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Des accords sans syndicats

À la une | publié le : 01.04.2019 | Gilmar Sequeira Martins

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Des accords sans syndicats

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Les entreprises sans présence syndicale sont les plus nombreuses et les ordonnances Macron leur ont ouvert de nouvelles possibilités pour conclure des accords. Attention toutefois aux embûches…

Elles forment la majorité des entreprises sans que leur nombre exact ne soit connu. « Je crois que les deux tiers des entreprises dont les effectifs se situent entre 11 et 49 salariés n’ont ni délégué du personnel ni délégué syndical », indique Éric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales et de la formation de la CPME. Cet immense cortège s’est vu offrir des options inédites avec les ordonnances Macron. En ouvrant la possibilité de négocier avec d’autres interlocuteurs que les syndicats, elles ont ipso facto ouvert le jeu, estime Philippe Darantière, président du cabinet de conseil Res-EuroConseil : « Aux négociations avec les délégués syndicaux sont venues s’ajouter d’autres possibilités : les négociations sans délégué syndical, et celles menées avec les élus du comité d’entreprise. » De quoi changer effectivement la donne dans les entreprises sans aucune représentation syndicale. La voie n’est pas totalement nouvelle. Dès 2004, la loi Fillon ouvrait pour la première fois la possibilité de négocier sans délégué syndical. Les ordonnances Macron ont cependant innové avec le seuil à moins de vingt salariés. « Il permet à l’entreprise, s’il n’y a aucun élu au CSE, de procéder à un référendum pour adopter une proposition d’accord d’entreprise, à la majorité des deux tiers, explique Philippe Darantière. Ce type d’accord peut maintenant aborder tous les thèmes ouverts à la négociation collective. L’employeur n’a plus à solliciter un salarié mandaté par un syndicat. »

La vie des TPE n’en sera pas pour autant bouleversée. Faute de temps et d’expertise en matière de droit et de relations sociales, elles vont continuer à se baser sur le cadre fixé dans leur branche professionnelle. Le changement d’attitude survient à mesure que le nombre de salariés approche du seuil des vingt. Philippe Darantière a ainsi relevé que « 364 accords ont été validés par référendum entre septembre 2017 et septembre 2018 », et que « dans neuf cas sur dix, ces accords concernent le temps de travail ou les rémunérations ». Que les dirigeants préfèrent la voie du référendum plutôt que celle de la décision unilatérale ne tient pas uniquement à leur goût pour la nouveauté, mais bien à une stratégie. « Concernant les rémunérations, il est plus motivant pour les salariés d’avoir un accord qu’une décision unilatérale, explique Philippe Darantière. Cela peut sécuriser les parcours internes et donner de la clarté aux règles de rémunérations. »

Complexité du dispositif référendaire

La complexité du dispositif reste cependant un obstacle. Organiser un référendum exige un accord préalable, soit une étape supplémentaire de négociations où doivent être pris en compte le nombre de salariés présents, le vote par correspondance ou les absents pour cause d’arrêt maladie. Une majorité de dirigeants d’entreprise semble pour l’instant préférer la décision unilatérale. Le référendum présente un défaut bien plus préoccupant aux yeux de Diego Parvex, avocat du cabinet Atlantes : « Le référendum se veut une garantie formelle d’adhésion d’une majorité, mais c’est un processus où la voix du salarié dépend de la campagne référendaire. Or, sans présence syndicale, quelle voix est le plus souvent considérée comme légitime ? Souvent celle de l’employeur. » Il redoute que dans le cadre d’une négociation sur le temps de travail, un employeur avance l’argument d’une nécessité d’assurer la survie de l’entreprise. « Sans décryptage ou voix contraire des organisations syndicales, notamment dans une entreprise dépourvue d’organisations syndicales, les salariés n’auront qu’un seul éclairage », déplore Diego Parvex. Le référendum ne serait donc pas une garantie suffisante.

