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La fonction RH à temps partagé : question de santé pour les dirigeants de PME ?

Idées | Recherche | publié le : 01.04.2019 |

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La fonction RH à temps partagé : question de santé pour les dirigeants de PME ?

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Alors que la santé des salariés a fait l’objet de nombreux travaux, celle du dirigeant n’est que rarement questionnée. Et pourtant, le capital santé du dirigeant apparaît comme le premier actif immatériel de la PME ; l’absence de santé a des conséquences immédiates et directes sur l’existence même de l’entreprise et sur l’emploi. La dépendance de l’entreprise à son dirigeant et à sa santé est d’autant plus forte que sa taille est limitée.

Analyser les facteurs d’influence de la santé des dirigeants de PME est d’une grande nécessité. Divers auteurs, dans le cadre notamment de l’Observatoire Amarok, étudient des cohortes de chefs d’entreprise sur des périodes longues, et décortiquent leur niveau de stress, de dépression et de burn-out, afin d’en repérer les causes. Parmi les facteurs d’influence de la santé des dirigeants, ils notent que les difficultés économiques, professionnelles, personnelles et/ou familiales, l’incertitude sur l’avenir, le dépôt de bilan, l’incapacité du dirigeant à verbaliser ses difficultés et à avouer un éventuel malaise, le sentiment de solitude et d’isolement dans le travail, la charge de travail, etc., sont très largement présents. Le sentiment de solitude et d’isolement ainsi que la charge importante de travail, notamment, semblent plus élevés pour les dirigeants de petites structures.

Intuition de départ

Ce contexte nous conduit à nous interroger sur le fait que les capacités des dirigeants de PME à mobiliser les réseaux et à rechercher des appuis à l’extérieur de l’entreprise (famille, amis, banquier, comptable, conseils, etc.) mais aussi, et surtout, à s’entourer de compétences en interne par le biais du recrutement, contribuent à limiter leurs charges de travail, à éloigner le sentiment de solitude et à préserver ainsi leur santé. Cependant, les contraintes financières fortes et le besoin de compétences spécifiques – souvent à temps partiel – des PME font que les dirigeants ont des difficultés à attirer et fidéliser de nouvelles ressources, ce qui les oblige à une extrême polyvalence et renforce leurs risques de surcharge de travail.

D’où notre intuition de départ consistant à favoriser le recours au temps partagé, par l’intermédiaire d’un groupement d’employeurs. Si de nombreuses compétences sont précieuses pour les PME, nous nous concentrons ici sur la valeur ajoutée perçue du métier de responsable des ressources humaines. Notre objectif est d’analyser comment le recrutement d’un RRH à temps partagé, par l’intermédiaire d’un groupement d’employeurs, est perçu par un dirigeant de PME

Quels enseignements ?

Les données récoltées mettent en avant que les dirigeants perçoivent positivement le recrutement d’un RRH à temps partagé. Il génère de nouvelles ressources en termes d’énergie et de temps libéré, de capacités relationnelles et d’expertise RH. La présence d’un RRH à temps partagé facilite la construction du projet de l’entreprise grâce au temps dégagé et à la prise de recul permise non seulement par la délégation de la gestion quotidienne des salariés au RRH, mais aussi par la possibilité, pour eux, d’avoir une écoute et un partage des décisions. Ils se disent libérés de tâches chronophages et exigeantes en termes d’énergie et d’émotions négatives. Cette « libération » les autorise à une certaine distanciation, une prise de hauteur qui améliore leur prise de décision. In fine, les dirigeants se recentrent sur leurs missions de direction et sur la dimension stratégique de leur fonction.

L’arrivée d’un RRH à temps partagé permet également une triangulation de la relation et limite le besoin de relation directe dirigeant-salariés. Ce schéma peut être perçu négativement par les salariés dans un premier temps. Des inquiétudes de voir arriver un RRH sont repérées, elles interrogent la représentation que peuvent avoir les salariés de cette fonction. Mais la compétence permet de la rendre légitime et, très vite, la personne recrutée devient un intermédiaire indispensable pour le dirigeant et les salariés. Elle est vue comme étant neutre, ce qui génère de la confiance.

L’expertise RH s’avère nécessaire en PME à deux niveaux : d’une part, pour maîtriser la complexité réglementaire croissante ; d’autre part, pour optimiser la gestion des RH. Au plan réglementaire, les entreprises se trouvent de plus en plus confrontées à une complexification des règles, qu’il s’agisse du droit du travail, de plus en plus exigeant et mouvant, ou de l’établissement de la paie, de plus en plus ardu par exemple. Au plan managérial, la motivation et la fidélisation des salariés, le maintien et le développement de leurs compétences sont perçus comme des avantages concurrentiels indéniables pour des entreprises évoluant toutes, quels que soient les secteurs d’activité, dans des environnements économiques et technologiques instables.

Ces ressources nouvelles du fait du recrutement d’un RRH à temps partagé ont des effets bénéfiques, directs et indirects, sur la santé du dirigeant. Une spirale de mieux-être, au sens de la théorie COR, est réelle à travers une baisse du stress du dirigeant, un gain de sens par un repositionnement sur le métier de dirigeant, une meilleure performance de l’entreprise.

