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Une source d’innovations pour les grands groupes

Dossier | publié le : 01.03.2019 | Laurence Estival, Lys Zohin

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Une source d’innovations pour les grands groupes

Crédit photo Laurence Estival, Lys Zohin

Les grandes entreprises présentes à l’international cherchent à niveler – vers le haut – leurs politiques RH pour tous leurs salariés, partout dans le monde. Cette politique innovante vise à améliorer la performance, à consolider le sentiment d’appartenance à une communauté, mais aussi à changer les perceptions.Par Laurence Estival et Lys Zohin

À l’heure où la chasse aux talents s’intensifie, la liste des multinationales d’origine française – de L’Oréal à Axa en passant par BNP Paribas, Schneider Electric, Essilor, Veolia… – qui proposent des dispositifs d’épargne salariale, des congés maternité et paternité généreux, des mesures concernant la santé et le bien-être, à leurs salariés du siège aussi bien qu’à ceux des filiales partout dans le monde, ne cesse de s’allonger.

Ce qui a souvent aiguillonné les multinationales dans leur volonté d’harmoniser leurs politiques RH en proposant aussi bien des grilles de salaires comparables, des méthodes d’évaluation universelles que des congés parentaux identiques, c’est la concurrence de plus en plus forte pour s’adjoindre les compétences des meilleurs. Non seulement les grands groupes mondiaux de l’informatique, du luxe, de l’e-commerce, de la grande distribution ou du pétrole veulent se les attacher, mais, de plus en plus, les multinationales font face à des concurrents locaux – grandes entreprises chinoises dans l’Internet, firmes technologiques ou institutions bancaires indiennes, quand ce ne sont pas des start-up, qui offrent elles aussi la perspective d’une belle carrière ! Le nouveau géant chinois de l’e-commerce Alibaba est l’exemple parfait de cette évolution. « Les difficultés de recrutement sont devenues le défi numéro un des entreprises », résume Jerry Knock, directeur associé du cabinet de conseil Oasys, qui vient de réaliser une étude auprès de plus de 1 000 entreprises dans 28 pays. « Le fait d’avoir harmonisé notre politique familiale renforce notre attractivité », reconnaît Karima Silvent, DRH groupe d’Axa.

Un phénomène qui s’amplifie

Imbattables pour attirer les moutons à cinq pattes en Chine où la liberté syndicale n’existe pas, ou aux États-Unis, où les congés maternité sont maigres et non payés au niveau fédéral (et encore peu développés dans les entreprises privées), ces dispositifs ne sont en réalité que le prolongement d’une politique d’harmonisation menée depuis une quinzaine d’années dans le domaine RH. « L’accentuation de la globalisation et la digitalisation ont accéléré le mouvement », observe Hervé Borensztejn, managing partner Europe, Middle East & Africa de Heidrick & Struggles, professeur de RH à l’université Paris II, ancien directeur du développement des ressources humaines de grands groupes internationaux, tels Vivendi ou EADS. « Alors que, de plus en plus, les salariés travaillent à distance avec des collègues d’autres pays sur des projets internationaux, le fait d’avoir les mêmes standards et les mêmes process simplifie les échanges. » Cette politique permet également aux organisations d’avoir des indicateurs uniques pour mieux communiquer sur des données clés et pour piloter leurs politiques RH. « L’harmonisation de celles-ci permet donc d’améliorer l’efficacité de ces entreprises : elle facilite l’identification des hauts potentiels, elle favorise aussi des économies d’échelle », poursuit Hervé Borensztejn. Autre argument chez Dominique Laurent, DRH de Schneider Electric France : « Nous sommes aujourd’hui une entreprise globale organisée autour de plusieurs hubs, et non plus autour d’un seul centre. Nous devons donc adopter un certain nombre de règles et de process communs. »

Deuxième étage de la fusée

Mais après avoir fait de la recherche de simplification et d’efficacité les deux principaux vecteurs de l’harmonisation des politiques RH, les groupes sont entrés aujourd’hui dans une deuxième phase : celle du « mieux-disant social » pour susciter des candidatures, doper l’engagement des salariés et favoriser ainsi la rétention des talents. « Ces éléments, en participant au bien-être des salariés, deviennent déterminants. En particulier chez les jeunes, remarque Ludovic Wolff, directeur de l’activité rewards de Willis Towers Watson, qui s’appuie sur l’étude annuelle du cabinet réalisée auprès de 1 600 entreprises internationales sur l’amélioration de leurs programmes de rémunérations globales. La qualité de vie au travail est devenue un thème majeur, plus important, même, que la rémunération, y compris dans des pays comme la Chine. » « Quand nous discutons avec les partenaires sociaux, nous essayons toujours de trouver un équilibre entre les deux pôles de notre politique qui repose à la fois sur le développement de l’entreprise, et donc de sa performance, mais qui ne doit pas se faire au détriment du bien-être et de l’accompagnement des salariés », pointe Rémi de Verdilhac, secrétaire général de Michelin.