Plus préoccupant encore, ce procédé serait en contradiction avec la loi El Khomri et les ordonnances prises en 2017. « Ces textes prônent la confiance dans la loi des parties, au sein de l’entreprise, ce qui doit favoriser une plus forte implication des organisations syndicales, explique l’avocat. Or, ils ne prennent pas assez en compte les difficultés des syndicats et la position de faiblesse des salariés dans une négociation où, malgré tout, il y a un fort et un faible. » Alors que le dispositif actuel est censé favoriser la place des syndicats dans les négociations, Diego Parvex déplore que « rien n’est prévu pour les aider à mieux remplir cette mission », alors même que « sont ouvertes des possibilités de négociations sans organisation syndicale avec un processus référendaire qui offre des garanties très faibles ».

Un autre écueil menace le dialogue social, selon ce spécialiste. « Le principe selon lequel, dans l’entreprise, ce sont les organisations syndicales et les employeurs qui peuvent négocier ce qui leur convient le mieux sonne bien, mais la négociation est biaisée », assure-t-il. Pour étayer son propos, il soulève le cas des représentants de proximité dans le cadre du comité social et économique : « La loi prévoit que leur création peut être négociée, mais si l’employeur refuse la négociation ? On en revient à la question de la place et du poids des syndicats dans l’entreprise et de leur capacité à mobiliser. »

Maîtriser la négociation

Pour l’heure, les élus non syndiqués apprennent en marchant et les négociateurs, salariés ou élus, butent sur une difficulté majeure : leur ignorance des techniques de négociation. « Ils doivent se former à la préparation de ces négociations, à leur conduite et au jeu des concessions et des contreparties, qui permettent d’atteindre le meilleur compromis », constate Philippe Darantière. Contre toute attente, les délégués syndicaux ne sont pas toujours mieux lotis. Dans de nombreux cas, leur expérience de la négociation se résume aux négociations annuelles obligatoires (NAO). Ce n’est pas forcément le cadre le plus propice pour acquérir une compétence de négociation, rappelle le juriste : « Ce type de négociation n’a pas nécessairement vocation à aboutir, puisque l’employeur peut prendre une décision unilatérale, de sorte que les délégués syndicaux ne sont pas forcément aguerris, et qu’ils ont, eux aussi, besoin de formation. »

Les négociations peuvent soulever bon nombre de difficultés du fait même de la diversité des profils, « avec souvent une inexpérience que la bonne volonté ne pallie pas », estime Diego Parvex. Il souligne aussi que le dispositif légal, qui « met au centre la négociation collective et la “loi des parties” », permet de s’affranchir de certaines dispositions prévues dans les accords de branche sur l’essentiel des thèmes. Or, « pour que la négociation soit loyale, il faut que les négociateurs aient une vision claire de l’ensemble du dispositif et des équilibres associés ». « Aujourd’hui, l’accord d’entreprise prime sur l’accord de branche. Sauf pour certains domaines dans lesquels un accord d’entreprise ne peut déroger à un accord de branche (notamment pour les salaires minima hiérarchiques, pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et pour les grilles de classification et les garanties collectives complémentaires), constate-t-il. Selon le thème négocié, les parties en présence dans l’entreprise peuvent ainsi s’affranchir du dispositif de branche, à titre d’exemple une bonne partie des dispositions relatives au temps de travail. » Même pour des délégués syndicaux et pour des organisations syndicales bien établies, un tel schéma n’est pas simple à appréhender. Comparer des dispositions négociées dans un accord d’entreprise avec celles prévues par les accords de branche peut relever de la gageure. Comment des négociateurs sans expérience pourront-ils relever un tel défi, surtout sans aucun appui ? « Le risque est grand de signer un accord dont les conséquences n’ont pas été anticipées », redoute Diego Parvex.