La triangulation de la relation permise par la présence d’un RRH à temps partagé a un premier effet sur le mieux-être du dirigeant. Le fait de pouvoir se reposer sur une compétence spécifique RH limite le stress, car le dirigeant est plus serein face à ses obligations.

Cette limitation du stress ainsi qu’une articulation facilitée entre vie professionnelle et vie personnelle sont aussi associées à une meilleure organisation du travail, liée à la présence d’un RRH à temps partagé.

Le deuxième effet sur le mieux-être du dirigeant est associé à sa possibilité de se recentrer sur la stratégie de son entreprise et d’accroître sa performance en matière de gouvernance. Ainsi, le RRH à temps partagé permet au dirigeant de diriger et de performer dans son rôle de guide et de développeur de l’entreprise, dans un contexte certes toujours contraint, mais apaisé par une délégation de tâches et de responsabilités, ainsi que par le soutien informationnel et émotionnel qu’il génère.

Le troisième effet est un accroissement de la performance sociale de l’entreprise. Trois dimensions décrites ici permettent cet accroissement qui, in fine, contribue au bien-être du dirigeant.

L’étude révèle tout d’abord une baisse du « risque social », autrement dit un gain financier pour l’entreprise, en évitant les coûts cachés générés par une gestion RH non performante. Les dirigeants évoquent, ensuite, le développement et l’optimisation des compétences en interne. À travers un recrutement plus professionnel et la mise en place d’une logique de formation et de développement des compétences, souvent en lien avec l’implémentation de dispositifs d’évaluation, la présence d’un RRH à temps partagé en PME optimise la gestion des RH.

Les dirigeants indiquent, enfin, que cela renforce l’attractivité de l’entreprise, par la voie d’une logique de changement et d’innovation facilitée. Et ce, grâce à tous les apports en termes de recrutement et de développement des compétences, mais aussi au niveau du management. Plusieurs éléments sont décrits dans les expériences des dirigeants rencontrés : un effet « innovation produit » et « facilitateur du changement » en lien avec la formation ; un effet « facilitateur du changement » à travers la dynamique RH impulsée ; un effet « cohésion d’équipes » et « climat social ».

Et maintenant ?

Malgré les avantages que représente le RRH à temps partagé en PME, le recours à cette forme d’emploi reste aujourd’hui peu courant. Certaines explications peuvent être avancées : la méconnaissance de cette forme d’emploi, la représentation de la fonction RH… Nos travaux invitent à changer les perspectives et à modifier les représentations.

En effet, nous démontrons que le recrutement d’un RRH à temps partagé génère de nouvelles ressources et enclenche une dynamique de cercle vertueux, au niveau individuel (avec des effets directs sur le mieux-être du dirigeant) et au niveau organisationnel (avec une meilleure image et une plus grande performance de l’entreprise, elles-mêmes sources de mieux-être). À l’inverse, les entreprises qui n’intègrent pas de compétences spécifiques grâce au temps partagé risquent une perte de ressources (perte de temps, perte de compétences de gouvernance…) et peuvent entrer dans une spirale d’échec (absence de direction de l’entreprise, absence de stratégie, stress du dirigeant…).

Ainsi, le recrutement d’un RRH à temps partagé peut être perçu comme une stratégie préventive de la santé du dirigeant, judicieuse et efficace. Mais pour qu’elle soit opérationnelle, différentes conditions doivent être réunies. Elle repose tout d’abord sur la capacité du dirigeant à s’appuyer sur une nouvelle forme d’emploi, le temps partagé via le groupement d’employeurs étant encore peu diffusée dans les PME.

Elle s’appuie, ensuite, sur sa capacité à s’ouvrir à son territoire par l’intégration au réseau solidaire des entreprises construit autour du groupement d’employeurs, dont les principaux objectifs sont le maintien, l’attrait et le partage de compétences spécifiques localisées.

Enfin, elle renvoie à la capacité du dirigeant de PME à internaliser une expertise RH et à se centrer sur les questions essentielles de son métier.

Au-delà de la santé des dirigeants, l’actualité juridique récente (taxation des contrats courts) renforce l’intérêt du développement du temps partagé via les groupements d’employeurs pour les PME.

Anne Joyeau

Maître de conférences en sciences de gestion à l’IGR-IAE de Rennes, membre du Crem (UMR CNRS 6211)-université de Rennes 1, et responsable pédagogique du master GRH, parcours Stratégie et Développement RH (labellisé par le réseau Référence RH). Ses travaux portent sur le management des compétences, la gestion de l’emploi et, en particulier, les compétences et le temps partagés.

Gwénaëlle Poilpot-Rocaboy

Professeure des universités en sciences de gestion à l’IGR-IAE de Rennes, membre du Crem (UMR CNRS 6211), université de Rennes 1. Elle est vice-présidente de l’AGRH (Association francophone de gestion des ressources humaines) et présidente du réseau Référence RH (association des formations de 3e cycle universitaire et grandes écoles en gestion des RH).

Sébastien Le Gall

Maître de conférences HDR en sciences de gestion à l’université Bretagne Sud-Institut de management de Vannes, membre du laboratoire Lgo. Il est responsable pédagogique du master 2 gestion des ressources humaines, spécialisation temps partagé (master membre du réseau Référence RH). Ses travaux portent sur l’analyse des stratégies des organisations en lien avec le territoire.