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Trouver un boulot, un mobile de départ !

Décodages | Emploi | publié le : 01.03.2019 | Sophie Massieu

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Trouver un boulot, un mobile de départ !

Crédit photo Sophie Massieu

Puisqu’il existe des bassins d’emploi à forts taux de chômage et d’autres à faibles taux d’inactivité avec quantité de postes non pourvus, il suffirait donc aux individus de se déplacer pour fluidifier le fonctionnement du marché du travail. Seule la difficulté de se loger pourrait constituer un obstacle. Mais en réalité, l’équation est bien plus complexe qu’un simple lien de cause à effet. Et surtout, la mobilité n’est pas la panacée.

De 6 000 à 8 000 euros par candidat. C’est la somme débloquée par Michelin, en 2018, en faveur de 25 personnes qui ont quitté leur région d’origine, le Nord principalement, pour intégrer, en CDI, l’usine de Cholet, dans le Maine-et-Loire. L’établissement peinait à recruter dans une région où le taux de chômage est faible et la concurrence entre employeurs assez rude. Le « pack mobilité » alors mis en place proposait deux solutions. En partenariat avec Action logement services (voir encadré), une aide à trouver un logement était mise en place, en cas d’installation avant même la fin de la période d’essai. Prise en charge du déménagement et aide pour permettre à l’ensemble de la famille de visiter la ville en amont ont complété le dispositif. Autre choix offert : le paiement d’une double résidence, et de deux trajets aller-retour mensuels, le temps de la période d’essai. « Ce pack a été mis en place pour répondre à un constat : certaines personnes sont en recherche d’emploi, mais elles n’ont pas les moyens de gagner les territoires où elles pourraient en trouver », observe Charles Fiessinger, responsable mobilités France chez Michelin, qui compte seize sites dans l’Hexagone. « Nous menons une politique volontariste pour favoriser la mobilité entre nos différents sites, complète Corinne Dedreuil, responsable méthodes de rémunération France, en veillant à ce que cela se passe bien pour l’ensemble de la famille et de façon durable. » Bref, pour le fabricant de pneus, pas de doute : la mobilité compte parmi les outils de recrutement et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Est-ce à dire que le difficile accès au logement représenterait un frein à l’emploi ?

Pas de logement, pas d’emploi ?

À question simple, réponse compliquée. En 2015, l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des finances estimaient qu’il n’existait pas de mesure satisfaisante de la part du chômage due à une inadéquation territoriale entre les offres et les demandes d’emploi. De son côté, en 2014, l’Insee observait que 3,1 % des 22-57 ans avaient changé de département de résidence et que 4 % des couples recouraient à la double résidence, avec un logement proche du travail de chacun. Autrement dit, les accès au logement et à l’emploi paraissent bien imbriqués. Un lien aux multiples facettes, et qui ne saurait être traduit comme un simple rapport de cause à effet du type « pas de logement, pas d’emploi ».

« Le logement constitue la plus forte dépense contrainte des ménages », souligne Diego Alarçon, délégué confédéral CGC au logement, avant d’énumérer le loyer mais aussi les factures d’énergie, d’eau, etc. Cette question du lien entre logement et accès à l’emploi lui paraît donc étroitement associée à celle du pouvoir d’achat, en particulier dans les zones en tension, où, certes, on trouve assez facilement du boulot, mais où souvent l’accès à la résidence est coûteux. Les demandeurs d’emploi ne refuseraient pas de bouger. Ils n’en auraient purement et simplement pas les moyens financiers.

« Quand on a assez de ressources pour trouver un emploi dans une autre ville, on trouve un appartement », confirme la sociologue Cécile Vignal, auteure d’une thèse sur la fermeture d’une usine en Picardie, qui a interrogé les salariés licenciés sur leur refus de se délocaliser en Bourgogne. Selon elle, « il existe aujourd’hui de telles contraintes pour accéder à un emploi stable qu’on ne trouve pas de logement ». Cette difficulté est renforcée par la pénurie en logements sociaux.

Autre aspect du lien entre emploi et logement, le phénomène de stigmatisation provoqué par un lieu de résidence. Donner une adresse dans l’un des quartiers prioritaires de la politique de la ville complique, bien souvent, l’accès à l’emploi. Ce phénomène a été observé par des chercheurs comme l’économiste Alain Trannoy, à propos des populations émigrées. Il a été aussi identifié par Bernard Verquerre, en charge des questions du logement pour la CPME.

Quelques initiatives sont prises, localement, pour changer la donne. À l’image du partenariat signé par Pôle emploi avec le bailleur social CDC habitat, filiale de la Caisse des dépôts, et l’Association pour la formation professionnelle des adultes. Il s’agit de renforcer l’accompagnement vers l’emploi de personnes logées dans les QPV. À Nantes, Behren-lès-Forbach, Montreuil, Vénissieux et Toulouse, cinq antennes de proximité pilote ont été mises en place pour bâtir des parcours personnalisés qui répondent aux besoins d’un territoire. Concrètement, les conseiller Pôle emploi tiennent guichet dans des locaux mis à disposition par le bailleur social, au pied des immeubles, et ils reçoivent les demandeurs d’emploi les moins qualifiés.

Coup de pouce.

Autre outil proposé par Pôle emploi, le coup de pouce donné à la mobilité dans le cadre d’un autre partenariat, conclu avec le Réseau solidarité accueil mobilité. Le principe : mettre à la disposition des demandeurs d’emploi qui se déplacent loin de chez eux pour candidater un hébergement temporaire d’une nuit. En 2017, 272 hébergements ont ainsi été débloqués pour des familles volontaires, les trois quarts ayant bénéficié de ce service après que Pôle emploi les avait orientés vers le dispositif.

