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Les nouvelles méthodes pour embaucher

Dossier | publié le : 01.04.2019 | Lucie Tanneau

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Les nouvelles méthodes pour embaucher

Crédit photo Lucie Tanneau

Nouvelles méthodes et compétences, profusion de CV et de candidats… Le recrutement connaît des évolutions rapides, qui modifient en profondeur le métier. Avec l’émergence du « talent acquisition manager », le recruteur est déjà hybride et connecté. Il doit devenir encore plus rapide et plus proche de ses clients.Par Adeline Farge et Lucie Tanneau

Terminé les annonces dans les pages saumon ou les sites spécialisés, la chasse au CV et les annuaires d’anciens élèves à éplucher… « Aujourd’hui, le recruteur n’a plus de problème de sourcing », commente Gwenolé Guiomard, auteur du « Guide des professionnels du recrutement » (Éditions du Management). Les réseaux sociaux facilitent la recherche de candidats et révolutionnent le recrutement. Après les joboards type Cadremploi ou Monster, qui ont démocratisé la mise en ligne de CV par les candidats à la recherche d’un poste il y a dix ans, c’est le géant LinkedIn qui s’impose depuis plusieurs années. Le réseau offre une visibilité à tous les profils, qu’ils soient en poste ou non. « C’est désormais normal d’y être, c’est une carte d’identité professionnelle », résume Isabelle Mounier-Kuhn, directrice du cabinet de recrutement Oasys dirigeant. « Si les recruteurs utilisaient encore les annuaires papier il y a dix ans, aujourd’hui c’est fini. D’autant que LinkedIn a l’avantage d’être un réseau mondial et de rapprocher entreprises et candidats quelle que soit leur nationalité », complète-t-elle. C’est l’une des évolutions notables du métier : le recruteur est désormais internationalisé, dans un monde globalisé. « On voit aussi des annonces de postes passer sur Instagram ou sur Facebook, mais ces réseaux sont jugés moins sérieux par les entreprises. Ils restent des outils de communication plus que de recrutement, précise Oualid Hatroubi, directeur adjoint de Hays. D’autant que les réseaux ont un inconvénient : une annonce déclenche 200 candidatures dans la soirée, c’est ingérable ! » Pour lui, les anciennes méthodes restent donc valables, même si l’on est passé du 100 % papier, aux « CVthèques », puis, désormais, aux mêmes banques de CV accompagnées des réseaux sociaux. « Les candidats de qualité estiment que les recruteurs les trouveront sur LinkedIn, ils ne mettent plus leur CV sur les joboards », remarque ainsi Halima Bousaidi, ancienne chasseuse de tête, désormais en charge du recrutement chez Gameloft. « Mais certains profils ne sont pas encore sur le réseau, ou alors avec des profils incomplets et sans les mots-clés adéquats. Pour trouver un comptable, notamment, on continue avec les annonces et les joboards », assure-t-elle.

IA et recrutement

Si le digital bouleverse le sourcing, il réforme également le pre-assesment. En effet, l’intelligence artificielle est de plus en plus utilisée sur le créneau, notamment pour les tâches rébarbatives que peuvent être le tri des CV ou la rédaction d’annonces, mais aussi la prise de rendez-vous ou les réponses standardisées aux candidatures non retenues. « En Europe et aux États-Unis, je n’ai jamais vu d’annonces rédigées à 100 % par un robot, nuance Jean-Noël Chaintreuil, spécialiste du secteur et auteur du “Guide RH et digital” (éditions Diateino). L’idée est d’utiliser l’IA pour rédiger une première mouture de l’annonce, le recruteur la valide ensuite. » Reste que les métiers de recrutement sont de plus en plus hybrides, de plus en plus technologiques, et les recruteurs doivent développer leurs compétences digitales, au minimum en comprendre les évolutions.

