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Faut-il remettre en cause le statut des fonctionnaires ?

Idées | Débat | publié le : 01.03.2019 |

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Faut-il remettre en cause le statut des fonctionnaires ?

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Quelque peu décalée pour cause de grand débat national, la présentation de la réforme de la fonction publique devrait avoir lieu lors du Conseil des ministres du 27 mars. Suppression de 120 000 postes, rémunération au mérite et recours accru aux contractuels sont au programme… De quoi prendre à rebrousse-poil les syndicats – qui promettent d’ailleurs déjà de se battre. Reste une question centrale…

Bernadette Groison Secrétaire générale de la FSU, premier syndicat de la fonction publique.

Certains le jugent trop rigide, trop contraignant, un frein aux évolutions. Pour le président de la République, l’État doit être géré comme une entreprise. Son Gouvernement cherche à y introduire des éléments de gestion du secteur privé : recours accru au contrat, plans de départs volontaires, management, rémunération au mérite… Les tentatives de contournement du statut sont réelles. C’est la conception de la fonction publique qui est interrogée. Originalité française, issue d’une construction historique tout à la fois culturelle, politique et sociale, elle est un pilier de notre modèle social. Assurant à la fois unité et diversité avec ses trois versants et ses plus de 5 millions d’agents, elle fait fonctionner des services publics auxquels les citoyens sont très attachés. Assurer la continuité et la stabilité des services sur tout le territoire, l’égalité d’accès aux usagers est un défi que le statut permet de relever. Ses principes d’égalité et de neutralité sont l’assurance pour les usagers d’être traités de manière impartiale, ils protègent les fonctionnaires des pressions qu’ils pourraient subir. Le choix du fonctionnaire-citoyen allie responsabilité dans l’exercice des missions et liberté d’opinion des agents. Certains tentent de revenir sur cette notion, comme l’illustre le débat autour de l’article 1 de la réforme Pour une école de la confiance. Une fonction publique de carrière permet un équilibre entre droits et obligations. C’est une digue efficace contre les phénomènes de corruption ou de clientélisme. Le recrutement par concours garantit l’égalité d’accès à des emplois publics qualifiés, l’indépendance des fonctionnaires au service de l’intérêt général. D’où le désaccord de la FSU avec le projet qui vise à recourir davantage au contrat et à créer un « contrat de projet ». Revenir sur ce principe statutaire, c’est faire de la précarité une voie normale de recrutement et renoncer aux principes d’égalité et d’indépendance. La fonction publique doit en permanence s’adapter aux évolutions de la société. C’est d’ailleurs un autre de ses grands principes. Et elle l’a fait régulièrement depuis le statut de 1946… Il faut aujourd’hui poursuivre les évolutions nécessaires et le statut en est la boîte à outils.

Luc Rouban Sociologue, spécialiste de la fonction publique, directeur de recherches à Sciences Po – Cevipof.

La fin du statut général des fonctionnaires est un serpent de mer que l’on sert à toutes les sauces depuis 1946. L’idée générale est de dire que ce statut bloque toute réforme de la fonction publique, qu’il confère des avantages indus aux agents publics, et qu’il interdit toute gestion moderne de l’emploi public. Derrière ces arguments en figure un autre, moins dicible publiquement, qui consiste à considérer que l’on pourrait enfin licencier les fonctionnaires paresseux – car le service public serait caractérisé par une faible productivité, contrairement au secteur privé… En fait, le statut général n’interdit nullement de réduire les effectifs des trois fonctions publiques. Il a été voté en 1946 parce que le système d’emplois contractuels qui existait sous la Troisième République avait produit de l’inefficacité et de l’inégalité. La garantie de l’emploi n’est pas de nature économique, car le fonctionnaire n’est pas seulement un agent économique, elle est de nature politique. Il s’agit de protéger l’agent, mais aussi l’usager, des pressions politiques, du népotisme, voire de la corruption.

Quant à la souplesse de gestion, elle est surtout entravée par les statuts particuliers de corps dans la fonction publique de l’État et par le cloisonnement entre celle-ci et la fonction publique territoriale. Les problèmes de ressources humaines dans les trois fonctions publiques viennent, quant à eux, bien plus souvent de personnels recrutés hors concours. La solution n’est pas de supprimer le statut, mais de moderniser et de généraliser les concours en ouvrant les carrières à plus de mobilité entre les trois fonctions publiques et entre les métiers. Il faut davantage tenir compte des résultats et des potentiels que du succès à des épreuves académiques ; en un mot, professionnaliser.

