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Le nudge, pour susciter les bons comportements

Décodages | Management | publié le : 01.04.2019 | Valérie Auribault

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Le nudge, pour susciter les bons comportements

Crédit photo Valérie Auribault

Le nudge, une théorie basée sur les sciences comportementales, incite les individus à adopter les bonnes pratiques.Après les politiques et les collectivités, les entreprises s’en emparent.

« Pour bien comprendre ce qu’est le nudge et à quoi il sert, le mieux est de prendre l’exemple des urinoirs à l’aéroport d’Amsterdam », indique Frédéric Fougerat1, directeur de la communication et du marketing du groupe Foncia. En effet, afin d’amener ses clients à plus de propreté, l’aéroport de Schiphol a apposé de petits autocollants représentant des mouches au fond des urinoirs de ses toilettes pour hommes. Une incitation à viser la cible qui a permis de gagner en hygiène, mais aussi de réduire les frais de nettoyage de 80 %. La ville de Copenhague a suivi le même procédé. Dans le but de limiter les déchets dans la rue, de petits pas colorés allant jusqu’aux poubelles ont été dessinés sur les trottoirs. Résultats : 50 % de détritus jetés par terre en moins. La France, elle aussi, s’empare du nudge. À Courdimanche, une commune du Val-d’Oise qui souhaitait inciter les automobilistes à ralentir, le maire a eu l’idée d’un passage piétons peint en 3D. Depuis, Paris a fait de même dans certaines de ses rues. De petites ruses du quotidien directement inspirées du nudge.

Un coup de pouce vers les bonnes décisions.

Ce « coup de pouce » (traduction de « nudge » en anglais) est né dans les années 1980, aux États-Unis. Plusieurs chercheurs, tels Richard Thaler – récompensé depuis par un prix Nobel d’économie – et Cass Sunstein, ont développé cette théorie du « paternalisme libertaire » à travers des travaux basés sur les sciences comportementales. « L’homme n’est pas rationnel, explique Éric Singler2, directeur général délégué chez BVA Group et président de la BVA Nudge Unit. Nous sommes illogiques, sociaux, émotifs et influençables. Nous faisons des erreurs systématiques par répétition, par habitude. Le nudge permet d’encourager, de faciliter ou d’influencer nos comportements dans le bon sens. C’est une incitation douce. » Une incitation dont se sont tout d’abord emparés les politiques. L’ex-président américain Barack Obama ou encore l’ancien Premier ministre britannique David Cameron ont créé des nudge units afin d’améliorer leurs politiques publiques. Barack Obama avait, en 2009, nommé Cass Sunstein lui-même à la tête de la sienne. Économies d’énergie au sein des entreprises, obésité et santé, épargne… Le président américain avait décidé d’appliquer le principe du nudge tous azimuts. À son tour, le président Emmanuel Macron s’est mis à l’heure du nudge lors de la dernière campagne présidentielle en étant conseillé par le cabinet d’Éric Singler. Désormais, les entreprises prennent le pas, pour conduire leurs clients aux bons comportements, en les responsabilisant… à leur insu.

C’est ainsi qu’en 2016, la SNCF, après une enquête, constate que 20 % des retards de ses trains en Île-de-France sont directement liés aux incivilités des voyageurs qui empruntent des souterrains et des accès interdits. Pour y remédier, l’entreprise ferroviaire a fait évoluer sa signalisation. Les panneaux indiquant une interdiction ont été remplacés par un dessin indiquant une voie sans issue. Les usagers ayant horreur de perdre leur temps ont très vite changé leurs mauvaises habitudes. En quelques mois, 50 % d’utilisation des souterrains interdits en moins. Et moins de retards dans les trains. Il y a trois ans, le groupe ferroviaire a lancé une cellule « nudge ». Au sein de son équipe, un psychologue social. « Nous travaillons sur les déplacements du quotidien : l’amélioration des flux par le biais de l’information visuelle et sonore notamment. Nous cherchons à comprendre ce qui cause les retards des trains. Par exemple, une personne qui remarque un usager qui court pour prendre son train et qui, pour lui rendre service, va bloquer les portes de la rame. Ou encore les usagers qui ne laissent pas sortir les voyageurs avant d’entrer eux-mêmes dans le train. D’autres vont oublier leurs affaires sur les quais. Toutes ces mauvaises habitudes engendrent des retards de trains », constate Catherine Delisle, responsable nudge unit Transilien à la SNCF. Dans ce dernier cas, la cellule a mis en place des affiches dans les gares montrant un usager souriant rapportant le sac oublié à un autre voyageur. Là encore, les résultats sont significatifs : le nombre de voyageurs signalant les colis oubliés à leurs propriétaires est passé de 12 % à 42 %. « Nous observons chaque jour des comportements inadaptés qui peuvent être préjudiciables à l’entreprise. À nous de les contrer grâce aux leviers psychologiques », poursuit Catherine Delisle. Une quinzaine de projets nudge sont actuellement en cours au sein de la SNCF, avec des résultats « intéressants ». Mais ces expériences, désormais positives, ne se sont pas imposées à tous d’emblée. « Il a fallu quelque peu batailler pour imposer l’idée du nudge. Il y a encore des sceptiques, reconnaît Flore Coustillière, chargée de concertation et de dialogue territorial Île-de-France. Or, pour que cela fonctionne, il faut embarquer tout le monde. »

