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Innovation sociale : plus un choix, mais une obligation pour attirer et fidéliser

Idées | Juridique | publié le : 01.03.2019 |

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Innovation sociale : plus un choix, mais une obligation pour attirer et fidéliser

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L’innovation sociale n’est pas l’innovation technologique. Elle a besoin de temps et de volonté partagée, elle s’écrit rarement sur une plage blanche, sociale et juridique.

C’est donc sans grande surprise que la Commission d’évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 a constaté sa très lente montée en puissance, le 23 décembre dernier (www.strategie.gouv.fr). Ainsi, beaucoup d’entreprises ont-elles retardé les élections au Comité social et économique, et celles ayant fait le grand saut n’ont pas forcément fait assaut de créativité. Alors que pour un DRH français, pouvoir co-construire un comité d’entreprise adapté était un rêve inatteignable dans le passé (le moindre détail étant fixé par le Code), seules les entreprises pratiquant un dialogue confiant ont utilisé ces opportunités pour refonder leurs relations sociales. Mais dans nombre d’entre elles, les partenaires sociaux, saisis par le vertige de leur nouvelle liberté conventionnelle, ont reproduit l’écosystème social et politique d’hier permettant aux différentes institutions représentatives du personnel de ronronner, en respectant textes et procédures.

Ce que résumait bien Jean-Denis Combrexelle en septembre 2015 : « Rien ne serait pire que de laisser croire que la rédaction de tel article du Code du travail (…) serait suffisante pour créer le dynamisme, l’innovation et le progrès social. C’est d’abord de confiance, de responsabilité, de volonté d’agir dont il faut parler ».

Deux innovations en danger

Depuis l’an 2000, quels sont les deux formules d’organisation du travail les plus innovantes, et plébiscitées par les travailleurs du savoir ? Le forfait-jours et le télétravail. Mais hélas…

Le télétravail (plus chic : NWoW, pour « New Ways of Working ») a été banalisé le 22 septembre 2017. Mais en maintenant l’incise « outre ses obligations de droit commun vis-à-vis de ses salariés… », l’article L. 1222-10 oblige à traiter le télétravailleur à son domicile comme un salarié à son bureau du 22e étage. Alors dans votre appartement, respectez-vous les normes de dégagement en cas d’incendie (largeur minimum : 80 cm) ? Et la « signalisation indiquant le chemin vers la sortie la plus proche » (R. 4227-13) ? Mais aussi un « cabinet d’aisance dont le sol et les parois sont en matériaux imperméables permettant un nettoyage efficace » – donc papier peint et parquet exclus (R. 4228-13) ? Vous souriez ? Vous pleurerez à la lecture de L. 4741-1 : 10 000 euros par infraction, la récidive étant punie d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros… Le droit du travail doit-il s’étonner de son contournement quand faire l’autruche devient la règle ?

Quant au forfait-jours… Les couches successives de contraintes accumulées par la jurisprudence font aujourd’hui réfléchir nombre d’entreprises sur son intérêt : si, demain, il faut payer à 543 cadres un rappel d’heures supplémentaires sur les trois dernières années plus les repos compensateurs plus les congés payés… Dans l’arrêt rendu le 19 décembre 2018, 73 129 euros ont été versés à ce titre au pauvre directeur commercial d’une chaîne de télévision qui, comme chacun sait, était rémunéré pour 35 heures Résultat de cette lente asphyxie aux relents pénaux : des cadres en forfait-jours, donc par définition « autonomes », sont aujourd’hui obligés de pointer. Alors, avant qu’un comité Tartempion ne nous sanctionne car ces prolétaires travailleraient 6 x 13 heures par jour, soir 78 heures par semaine, crevons l’abcès et posons-leur la question : combien veulent revenir aux 35 heures en renonçant à leurs marges de manœuvre et à leurs jours de repos ?

C’est moins l’entreprise qui doit être libérée que le travail quotidien

Si votre entreprise veut attirer, puis garder ces fameux « talents » chassés par toute la profession, elle n’a plus à se poser la question de savoir si elle doit passer au travail libéré (en bon franglais : « smartworking »), mais comment le faire dans les meilleurs délais.

Car si « les temps ont changé », les salariés et les arbitrages temps-argent aussi. Les jeunes générations de travailleurs du savoir sont bien différentes de celles de leur grand-père, élevées dans la verticalité et dans la religion laïque du « devoir de travailler », dans une France industrielle. À commencer par leur rapport à l’autorité (séquence émotion) et leur niveau d’instruction : en 1960, 10 % d’une génération obtenaient le bac, contre 26 % en 1980 et 67 % aujourd’hui.