Relais auprès des salariés

Le niveau de risque est-il si élevé ? Philippe Darantière estime que l’entreprise ne va pas faire tourner la négociation à son seul avantage : « L’intérêt de l’employeur est de faire adhérer à son projet, à sa stratégie et à sa vision. » Il déconseille donc une « attitude formelle » qui poserait un choix binaire se résumant à : « Soit vous signez ma proposition, soit je prends une décision unilatérale. » Dans une telle configuration, « il n’y a plus vraiment de négociation ». Si tentante soit-elle, cette attitude relève du mauvais calcul, estime le spécialiste : « Les employeurs se privent alors de la possibilité de faire des négociateurs des relais auprès de leurs salariés. A contrario, intégrer cette possibilité dans le déroulé des négociations permet de dégager de nouveaux leviers pour aboutir à un accord. » Tous ces paramètres logiques restent tributaires de l’environnement dans lequel se trouvent les interlocuteurs, et qui influence leur perception du dispositif et de son résultat. « Globalement, là où une tradition de négociation est bien ancrée, les employeurs ont tendance à rechercher la signature des partenaires sociaux. Ne pas l’obtenir suscite un sentiment d’échec », assure Philippe Darantière.

Les accords conclus avec des élus sans mandatement obéissent à des règles de validité différentes, prévient Philippe Darantière : « L’accord doit être conclu avec les élus qui ont obtenu la majorité des suffrages lors des dernières élections. C’est une sorte de référendum indirect qui repose sur la représentativité des élus. » En apparence, rien d’essentiel ne semble en jeu. Cette configuration peut cependant soulever une difficulté inédite lorsque l’accord est négocié par des élus non mandatés ayant obtenu la majorité des voix au deuxième tour des élections professionnelles, alors qu’ils s’étaient présentés sur une liste commune. « Si cette liste comporte trois élus, rien n’empêche un seul d’entre eux de signer un accord qui sera considéré comme majoritaire, puisque sa signature aura la représentativité conférée par le vote », indique Philippe Darantière. Si les autres membres de la liste ne sont pas d’accord et s’ils refusent de signer l’accord, se pose alors une question inédite. » Dont la résolution sera complexe. Les ordonnances Macron ont en effet posé le principe de validité a priori des accords collectifs, c’est-à-dire qu’ils sont présumés respecter la légalité. « Il faudra d’abord démontrer que ce n’est pas le cas pour pouvoir contester un accord signé de cette façon », estime Philippe Darantière. Dans un tel cas de figure, les dissensions entre élus risquent de dégrader fortement le climat social. Le risque est d’autant plus sérieux que la situation peut s’éterniser.

Le règne de la diversité

Dans les petites entreprises sans présence syndicale, le dialogue social prend des formes très différentes. Parfois très classique, comme chez Eurécia. Cet éditeur de SIRH en mode SaaS (Software as a Service) a franchi, en 2018, le seuil des 50 salariés, et s’est doté d’un CSE avec deux élus. Ce sont eux désormais que le dirigeant, Pascal Grémiaux, rencontre environ une fois par mois. « Ce changement s’inscrit dans la continuité du dialogue avec les équipes, précise-t-il. Le point clef est de garder un dialogue social le plus ouvert possible. » Si les négociations salariales restent sur une base individuelle, un intéressement calculé à partir de la croissance du chiffre d’affaires a débouché sur l’octroi de 8,5 jours de congé supplémentaires à chaque salarié. Chez Imfusio, cabinet de conseil, les treize salariés se réunissent une fois par trimestre pour fixer les rémunérations dans un processus à quatre « tours ». Chacun y expose ses prétentions, salariales ou autres, puis répond aux éventuelles questions des autres. « Chaque personne prend ensuite sa décision en conscience, explique Ségolène Guitton, en charge de la communication. Il s’agit de trouver un équilibre entre plénitudes individuelle et collective. Un quatrième tour est prévu. Il permet d’exercer un droit de veto si une personne estime que l’équilibre financier de l’entreprise est mis en danger. À ce jour, il n’a pas encore été exercé. »

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins