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Marie-Anne Montchamp, la solidarité chevillée au corps

Décodages | Organisations | publié le : 01.03.2019 | Sophie Massieu

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Marie-Anne Montchamp, la solidarité chevillée au corps

Crédit photo Sophie Massieu

Présidente du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qu’elle a contribué à créer il y a une quinzaine d’années, l’ex-députée et secrétaire d’État invite à penser la protection sociale du XXIe siècle. Elle doit, selon Marie-Anne Montchamp, être davantage basée sur les besoins et attentes des personnes que sur une vision comptable. Tout un programme, qu’elle espère, notamment, inscrire dans la concertation « grand âge et autonomie » en cours.

Aux murs, pas de photos personnelles, mais quelques clichés qui appartenaient à celle qui l’a précédée. Dans un coin, une machine à café. Une orchidée rose pas vraiment à son goût, mais qu’elle conserve par égard pour la personne qui la lui a offerte. Au centre, une grande table rectangulaire, entourée de chaises colorées. Le bureau de la présidente du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, Marie-Anne Montchamp, 61 ans, s’apparente à une salle de réunion impersonnelle. Et c’est à la grande table qu’elle nous invite à prendre place, pas face à son bureau. Près d’elle, figure « La lutte pour la reconnaissance » d’Axel Honneth, dont on apprendra qu’il compte parmi ses références philosophiques (et, dit-elle, de celles d’Emmanuel Macron). La seule petite touche personnelle… Elle explique : « Je passe plus de temps dans le bureau des autres. Je suis une nomade. Je pourrais d’ailleurs vivre à l’hôtel… »

On l’imagine le plus souvent éloignée de Nogent-sur-Marne et de son domicile. Notamment alors que la concertation « grand âge et autonomie » bat son plein. Elle a été confiée par Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, au conseiller d’État Dominique Libault, par ailleurs président du Haut conseil pour le financement de la protection sociale. Son intitulé : « Comment mieux prendre soin de nos aînés ? » Autant dire que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), présidée par Marie-Anne Montchamp depuis le 23 octobre 2017, y occupe une place de choix. Même si, pour l’heure, la question du handicap, au grand dam des acteurs du secteur, a été exclue du champ de la discussion.

Cette institution a été créée par la loi du 30 juin 2004 sur la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et handicapées, celle-là même qui a créé le jour de solidarité du même nom, et que Marie-Anne Montchamp, alors secrétaire d’État aux personnes handicapées, a portée. « Je m’attache depuis de nombreuses années à penser l’évolution de la protection sociale, confirme-t-elle. C’est ma raison d’être. C’est pour cela que je fais de la politique et pour moi, présider la CNSA n’est pas une profession, mais une autre manière de faire de la politique, appliquée celle-là. »

Penser la protection sociale du XXIe siècle.

Avant même de s’être ralliée à Emmanuel Macron une fois François Fillon désigné par la primaire de la droite au détriment de son champion, Nicolas Sarkozy, pour qui elle avait fait campagne, elle a défendu l’idée d’une augmentation de la CSG pour financer la protection sociale : « Je ne dis pas que c’est une bonne solution, mais que c’est moins pire, si vous me permettez l’expression, que d’augmenter les charges sociales. » Motif : cela permet un élargissement de l’assiette et de tenir compte de la diminution de la part des personnes en activité. Reste, selon elle, à plancher sur les taux de prélèvement, et à rétablir l’équité en les travaillant.

Au-delà, à travers son mandat à la présidence de la CNSA, qui court jusqu’en 2021, cette ancienne secrétaire d’État – aux personnes handicapées sous Jacques Chirac, puis à la cohésion sociale sous Nicolas Sarkozy – veut contribuer à penser la « protection sociale du XXIe siècle ». Pour elle, elle doit s’appuyer sur trois principes.

D’abord, elle doit être « fortement personnaliste », partir des besoins, des attentes de chacun. À commencer par le fait que, quel que soit l’âge, il y a une aspiration à la participation et à la citoyenneté. Pour elle, la protection sociale du XXe siècle était basée sur le risque : famille, retraite, maladie, chômage. Celle du XXIe doit partir des ambitions sociétales. Ce qui l’amène à rejeter l’idée de la création d’un cinquième risque, sur l’autonomie, véritable Arlésienne depuis le milieu des années 2000. Aux yeux de Marie-Anne Montchamp, la protection sociale de demain ne doit plus proposer un « droit de », ou « à », mais un « droit pour ». Et, bien sûr, elle devra tenir compte de la part grandissante des personnes qui ne travaillent pas et du vieillissement. Pour connaître les aspirations de chacun, Marie-Anne Montchamp légitime l’expression directe des individus, « de droit » selon elle, mais elle souligne aussi le rôle important des corps intermédiaires, « qui permettent une traduction des demandes de chacun en attentes politiques communes ».

