément aux règles visées plus haut, peut fonder un licenciement, notamment pour insuffisance professionnelle. Et inversement, elle fournira au salarié, s’il s’avère que les résultats de ses évaluations sont régulièrement positifs, un argument pour contester ce même licenciement.

Les risques de l’évaluation

Si tant de précautions sont prises par le droit, c’est aussi parce que l’évaluation est porteuse de risques pour la santé des salariés, comme l’illustre cette affaire jugée par la Cour de cassation en 2016. Elle a vu les hauts magistrats juger qu’une dépression nerveuse soudaine était directement causée par un entretien d’évaluation et relevait, dès lors, de la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. La cour d’appel de Toulouse, visée plus haut, avait été particulièrement explicite sur les risques de l’évaluation : « L’intégration de critères comportementaux professionnels représentant une part importante dans l’évaluation et influant notablement sur la part variable d’une prime annuelle, dont le minimum est de 7 % et dont le maximum peut être supérieur à 13,5 % du salaire annuel, est susceptible de générer pour les salariés une insécurité et une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail ». On en déduisait, à l’époque, l’obligation de consulter le CHSCT en cas de mise en place d’un dispositif d’évaluation manifestement de nature à générer une pression psychologique générant des répercussions sur les conditions de travail des salariés. Ce sera désormais le rôle du CSE et plus précisément, dans les entreprises d’au moins 300 salariés, de la commission santé et sécurité (CSSCT) du CSE.

Sans nier l’utilité de l’évaluation, celle-ci participe d’un processus – certes ancien – d’individualisation de la gestion du personnel. Aussi, conviendrait-il de développer, en compensation, des processus collectifs de discussion sur le travail. Des processus qui intégreraient, non pas seulement des discussions hiérarchiques (l’évaluation est avant tout conçue comme hiérarchique), mais aussi horizontales, entre les salariés eux-mêmes. Il conviendrait à cet égard, dans le cadre d’une vision renouvelée et enrichie du droit d’expression, de favoriser la constitution d’espaces de discussion collective sur le travail, au niveau d’un atelier, d’un service. Groupes de discussion en présentiel mais aussi à distance, par la voie électronique, à destination notamment des télétravailleurs dont il ne faut pas seulement assurer la déconnexion par rapport à l’entreprise, mais aussi la connexion par rapport à la collectivité de travail dont ils sont éloignés ! La discussion porterait, non pas seulement sur les conditions de travail, la qualité de vie au travail, mais aussi, précisément, sur le travail lui-même : il y a sans doute là un cadre adéquat pour discuter de la performance et des objectifs des salariés.