Une communauté mondiale

Répondant aux difficultés de recrutement et générateurs de bien-être, ces éléments ont, en outre, pour vertu de créer un sentiment d’appartenance à une même communauté et de souder les salariés au-delà des frontières. Conséquence, cette harmonisation facilite la mobilité internationale. Plus question de s’accrocher à son poste de peur de se voir privé de certains avantages, ni de craindre un retour ou une nouvelle mobilité dans un troisième pays. La mobilité en est d’autant banalisée. « Les packages proposés ont tous été normalisés, et toutes les entreprises pratiquent les mêmes méthodes », relève Dominique Laurent, le DRH de Schneider France. Le salaire proposé équivaut à celui touché avant l’expatriation, auquel s’ajoutent une prime liée aux frais d’hébergement et de scolarité, et une prise en compte du niveau de vie du pays d’accueil. Une fois la période de mobilité terminée, cette prime est supprimée. « C’est important pour ne pas créer des différences de statut », insiste-t-il.

« Le sentiment d’appartenance favorise également les projets internationaux à distance, un axe qui, aujourd’hui, se développe bien plus vite que l’expatriation, ajoute Hervé Borensztejn. D’autant que derrière cette appartenance et ces codes se propage une culture d’entreprise. » En témoigne, notamment, le changement des modes d’évaluation des salariés d’Accenture, parti des États-Unis où des feed-back permanents sont désormais préférés aux entretiens annuels. Chez Microsoft, la prise en compte de la participation à des projets collectifs dans le calcul de la part variable est, elle aussi, directement inspirée des pratiques de la société mère… Pour Axa, la politique familiale relève de la stratégie du groupe : « En accordant, lors de l’arrivée d’un enfant, des congés aux femmes comme aux hommes, ou en mettant en avant nos engagements sur les questions d’égalité salariale et d’accueil de la diversité, nous changeons également le regard de nos salariés sur ces questions qui sont encore taboues dans certains pays », insiste Karima Silvent, DRH groupe d’Axa.

L’harmonisation des politiques RH pourrait faire évoluer les législations nationales. « Le législateur a tendance à formaliser une situation déjà existante, observe Frédéric Plais, cofondateur et P-DG de Platform.sh. Dans un souci d’homogénéiser leur gestion du personnel, certaines sociétés offrent à leurs collaborateurs plus d’avantages que ceux prévus par leur obligation légale. Rapidement, les sociétés en recherche de talents s’alignent sur ces pratiques. » Ainsi l’amendement Michigan, aux États-Unis, a interdit aux employeurs de demander aux candidats le montant de leur dernier salaire lors des entretiens de recrutement, afin d’éviter notamment que les femmes (et les personnes de couleur) ne traînent, à vie, un bas salaire en raison de la discrimination. Or, « ce dispositif a depuis été étendu à tous les États », rappelle Dominique Laurent, de Schneider Electric France. Michelin travaille, de son côté, sur un comité de groupe mondial, afin de faire évoluer la vision de la place et du rôle des partenaires sociaux dans les pays où elle est implantée. Cette nouvelle instance comprendra, dans un premier temps, les seuls pays dans lesquels les syndicats sont libres et représentatifs des salariés. Objectif ? Donner envie à ceux qui, de la Russie à la Chine, vont rester sur la touche, de modifier leur législation et leurs pratiques. Tout un programme que même l’OIT n’aurait jamais osé envisager !

Les cultures d’entreprises plus fortes que les cultures nationales ?

Censées diffuser, in fine, la culture d’entreprise et ses valeurs auprès de tous les collaborateurs, les politiques RH mondiales vont-elles progressivement se substituer aux cultures nationales ? « Certaines entreprises pensent que leur culture va s’imposer, mais attention, toutefois, à ne pas aller trop loin, observe Hervé Borensztejn. L’harmonisation pourrait, si les employeurs n’y prennent pas garde, créer une sorte de standardisation, qui nuirait à la diversité qu’ils cherchent par ailleurs à promouvoir. Au mieux peut-on se mettre d’accord sur une raison d’être et sur un socle valeurs communes… » Un jugement que relativise Sebastian Reiche, professeur à l’IESE, l’école de management espagnole, et spécialiste du management interculturel : « Tout dépend à la fois de la culture que cherche à promouvoir l’entreprise, et du contexte », explique-t-il, donnant un exemple éclairant : ING, la banque en ligne néerlandaise, s’est récemment développée en Espagne, où elle a cherché à embaucher des collaborateurs. Alors que sa culture n’a rien à voir avec celle qui prévaut en Espagne, contre toute attente, elle n’a pas eu de mal à recruter. « Il y avait une envie de travailler dans un environnement qui promeut des valeurs différentes de celles que les gens avaient connues. Et à partir du moment où votre système de management est clair, il est toujours possible d’attirer les talents », ajoute le professeur. À méditer… L. E.

Auteur

  • Laurence Estival, Lys Zohin