Le recrutement passerait aussi de plus en plus par le jeu. Ces « gamifications », venues des États-Unis, proposent des serious games ou des escape games pour mettre les candidats en situation. « Ils sont là pour qualifier les candidats, c’est-à-dire voir de quoi ils sont capables. L’Oréal utilise un serious game, “Brandstorm”, depuis plus de 27 ans. Cela permet de valider les profils retenus sur CV et de sélectionner les meilleurs profils dans la durée, analyse Jean-Noël Chaintreuil. Certains l’utilisent aussi surtout pour faire le buzz et pour donner une image ludique et innovante de leur boîte, réagit Oulid Hatroubi. Cela se voit dans les start-up, mais la plupart des grosses entreprises n’en ont tout simplement pas le temps. »

Reste que de nouvelles pratiques voient le jour. Autre exemple, pour un classique du genre : l’entretien. « Là dessus, aucune révolution : c’est ce rendez-vous qui permet de faire son choix. Sur ce point, le métier n’a pas bougé », assure Gwenolé Guiomard. Sauf qu’il peut être préparé grâce aux vidéos en différé (ou asynchrones), de plus en plus utilisées, notamment par les grandes entreprises. Avec une compétence devenue essentielle chez les candidats : la présentation personnelle. Chez Dior, la vidéo est ainsi une réelle étape dans le parcours des candidats, avec des prérequis ainsi que des indicateurs. « L’enjeu pour le recruteur est devenu la sélection », poursuit Gwenolé Guiomard.

Si des algorithmes, basés sur des mots-clés, assurent de plus en plus le premier écrémage (avec le risque de retenir des clones), les 9 000 consultants en recrutement recensés en France, comme les DRH ou les chargés de cette mission en entreprise, doivent assurer la sélection finale. Et si le CV n’est pas mort, puisqu’il reste souvent la base d’un entretien, son contenu peut changer. « On demande de plus en plus une sorte de book, comme celui des artistes, relève Jean-Noël Chaintreuil. Il doit permettre de contextualiser le parcours du candidat : on cherche de plus en plus à projeter la personne dans l’entreprise. » Le recruteur regarde le diplôme, les soft skills attendus pour le poste, mais aussi si le candidat peut correspondre à la culture d’entreprise, ce que certains appellent « le recrutement prédictif ». Ce concept, basé sur la personne et sur ses attentes, vise à éviter les erreurs de casting et à attirer des candidats qualifiés, compétents, mais aussi en adéquation avec la culture de l’organisation, donc plus enclins à rester en place. Dans un marché de plein emploi pour les postes confiés aux cabinets de recrutement (agents de maîtrise à cadres, dont le taux de chômage est extrêmement bas), l’entreprise doit offrir du sens au travail de ses futurs salariés. « Le marché a changé et le rapport de force est du côté des candidats. Il y a moins de stress, l’entretien ressemble davantage à une discussion », rapporte Oualid Hathroubi, directeur adjoint de Hays. « Pour les compétences techniques, on fait confiance aux CV. Si la personne dispose des soft skills que l’on recherche pour négocier avec les commerciaux, et pour créer des interactions avec ses collègues, elle pourra aussi apprendre la technicité une fois en poste. »

Avantage au candidat

La rémunération n’est plus le sujet primordial des entretiens d’embauche. Désormais, la qualité de vie au travail est demandée par les candidats. « On ne parle plus de mutuelle ou de primes, mais de volume de travail, d’équilibre de vie, de la possibilité d’aménager les horaires… On parle de l’impact qu’ils auront dans l’entreprise : le recruteur doit se vendre et mettre en avant le côté “great place to work”, avance Oualid Hathroubi. Il y a sept ans, c’était le baby-foot. Maintenant, la question est de savoir si on peut faire du télétravail. Et dans cinq ans, ce sera encore autre chose. C’est ce rend le recrutement compliqué. »