Et il faut également convaincre. « Le nudge marketing s’est développé bien plus vite que le nudge management. L’entreprise, en France, avance beaucoup plus quand il s’agit de faire du business que lorsqu’il s’agit de se pencher sur le bien-être des salariés », observe Frédéric Fougerat. Foncia, elle, n’a pas hésité à sauter le pas. L’entreprise a utilisé le nudge pour modifier les mauvaises habitudes des fumeurs qui sortaient effectuer leur pause sur le trottoir, devant le siège situé en face du parc de Sceaux. « Cette habitude devant l’entrée pouvait donner une mauvaise image. Nous avons donc décidé d’installer des bancs dans les patios, au sein de la société. Les salariés s’y sont rendus d’eux-mêmes. L’invitation était implicite. » Même procédé pour sensibiliser les employés au respect de l’environnement. Pour limiter la consommation de papier et les impressions, Foncia publie chaque trimestre le nombre d’arbres abattus et les mètres cubes d’eau utilisés pour fabriquer le papier. Ainsi, les photocopies réalisées ont considérablement baissé. « Le nudge, c’est la culture de la suggestion. Cela permet une plus grande adhésion de tous et moins d’autorité dans la vie quotidienne. »

Le nudge sur tous les fronts.

Éric Singler estime, également, que « le principe de la carotte et du bâton a ses limites. Au contraire, l’engagement du salarié influence positivement son comportement de manière continue et affecte l’ensemble des actions qu’il effectue ». D’après une enquête internationale Gallup réalisée en 2018 sur 230 000 employés dans 142 pays, seules 13 % des personnes interrogées ont déclaré se sentir engagées dans leur travail. 63 % estimaient ne pas l’être, 24 % affirmaient être activement désimpliquées. La stratégie du nudge engage le salarié dans sa prise de décision, sans l’y contraindre. Placé au cœur de l’organisation, l’individu est davantage motivé par son travail, et les résultats de l’entreprise s’en ressentent. « Lorsque le salarié s’implique, les accidents du travail sont moindres, l’absentéisme plus faible, et les défauts qualité réduits. Les employés sont plus attentifs et vigilants, souligne Éric Singler. La rémunération seule ne peut plus être un facteur de motivation. Le sens de l’accomplissement est tout aussi important, tout comme l’intérêt pour le travail et le fait d’évoluer, mais aussi la camaraderie et le sentiment de faire partie d’une communauté en prenant part aux projets. » Et les managers directs jouent un rôle clé dans l’engagement des collaborateurs. « Le fait de prendre soin d’eux, de les valoriser et d’encourager leur développement par le biais de formations génère davantage d’engagement de leur part. L’adoption des comportements gagnants est un défi. La conception d’un environnement psychologique favorable constitue un enjeu majeur pour créer de l’incitation efficace au quotidien », insiste Éric Singler. Aujourd’hui, les préoccupations des chefs d’entreprises sont diverses. Mixité, sécurité, économies… Les secteurs financiers et certaines banques, comme le groupe BNP Paribas, cherchent à recruter plus de femmes sur certains postes. La banque s’est tournée vers les équipes de la BVA Nudge Unit pour réfléchir à une méthode susceptible d’attirer ce public. « Avant de mettre en place une stratégie, il faut passer par une phase d’observation pour comprendre la situation, explique Éric Singler. Pourquoi si peu de femmes s’orientent vers le global banking ? Si une grande banque compte déjà une femme à ce type de poste dans ses effectifs, il est pertinent qu’elle intervienne dans les grandes écoles pour présenter le global banking aux étudiants. Puisqu’une femme occupe la fonction, inconsciemment, les jeunes filles feront le lien en se disant que le job est aussi pour elles. Le même procédé peut être observé concernant le nombre d’hommes sur des postes de responsables des ressources humaines. Là encore, il faut jouer sur l’implicite, en insistant sur le fait qu’il s’agit d’un poste stratégique et pas seulement d’un métier de management ou relevant de l’administratif. Pour séduire ces messieurs, le nom du poste peut être changé. Il peut être aussi démontré que certains hauts responsables de la firme ont démarré leurs carrières sur un poste RH. » D’autres appliquent le nudge pour limiter les risques professionnels et renforcer la sécurité. Agir sur les émotions, et non sur les interdits, suscite des résultats durables. Les émotions seront davantage influencées par des aspects positifs tels que l’envie et la fierté, que par des aspects négatifs comme la peur. Sur un chantier, mieux vaut encourager un ouvrier à porter son baudrier en précisant que 85 % des personnes les portent déjà, plutôt que de révéler que 10 % ne le portent pas et se mettent ainsi en danger. L’objectif apparaît alors positif, et l’effort à réaliser devient moindre.

« Le nudge encourage les comportements collectifs gagnants. En cela, il porte une dimension éthique, reprend Éric Singler. Cette approche est basée sur la coconstruction et sur la transparence. » Car le choix incombe toujours à l’intéressé. « Sur un palier avec d’un côté l’ascenseur et de l’autre les escaliers, l’individu choisira bien plus naturellement les escaliers, si la porte est ouverte », affirme Frédéric Fougerat. Comme une invitation. Le son, l’air, l’image, le mobilier peuvent aussi être des atouts. Une table ronde facilitera le consensus. Certaines couleurs favoriseront la concentration. Une salle intitulée « creativity room » influencera davantage ses occupants. « Nous sommes à une époque où les gens en ont marre de s’entendre dire ce qu’ils doivent faire, rappelle Frédéric Fougerat. Le nudge permet l’adhésion. Et il est sans limite. » D’autant que certaines entreprises font déjà du nudge sans le savoir ni le nommer. Les bonnes pratiques sont déjà à l’œuvre.

(1) « Le goût des autres, mes recettes de manager », Frédéric Fougerat. Éditions Bréal (2018).

(2) « Nudge Management, comment créer du bien-être, de l’engagement et de la performance au travail avec la révolution des sciences comportementales », Éric Singler. Éditions Pearson (2018).

Auteur

  • Valérie Auribault