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Les salariés ont leur mot à dire

Dossier | publié le : 01.04.2019 | Adeline Farge

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Les salariés ont leur mot à dire

Crédit photo Adeline Farge

Recommander un ex-collègue, un camarade de promotion ou un ami pour un poste dans sa boîte, et toucher en contrepartie une petite récompense… Vieux comme le monde, le recrutement par cooptation revient aujourd’hui à la mode dans des entreprises confrontées à une pénurie de talents.

Inscrit sur Facebook, sur LinkedIn ou sur Twitter, chacun peut aujourd’hui partager une offre d’emploi dans son réseau et repérer parmi ses contacts un profil susceptible de séduire son employeur. En parallèle, confrontées à une pénurie de talents sur certains métiers, les entreprises n’hésitent pas à encourager leurs collaborateurs à ouvrir leurs carnets d’adresses. « Nous recrutons beaucoup de développeurs et de commerciaux avec une fine connaissance du digital. Ce sont des profils recherchés, qu’il est compliqué d’aller chasser. Nos salariés, qui ont suivi des études et qui ont eu des expériences professionnelles dans ces domaines, sont les plus à même de trouver dans leur entourage des personnes qui maîtrisent ces compétences “pénuriques” », explique Pauline Barnouin, responsable recrutement et développement RH chez LeBonCoin, où 25 % des recrutements sont issus de la cooptation. Si les entreprises des secteurs en tension – notamment celles des services informatiques ou de l’ingénierie – sont les plus friandes de la formule, les autres leur emboîtent le pas dans l’espoir de se passer de l’appui onéreux d’un cabinet de recrutement et de gagner un temps précieux dans la recherche de compétences pointues.

Les meilleurs ambassadeurs

Selon la dernière enquête de l’Apec sur les modes de sourcing utilisés pour attirer les candidatures de cadres, 42 % des recruteurs ont eu recours à la cooptation, en 2017. Cependant, celle-ci s’étend désormais à tous les échelons. Recruter par le biais de ses collaborateurs est en effet pertinent pour débusquer des candidats qui ne sont pas en recherche active d’emploi. « En faisant appel au réseau de nos collaborateurs, nous pouvons identifier des professionnels qui ne répondent pas spontanément à nos annonces. Même si changer de poste n’est pas dans leur actualité, ils seront plus à l’écoute des possibilités de carrière dans notre entité lorsqu’elles sont présentées par un membre de leur entourage », estime Virginie Flore, directrice du développement RH chez Spie Batignolles, qui prévoit de recruter 800 nouveaux collaborateurs cette année.

La cooptation est aussi une solution efficace pour séduire des profils ultra-sollicités par la concurrence, en raison de leur expertise technique. Bien plus que les managers et les responsables RH, parties prenantes du recrutement, les salariés sont les mieux placés pour présenter à leurs pairs les atouts de leur société, son fonctionnement, ses missions, le management pratiqué, la culture maison, l’ambiance dans les équipes, les conditions de travail… En clair, les collaborateurs épanouis au boulot restent les meilleurs ambassadeurs de leur entreprise. « Avec le plein emploi, le rapport de force s’est inversé sur le marché des cadres. Alors que les candidats ont le choix entre plusieurs offres, les entreprises sont contraintes de montrer patte blanche. Outre les valeurs et les avantages mis en avant dans les messages corporate, ils veulent avoir un retour direct sur l’expérience des collaborateurs. Le discours des salariés, perçu comme plus authentique, plus transparent et plus proche de la réalité, sera donc mieux entendu », constate Mickaël Evrard, manager opérationnel à l’Apec.

Limiter les échecs

Les cooptés reçoivent des informations étoffées sur les coulisses de l’entreprise qu’ils s’apprêtent à rejoindre contrairement aux candidats qui ont répondu à une simple annonce. Résultat : en postulant, ils savent exactement où ils mettent les pieds, ce qui évite les mauvaises surprises. « Le décalage entre la promesse faite pendant l’entretien d’embauche et la réalité sur le terrain étant moins importante, les ruptures pendant les périodes d’essai sont beaucoup moins fréquentes. D’autant que l’intégration est facilitée, puisque ces personnes bénéficient du soutien privilégié de leur parrain qui les aide à décrypter les rouages de l’entreprise et qui répond à toutes leurs interrogations », indique Isabelle Bastide, présidente de Page Group et auteure du livre « Le recrutement réinventé ».

Si la cooptation permet aux candidats de postuler en toute confiance, il s’agit, pour l’entreprise, d’un levier susceptible de sécuriser les recrutements. Par peur de se décrédibiliser auprès de leurs supérieurs en transmettant une mauvaise candidature, les collaborateurs ne se contentent pas de piocher un CV au hasard sur LinkedIn ou d’aider un proche à retrouver un emploi. Avant de recommander un contact, ils s’assurent de l’adéquation entre les attentes de leur employeur et le profil de la potentielle recrue. « Les candidatures recommandées sont plus qualifiées. Les salariés connaissent bien nos métiers, notre culture, mais aussi la personnalité du candidat. Ils savent cibler les personnes qui partagent nos valeurs, qui disposent des compétences nécessaires et qui sauront s’intégrer », explique Florence Real, directrice recrutement chez Accenture, dont 30 % des salariés recrutés en 2017-2018 sont issus de la cooptation.