Tous les interlocuteurs sont unanimes : le métier s’est complexifié. L’évolution sémantique le montre : on ne parle plus de recruteur, mais de « talent acquisition manager ». Un terme qui ne durera peut-être pas, mais qui met en avant cette quête du graal : un talent, plus qu’un candidat. « Depuis que certains métiers sont devenus “pénuriques”, il y a le risque de se faire piquer les talents, et les candidats peuvent trouver un poste plus rapidement. Pour les repérer et pour les recruter, on doit donc aller plus vite », analyse Isabelle Mounier-Kuhn, d’Oasys. Parfois, la recherche prime même sur la définition précise du poste, ce qui met le recruteur au centre d’injonctions paradoxales… Et ce qui l’oblige à des tours de force pour garder les candidats motivés et disponibles. Grâce à des applications de job matching telles que Meteojob, Qapa ou Yupeek, conçues sur le principe de Snapchat, faire correspondre un profil et une entreprise devient aussi rapide qu’un clic. Le recrutement s’en trouve encore accéléré.

Conservateur quand même

En difficulté, accéléré… mais bien vivant ! « Quand Hays a été créé en 2011, on nous a expliqué que Monster allait marquer la fin des cabinets de recrutement. Puis, la même chose s’est produite avec l’arrivée de LinkedIn… Finalement, les cabinets ne se sont jamais aussi bien portés », affirme Oualid Hathroubi. Une tendance que confirme Gwenolé Guiomard qui recensait 5 000 consultants en 2007 et qui en compte plus de 9 000 aujourd’hui, malgré un sévère coup de frein après la crise de 2008. Les cabinets et autres chasseurs de tête, dont le métier connaît également de profonds bouleversements (lire par ailleurs), resteraient – et le deviendraient même encore plus que dans le passé – la solution pour les recrutements « sensibles », malgré la quantité de CV disponibles sur Internet. « On fait appel à des recruteurs extérieurs s’il y a une extrême confidentialité. Par exemple, si le patron veut remplacer une personne encore en poste, ou si le recrutement peut être l’occasion d’un rapprochement avec une autre boîte, et si l’on n’a pas réussi en interne », détaille Isabelle Mounier-Kuhn, d’Oasys. Pour le reste des cas, elle note une tendance à l’internalisation du recrutement, « parce que c’est moins onéreux, que le recruteur interne a une meilleure connaissance de la culture et du style de l’entreprise, et que les programmes de cooptation par des salariés déjà en poste ont le vent en poupe ». « Du point de vue d’un patron d’entreprise, cela paraît logique : quand on a des salariés qui bossent bien, on leur fait confiance. Avec les outils digitaux qui ont permis de faire du repérage, on compte sur eux pour devenir des ambassadeurs de l’entreprise. » Halima Bousaidi constate, elle aussi, cette tendance à l’internalisation, avec deux nuances. « Pour assurer le recrutement en interne, il faut une équipe suffisamment étoffée, avec du temps disponible. Et il faut pouvoir “nourrir” ces collaborateurs régulièrement, car si l’entreprise n’a pas de poste ouvert, l’équipe ne sert à rien, elle coûte cher, et pour ça, LinkedIn ne change pas totalement la donne », remarque-t-elle.

Car même si le recrutement semble vivre une révolution, la France du travail reste un pays conservateur. « Le culte du diplôme est encore très présent », acquiesce Jean-Noël Chaintreuil. « On parle des soft skills, c’est de la tarte à la crème : les recruteurs ont toujours cherché des qualités de communication, de la créativité et un sens critique pour les postes de cadres, et comme il est difficile de détecter la créativité en entretien, ils se protègent en plaçant un HEC ou un clone du dirigeant », regrette Gwenolé Guiomard. D’autant que les anciens dénicheurs de talents sont devenus de plus en plus des conseils en stratégie pour les entreprises clientes, et des coachs professionnels pour orienter et pour placer les candidats qu’ils suivent et qu’ils accompagnent durant de nombreuses années. Des facettes du métier qui les rapprochent étrangement des chasseurs de tête.

Auteur

  • Lucie Tanneau