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Chasseur de tête : le nouveau couteau suisse

Dossier | publié le : 01.04.2019 | Lucie Tanneau

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Chasseur de tête : le nouveau couteau suisse

Crédit photo Lucie Tanneau

Un métier est en train de changer de visage : celui de chasseur de tête, qui voit augmenter la concurrence et les frontières avec le conseiller en recrutement s’estomper. Son activité s’est diversifiée, il est aujourd’hui un conseiller en stratégie et un coach autant qu’un découvreur de talent.

Les réseaux sociaux ont modifié en profondeur pour les recruteurs la manière de chercher, de trouver et de placer des candidats. Au cœur du système, les chasseurs de tête, dont le rôle est emblématique pour les postes à haut revenus et qui sont très disputés par les entreprises, voient également leur activité évoluer à une vitesse et dans une direction encore indéfinies. « Ce qui a le plus changé, ce sont les canaux de communication pour établir le contact avec les candidats », analyse Kamil Glowacki, ancien chasseur de tête chez MacAllister, puis manager d’une équipe de sourcing chez Hays, et désormais à la tête d’une entreprise de recrutement en Pologne. « Avant, c’était du face à face ; maintenant, c’est par le biais de LinkedIn ou par mails. Les candidats ont tellement de propositions qu’ils ne s’en sortiraient pas s’ils devaient rencontrer tous les interlocuteurs qui les démarchent », complète-t-il. Terminé les histoires inventées pour tromper l’attention de la secrétaire et espérer toucher le candidat repéré. Désormais, un simple mail atteint sa cible. « Quand j’ai commencé, en 2004, on était encore dans ces scénarios pour contacter les gens. Ce qui était difficile, c’était de trouver des noms », raconte Rachel Ballandras, directrice associée du cabinet Human Wealth. « Aujourd’hui, le vrai chasseur de tête reste dans cette approche directe, c’est-à-dire sans diffuser d’annonces comme le font les cabinets de recrutement, mais le contact est largement facilité. » C’est encore plus vrai dans les domaines technologiques qu’ailleurs. Pour autant, les chasseurs de tête évoquent tous cette nouvelle facette du métier : le chasseur de tête est devenu un commercial.

Le retour des hyperspécialistes

« Il y a trois ventes, confirme Catherine Euvrard, créatrice du cabinet CE consultants, connue dans le secteur pour son franc-parler. Il faut savoir se vendre au client ; savoir vendre la mission au candidat ; et vendre, ensuite, le candidat au client. » « Aujourd’hui, la formation RH a de la valeur pour les recruteurs en interne. Mais, pour les chasseurs de tête, le profil commercial convient mieux. On se rapproche de plus en plus de la chasse à l’anglaise, beaucoup plus agressive, avec plus de targets (objectifs, NDLR) à atteindre et pour lesquelles il faut développer son argumentaire à destination du candidat et du client », décrit Kamil Glowacki. « Les techniques de séduction ressemblent aux techniques commerciales », constate aussi Rachel Ballandras.

Et pour bien vendre un produit, mieux vaut bien le connaître… Les chasseurs de tête ont donc tendance à se spécialiser. « Le point de départ, c’est d’avoir une vraie expertise dans son métier, afin de proposer aux candidats des postes qui correspondent véritablement à leur profil », détaille Rachel Ballandras, elle-même en pointe sur le recrutement de profils informatiques. Certains cabinets sont ainsi organisés par métiers ou par secteurs d’activité. « On doit connaître les métiers, les types d’emplois, la rémunération, afin d’éclairer le client sur ce qui existe sur le marché en fonction de la fiche de poste qu’il imagine. Tous les cabinets ne le font pas, mais il s’agit, je crois, de la vraie valeur ajoutée du chasseur de tête aujourd’hui », défend-elle. Auteur du « Guide des professionnels du recrutement », Gwenolé Guiomard constate aussi « un retour des hyperspécialistes ». « Un bon point en marketing pour attirer le client », assure-t-il, citant Strammer pour les métiers de la santé (« life sciences ») ou CCLD recrutement pour les commerciaux. « Le chasseur de tête doit mieux parler anglais, voire de plus en plus allemand ou une autre langue. Il doit aussi lire de plus en plus la presse économique, car il a besoin d’informations pour mieux connaître les métiers, les secteurs, les évolutions, et pour attirer les candidats », valide Catherine Euvrard.