Grâce aux renforts de leurs salariés, les recruteurs reçoivent sur un plateau des candidatures de meilleure qualité dans des délais plus courts. Afin que la complexité de la démarche ne dissuade pas les volontaires, Spie Batignolles a lancé une plateforme digitale de cooptation, baptisée Coop’ton, depuis laquelle les collaborateurs ont la possibilité de consulter les offres, puis de les diffuser sur les réseaux sociaux. Chez Tiller Systems, les salariés peuvent transmettre le CV de leurs contacts aux RH, grâce à un logiciel de traitement des candidatures, en précisant qu’il s’agit d’une recommandation. Une fois le document réceptionné, les collaborateurs sont reçus en entretien par les chargés de recrutement afin d’expliquer leurs motivations à promouvoir ce profil, les conditions de la rencontre avec la personne recommandée et les relations qu’ils entretiennent.

Ni pistonner, ni copiner, ni cloner

Car si la cooptation allège le fastidieux travail de sourcing et de présélection des candidatures, les services RH ne doivent pas faire l’impasse sur les autres étapes : évaluation des compétences, entretiens avec les RH et les managers, négociations salariales… La recommandation ne riment pas avec passe-droit. « Les personnes parrainées ne doivent pas bénéficier d’un traitement de faveur, ni être choisies les yeux fermés. Leurs compétences sont à évaluer au même titre que celles des autres candidats, et les critères de sélection doivent rester identiques. Même si le salarié présente une candidature pertinente, le décisionnaire final et seul responsable du recrutement reste le service RH. Il faut éviter de tomber dans du piston et du copinage », prévient Manuel Perruchot, cofondateur de Keycoopt. Autre écueil d’une cooptation mal contrôlée, le clonage des collaborateurs. « Si ce sont toujours les mêmes qui cooptent, le risque est de recruter des candidats issus des mêmes écoles, du même milieu social, qui ont occupé des postes similaires. Et des clans pourraient se former en interne. Il est essentiel de veiller à la diversité des parcours et des profils », insiste Mickaël Evrard.

Conscientes des dérives possibles, des sociétés ont défini les règles strictes. Pour éviter des conflits d’intérêt, Spie Batignolles interdit aux managers et aux RH impliqués dans le recrutement de recommander leurs contacts. Les salariés, eux, ne peuvent pas coopter des membres de leurs familles dans leur équipe afin que d’éventuelles tensions ne rejaillissent pas sur l’ambiance au bureau.

S’il n’est pas question d’impliquer les collaborateurs dans l’embauche de leurs proches, il est de bon ton de les tenir informés de la suite de la recommandation qu’ils ont adressée aux services RH. Sur la plateforme en ligne de candidatures d’Accenture, les collaborateurs peuvent suivre, étape par étape, l’avancée du processus de recrutement. Si la cooptation échoue, le responsable du recrutement pourra leur en expliquer la raison. Un retour qui leur permettra de mieux discerner les attentes de l’employeur pour le coup d’après. « S’ils n’ont pas de visibilité sur la suite du processus de recrutement, les coopteurs auront le sentiment que leur recommandation n’a pas été prise en compte. Ils ne se sentiront pas reconnus et n’auront pas envie de renouveler l’expérience. Le fait d’être transparent va, au contraire, leur donner confiance dans les programmes de cooptation qui pourront alors s’inscrire dans la durée », observe Florence Real.

Primes, bons d’achat, cadeaux, week-ends… Pour inciter les collaborateurs à se transformer en chasseurs de tête, rien de mieux que de les récompenser… Ainsi, Talan verse une prime allant de 500 à 3 500 euros selon la séniorité et la rareté des compétences du poisson pêché. De son côté, Tiller Systems prévoit une gratification de 300 euros pour les profils non tech et de 1 000 euros pour les profils tech, plus compliqués à trouver. « Cette récompense est un levier de motivation et une marque de reconnaissance de l’implication des salariés dans le développement de l’entreprise. Mais nous ne versons cette prime qu’à la fin de la période d’essai, cela évite que les collaborateurs proposent des profils qui ne nous correspondent pas seulement pour la toucher », précise Alexis Krug, responsable recrutement chez Tiller Systems.

Pour que les collaborateurs aient le réflexe de recommander des candidats, encore faut-il les informer de l’existence des programmes de cooptation internes. Réunion d’équipes, newsletters, affichage, communication sur l’intranet… Talan multiplie les piqûres de rappel sur les profils recherchés en priorité, sur les modalités, sur les récompenses à la clé. Pour redonner un coup de peps au dispositif, et en prime repérer de nouvelles pépites, Talan organise régulièrement des challenges du meilleur coopteur. Et si les salariés traînent toujours des pieds, les entreprises peuvent aussi se tourner vers les sites de recrutement participatif qui fleurissent sur la Toile.

Auteur

  • Adeline Farge