De leur côté, les entreprises se préoccupent également des enjeux de mobilité. Pour la CPME, Bernard Verquerre a réuni une dizaine de personnes qui œuvrent en faveur de l’accès au logement des salariés. « Ce que nous investissons dans le logement a des retombées économiques. Cela soutient le commerce et cela améliore l’image de certains quartiers », résume-t-il. Au sein du groupe La Poste, le lien entre l’accès au logement et l’accès à l’emploi figure aussi au premier rang des préoccupations. « Il est important pour nous d’accompagner nos personnels pour qu’ils puissent venir occuper les postes que nous offrons, explique Philippe Saillard, délégué au logement du groupe. L’accès au logement social est bien souvent la condition sine qua non de la prise de fonction. Les collaborateurs débutants sont payés autour de 1 300 euros et ce salaire est identique qu’ils travaillent à Paris ou dans une région où le logement est nettement moins cher. » La Poste aide donc ses salariés à trouver un logement social, notamment parmi ceux qu’elle possède elle-même. Elle met aussi des structures d’hébergement temporaire à disposition des jeunes en apprentissage. Et pour les salariés déjà en poste, elle tente de favoriser les mobilités géographiques et fonctionnelles, en finançant des doubles résidences, par exemple, ou en offrant des aides au prêt pour l’accès à la propriété. Au total, chaque année, 10 000 opérations sont réalisées autour du logement, dans ce groupe qui compte 230 000 agents.

Bouger coûte cher.

Un certain nombre d’entreprises s’appuient donc sur la mobilité pour favoriser l’accès à l’emploi. Pourtant, elle ne saurait être le remède universel au chômage. D’abord, devenir mobile, pour un demandeur d’emploi, implique parfois une famille entière. Le conjoint doit, lui aussi, trouver un emploi dans la ville de destination. Le couple s’éloigne des solidarités familiales qui permettent parfois de réaliser des économies sur la garde d’enfants. Le logement pourra devenir inaccessible tant il sera coûteux, même en cas de revente d’un domicile qui fait encore l’objet d’un remboursement de prêt… Bref, être mobile coûte cher. 58 000 euros, selon un article scientifique de novembre 2018 de la faculté d’économie d’Aix-Marseille.

Dès lors, logiquement, les mobilités sont « socialement sélectives », selon les termes de la sociologue Mathilde Rudolph. D’après elle, dans les villes en décroissance, suite à la désindustrialisation en particulier, les ouvriers restent sur place. Mais les cadres ne viennent pas, ce qui engendre une baisse de la population. Elle observe que les plus jeunes et les plus qualifiés sont les plus mobiles, ce qui aggrave le vieillissement et la paupérisation dans de petites villes déjà sinistrées.

Surtout, « la mobilité n’est pas une valeur positive en soi, estime la chercheuse en sociologie Cécile Vignal. Une société sans cesse en mouvement serait le signe qu’elle va mal ». Motif : pour elle, l’injonction à la mobilité s’accompagne d’une précarisation du travail. Et à ses yeux, le problème a peut-être été pris à l’envers : « Depuis dix ou quinze ans, on a acté que les salariés devraient bouger, pas les entreprises. Cela cause des effets sociaux et territoriaux délétères. Et les individus ne peuvent pas tout porter. Ce n’est pas leur faute si une entreprise licencie ! »

Complexes, les liens entre accès au logement et à l’emploi promettent de le demeurer encore longtemps. D’autant qu’un nouveau paramètre vient compliquer l’équation : la réduction des gaz à effet de serre, notamment produits par les véhicules individuels. Ce faisant, la question de la mobilité passe par le nécessaire développement des réseaux de transports collectifs.

Nombreux sont les experts qui réclament aux pouvoirs publics de développer des transports en commun adéquats. Ou qui, comme Diego Alarçon, de la CFE-CGC, les invitent à renforcer les obligations des entreprises en matière de plans de mobilité, rendus obligatoires par la loi sur la transition énergétique de 2015. Des contraintes qui commencent par un indispensable diagnostic sur les modes de déplacement de leurs collaborateurs. Or, on en est encore loin…

Action logement, bras armé des entreprises

On l’appelait le « 1 % patronal ». Il représente aujourd’hui 0,45 % de la masse salariale. Action logement gère de façon paritaire la participation des employeurs à l’effort de construction (Peec). Cette cotisation est versée par toutes les entreprises d’au moins 20 salariés. Mi-janvier, l’opérateur a annoncé le déblocage de 350 millions d’euros en faveur de la mobilité des salariés, grâce à une aide de 1 000 euros par déménagement, et à la création d’espaces de travail partagés. Plus largement, avec ses 981 000 logements en 2017 (soit environ 20 % des logements sociaux), ce gros bailleur social entend faciliter l’accès au logement pour favoriser l’emploi. Pour cela, il offre aux entreprises ses services au travers de deux filiales. D’une part, Action logement services, qui collecte les cotisations des entreprises, qui gère les affectations des salariés, et qui abritera bientôt l’office national de vente, créé par la loi Elan au printemps dernier, interlocuteur du réseau des HLM. D’autre part, Action logement immobilier, sa filiale patrimoniale, qui construit, rénove, et qui vend ses logements.

Pour sa présidente, Viviane Chaine-Ribeiro, la relation emploi logement est évidente : « Le logement est un frein à l’emploi puisqu’il nuit à la mobilité. » Et de dénoncer notamment la lourdeur des droits de mutation, abusivement appelés « frais de notaire ». Outre leur réduction, les autres pistes pour débloquer la situation sont, selon elle, « la construction de nouveaux logements et l’innovation pour favoriser la mixité sociale ».

Auteur

  • Sophie Massieu