Nicolas Bouzou Économiste et directeur du cabinet de conseil et d’analyse économique Asterès.

Le débat sur le secteur public tourne toujours autour des mêmes totems : la réduction de la dépense et le statut des fonctionnaires. Ces sujets sont légitimes mais anxiogènes. Si l’on procédait autrement, en s’intéressant aux fonctionnaires eux-mêmes, en réfléchissant à la façon de libérer leurs énergies et leurs talents ? Julia de Funès et moi, nous avons reçu de nombreux témoignages nous expliquant que la critique du management contemporain que nous développons dans « La comédie (in)humaine »1 s’applique sans doute encore plus au secteur public qu’aux entreprises. Et si, au lieu de rester obnubilés par la question du statut, nous nous intéressions aux questions managériales ?

En premier lieu, changeons les modes de nominations aux postes de direction. Les compétences techniques sont nécessaires mais insuffisantes pour mener des projets et motiver des équipes. Le courage d’agir et le leadership sont nécessaires, mais insuffisants sans la connaissance technique des métiers encadrés. Le recrutement des directeurs et des managers dans la fonction publique (en particulier dans les écoles, dans les hôpitaux et dans les prisons) doit être revu dans ce sens.

En deuxième lieu, généralisons le télétravail dans la fonction publique. Celui-ci existe en principe, mais les conditions deviennent telles que l’on risque de tuer ce qui est un progrès pour les salariés. Or, la rétention au bureau des salariés souhaitant télétravailler n’est jamais gage d’efficacité.

Enfin, il faut augmenter la part des primes collectives au lieu de multiplier les objectifs individuels, les indicateurs, les tableaux de bord, et les reportings qui en découlent. C’est aux managers et aux directeurs de la fonction publique de proposer des projets collectifs et d’instaurer pour, les employés, un retour à bonne fortune.

Ce qu’il faut retenir

// Bonne nouvelle : selon l’OCDE, le nombre de fonctionnaires est stable depuis une dizaine d’années en France. Il représente 21,4 % du total des salariés, un pourcentage légèrement supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE (18,1 %)1. En France, la fonction publique de l’État compte 2,47 millions d’agents (43,87 % du total des trois versants), tandis que dans la fonction publique territoriale, on en dénombre 1,98 million (35,17 %), et 1,18 million (20,96 %) dans la fonction publique hospitalière2.

// Mauvaise nouvelle : comme celles de la retraite et de l’assurance-chômage, la réforme de la fonction publique, visant certes à améliorer l’efficacité de l’administration mais aussi à faire des économies, est un exercice à hauts risques pour le Gouvernement. Entre la volonté de supprimer 50 000 postes de fonctionnaires d’État et 70 000 postes d’agents territoriaux avant la fin du quinquennat, l’appel aux départs volontaires, la mobilité accrue, l’élargissement du recours aux contractuels et l’augmentation de la part de rémunération au mérite (complément indemnitaire annuel), les pistes envisagées ont de quoi mobiliser les premiers concernés, syndiqués qui plus est à hauteur de 20 % (contre moins de 10 % dans le privé).

En chiffres

20 %

Dans les années 1990, le Canada a supprimé près de 20 % de ses effectifs de fonctionnaires fédéraux (soit plus de 55 000 postes à temps plein) pour réduire le déficit public – et recruter de nouveau dès qu’il a dégagé des excédents…

Source : www.oecd.org/mena/governance/43380925.pdf

72

C’est le nombre de fonctionnaires pour 1 000 habitants en France, avec 82 pour 1 000 en Île-de-France, et 69 pour 1 000 dans le reste du pays1. Et selon les calculs de Claude Sicard2, cette proportion varie considérablement à l’étranger, de 168 pour 1 000 en Norvège, par exemple, à 6 pour 1 000 en Bulgarie…

(1) « La comédie (in)humaine », éd. de l’Observatoire, 2018.

(1) Source : www.oecd.org/gov/gov-at-a-glance-2017-france.pdf

(2) Source : www.fonction-publique.gouv.fr/rapport-annuel-sur-letat-de-la-fonction-publique-edition-2017

(1) Source : www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/statistiques/chiffres_cles/pdf/ChiffresCles2016_GB.pdf

(2) Source : www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/0301290904890-combien-de-postes-de-fonctionnaires-faut-il-supprimer-en-france-2155170.php