Partout dans nos sociétés d’individus, la même évolution est constatée. Ces talents les plus prometteurs, ceux qui ont donc le choix, ne veulent pas « perdre leur vie à la gagner », mais maintenir un équilibre vie professionnelle-vie personnelle. Le travail dans des tiers-lieux est pour eux un droit naturel : ils ne veulent pas changer le monde, ils ont toujours travaillé comme cela. Et les entreprises refusant par exemple le télétravail leur envoient un signal définitivement négatif.

Selon un sondage réalisé en janvier 2019 par Harris Interactive, 65 % des 18-34 ans estiment qu’une entreprise ayant une bonne ambiance de travail les incite « beaucoup » à y travailler, au même titre que la rémunération (64 %) ou que de bonnes conditions de travail (63 %). Mais pour les 25-34 ans, ayant déjà connu le monde du travail, le critère principal est ce fameux équilibre. Comment faire ?

À la Deutsche Bahn a été signé, fin 2016, un accord proposant aux 100 000 cheminots de choisir entre une augmentation de 2,6 %, passer de 39 heures à 38 heures, ou six jours de congés supplémentaires. Au 1er janvier 2018, 58 % avaient choisi les congés supplémentaires, 40 % la hausse salariale et 2 % la réduction hebdomadaire (source : planetlabor.com).

Autre exemple, certes ponctuel, mais emblématique : pour fidéliser 300 experts de haut niveau, la société allemande Bosch a signé, fin octobre 2018, un accord leur donnant le choix entre la semaine de 35 heures, de 38 heures ou de 40 heures (non compensées). Côté repos, ils peuvent prendre un congé sabbatique non rémunéré de vingt jours chaque année, et reporter d’une année sur l’autre dix jours de vacances. Ces ex-chasseurs de prime (par ailleurs lourdement imposés) peuvent donc libérer tous les deux ans deux mois pour leurs projets personnels. Individualisation complexe donc déprimante pour les RH, mais attirante pour ces hauts diplômés pouvant se permettre un tel arbitrage. Mais aussi de quoi fidéliser ceux en poste : car à l’instar du télétravail, quand on a bénéficié de telles marges de manœuvre, au travail et dans sa vie personnelle, le retour en arrière est impensable.

Et en France, royaume de l’égalité ?

De trop frileuses « GAME » (« Garanties au moins équivalentes »)

Lundi 8 h 30, en Sorbonne, cours de droit du travail en licence. « Votre employeur vous indique qu’une convention de branche prévoit un salaire d’embauche minimum de 2 476 euros pour votre niveau. Mais vous propose 20 demi-journées de repos à prendre quand vous voulez si vous acceptez de ne toucher que 2 376 euros, du moins si les syndicats de l’entreprise signent un accord en ce sens.

Des exemples concrets : vous aimeriez dormir le lundi matin ? Éviter les embouteillages du vendredi soir ? Faire de la montagne du côté de Grenoble : vous pourriez partir vendredi midi et revenir lundi matin. Sans parler du billet SNCF passant de 266 à 76 euros ». Et l’enseignant de proposer un référendum : « Qui parmi vous serait intéressé par cet échange par accord d’entreprise ? » L’immense majorité lève la main, avec des étoiles dans les yeux.

Voulant favoriser la créativité sociale, les « garanties au moins équivalentes » (Game), permettant à l’accord d’entreprise de s’écarter des blocs 1 et 2 de la convention de branche (cf. L. 2253-1 de L. 2253-2), ont été l’une des surprises des ordonnances de 2017. Mais la loi du 29 mars 2018 ayant précisé que « cette équivalence des garanties s’apprécie par ensemble de garanties se rapportant à la même matière », la très large liberté conventionnelle initiale (exemple : substituer de jours de congés supplémentaires aux minima) se trouve fort réduite. Comme si l’on se méfiait des négociateurs d’entreprise…

Alors, tentons la confiance dans un rapport de force collectif. Développons la flexibilité, mais cette fois partagée et collectivement négociée par un accord majoritaire signé par des partenaires sociaux dont on présume la compétence et la représentativité réelle. En étant attentif à l’opt-out individuel qui se profile à l’horizon : car après l’acte I de 1982 (dérogation à la loi par accord collectif), puis l’acte II de 2004 (dérogation à la convention supérieure le 4 mai 2004), l’acte III…