Tous assurent ainsi la vente, mais aussi le conseil et le service après-vente. Les cabinets ne sont plus seulement des trouveurs de talents, ils font aussi du conseil en stratégie et expliquent aux dirigeants comment gérer les candidats. À l’image de Kornferry, beaucoup investissent également le terrain du management, positionnant le chasseur de tête au cœur de la stratégie de l’entreprise. Au plus près des entreprises clientes, mais aussi des candidats qu’ils dénichent, les chasseurs deviennent des coachs, spécialistes de l’accompagnement et des parcours, au plus près des candidats qu’ils tentent de placer. « Pour attirer les candidats, il faut prendre le temps de comprendre ce qu’ils savent et ce qu’ils veulent faire, mais aussi les leviers de leur motivation pour un poste, définit Rachel Ballendras. C’était moins le cas avant. C’était au candidat de faire ses preuves en entretien. Actuellement, on a énormément de postes et pas assez de candidats en face. Donc on doit les convaincre mais aussi bien les conseiller, afin de s’assurer qu’ils se plaisent dans leur nouveau poste et qu’ils y restent. » « Le chasseur de tête garantit le service après la prise de poste pendant six mois ou un an », affirme aussi Catherine Euvrard. « Les candidats se sont beaucoup rigidifiés. D’un côté, les hommes sont appelés tout le temps par des chasseurs de tête ou assimilés. Ils sont déçus par ce qu’on leur propose, voire ils deviennent méfiants. De l’autre côté, les femmes ne changent par facilement de poste », rappelle-t-elle, justifiant ainsi de s’occuper au plus près de celles et ceux qui franchissent le pas. « Je sais que le coaching est à la mode. Je n’en fais pas. Je donne un maximum d’informations au candidat, mais sans pour autant créer des personnages virtuels aux cadres qui me demandent quoi raconter en entretien. » « Cette casquette de coach n’existait presque pas il y a dix ans. Elle a été amenée par Approach people, et maintenant tous les cabinets ont cette pratique », constate Halima Bousaidi, ex-chasseuse de tête, à présent chargée de recrutement chez Gameloft, l’un de ses anciens clients. « Maintenant que je suis passée en interne, je cherche des gens qui fonctionnent ainsi. »

De plus en plus de volume

Une preuve supplémentaire de la complexification du métier : les entreprises cherchent des chasseurs de tête-moutons à cinq pattes (qui doivent eux-mêmes trouver des candidats-moutons à 18 pattes !). Avec plus de prérequis à la base (langues, sens du commerce, connaissance des métiers, pouvoir de persuasion…) et une concurrence accrue. « C’est une profession qui se développe quand ça va bien, et qui ferme quand ça va mal », confirme Gwenolé Guiomard, qui recense 1 500 cabinets de recrutement en France, « sachant que tous les cabinets font aujourd’hui de la chasse de tête ». Avec LinkedIn, les deux mondes se mélangent avec un turn-over élevé dans la profession. « Beaucoup de DRH reprennent la chasse de tête en direct, et les entreprises se créent des bases de données en interne avec les CV qu’ils reçoivent », constate aussi Catherine Euvrard. « Mais 35 % des missions de recherche de dirigeants et de cadres passent par des chasseurs de tête », nuance-t-elle aussitôt. Les tarifs sont en pleine évolution : on parle de 20 à 30 % du salaire brut du candidat. « Mais certains acceptent de travailler pour 15 % afin de se faire connaître et de trouver des clients, raconte Kamil Glowacki. D’autres divisent même les tarifs par deux. Ils parviennent à maintenir les chiffres d’affaires grâce au volume, qui a beaucoup augmenté du fait des réseaux sociaux. Ils permettent de passer moins de temps par poste. » Gwenolé Guiomard confirme : « Les chasseurs de tête annoncent des rémunérations plancher en légère augmentation par rapport à 2014, mais c’est un fait difficilement vérifiable, alors que tout concourt à une chute des prix : les employeurs demandent des baisses puisqu’ils ont l’impression de pouvoir faire une partie du métier avec Internet. » Les employeurs appellent néanmoins les chasseurs de tête pour les recrutements dits « difficiles ». « Il y a 250 000 postes de cadres à pourvoir par an, et le nombre de diplômés qui sortent des écoles n’évolue pas. Il y a donc une tension et le chasseur doit être bon. »

Pour les employeurs, c’est là tout le problème : comment trouver le bon chasseur, le vrai, alors même que la profession, malgré sa cote en hausse, reste rare en France ? Moins d’un quart des postes de cadres est pourvu grâce à un chasseur de tête. En Grande-Bretagne, la profession se taille la part du lion (entre 75 % et 100 % des postes). La défiance est historique et les dirigeants ont du mal à se faire aider par un tiers. Fut-il un chasseur sachant chasser.

Auteur

  • Lucie Tanneau