Le deuxième grand principe de la protection sociale des années à venir qu’elle appelle de ses vœux est la solidarité. Elle précise : « Nous sommes dans une économie mondialisée, la solidarité doit en tenir compte, et cela passe, par exemple, par la question de la fiscalité. » Des recettes fiscales pour financer la protection sociale lui semblent d’autant plus nécessaires qu’on peut « dépenser mieux, sans doute, mais pas moins ». Enfin, troisième principe, une protection sociale adéquate doit prendre en compte ce qu’elle appelle les « contingences », en l’occurrence les spécificités territoriales. « Elle a su donner une vision stratégique à la CNSA, commente Prosper Teboul, directeur général de APF France handicap. Elle sait mettre en perspective et faire de la prospective. Sous sa présidence, la CNSA est dédiabolisée, elle n’est plus seulement perçue comme une caisse. Et Marie-Anne Montchamp a une propension à faire échanger et à faire travailler ensemble les différentes parties prenantes. »

À gauche de la droite.

Mais comment a-t-elle construit cette vision globale de la protection sociale ? Avec rigueur et méthode, sans doute, elle qui rêvait d’intégrer Normale sup, et de « faire de l’analyse stylistique à partir de données syntaxiques ». Elle dit même avoir bâti un modèle d’analyse de texte et conserver la grammaire comme « refuge », à ses heures perdues…

En se montrant à l’écoute, aussi. En pleine discussion du projet de loi du 11 février 2005, texte qui régit encore les grandes lignes de la politique du handicap en France, Claude Finkelstein, présidente de la Fnapsy (Fédération nationale des patients de la psychiatrie), se souvient qu’elle devait être reçue pendant une heure et qu’elle est restée… quatre fois plus longtemps ! À la même période, Marie-Sophie Desaulle présidait APF France handicap, elle était en première ligne dans les batailles autour de ce texte, qui n’ont pas toujours été apaisées : « Lorsque Marie-Anne Montchamp est arrivée, nous manquions d’un interlocuteur stable, se rappelle-elle. Elle avait un parcours dans le privé, ce qui n’était pas pour nous rassurer au départ. Cela aurait pu donner lieu à une confrontation culturelle avec le milieu associatif, mais elle a fait preuve d’écoute et d’une forme d’empathie. » Elle-même reconnaît que ce qu’elle a vu sur le terrain a changé sa façon d’appréhender la protection sociale : « Je n’en ai plus eu une vision seulement chiffrée. »

Résultat ? « Je passe pour une gauchiste dans ma famille politique », rit-elle. Avant pourtant de se définir comme une femme de droite, « à la gauche de la droite », mais « libérale, d’un libéralisme de responsabilité. Je ne crois pas à la main invisible du marché, et je crois dans les capacités et dans la citoyenneté de chacun, même des plus vulnérables ». C’est d’ailleurs de cette participation et de cette citoyenneté qu’elle est partie pour donner un angle et une cohérence à la loi du 11 février 2005. « Le contexte était tendu, jusqu’à ce que j’aie une intuition : il fallait partir du projet de vie pour bâtir ce texte. Partir de ce que les personnes voulaient et pouvaient faire : travailler ou non, vivre à domicile ou non, aller à l’école… C’est ainsi qu’a pu être imaginée la prestation de compensation du handicap. Il a fallu construire une forme de dialogue social autour de ça. »

« C’est une habile négociatrice, commente Marie-Sophie Desaulle. Il est possible de construire avec elle, même si on ne fait pas aboutir toutes nos revendications. » Et de citer le point de blocage qu’ont été les ressources des personnes handicapées, qui, aujourd’hui encore, pour bon nombre de celles qui ne peuvent travailler, vivent sous le seuil de pauvreté.

Inspiration maternelle.

Elle ne donne donc pas toujours satisfaction aux acteurs associatifs. Mais ils semblent ne pas lui en tenir rigueur : « Elle démontre que la politique a un rôle à jouer pour faire société », estime Guillaume Quercy, président de l’Una (Union nationale de l’aide, des soins et des services à domicile). Ce goût pour la politique d’une femme que tous nos interlocuteurs qualifient d’« humaine » ou d’« humaniste » peut faire dire aussi à certains qu’elle est une « femme de pouvoir ». L’attrait pour les responsabilités publiques qui lui vient peut-être de la terre de ses racines familiales : la Corrèze, terre présidentielle s’il en est.

Arrivée à Paris à 19 ans, où elle a suivi un 3e cycle en ressources humaines après avoir échoué à intégrer l’École normale supérieure, elle n’a pas conservé d’amitiés corréziennes d’enfance. « Je suis de là où je vis et milite », dit-elle. Mais elle retourne dans sa région natale, à l’occasion, pour voir son père. Et elle se souvient, petite, avoir accompagné, « fascinée », son arrière-grand-père, journaliste, à l’imprimerie du journal « Le Corrézien ». Elle évoque, aussi, à l’origine de ses engagements et de sa façon d’envisager les problématiques sociales, le travail d’assistante sociale de sa mère : « Elle accompagnait des familles d’agriculteurs très en difficulté et à chaque fois, elle s’appuyait sur un détail matériel, décalé, dans leur maison, pour tenter de reconstruire quelque chose. Un portrait de leurs ancêtres, une plante qui avait réussi à pousser… Elle en faisait un point d’appui. Aujourd’hui encore, cela m’inspire lorsque je cherche un parallèle, pour bâtir. À cette condition, on peut innover. » Quitte à bousculer ses collègues. Elle rit encore de ces « coups pendables », qu’elle a pu faire à la commission des finances de l’Assemblée nationale, faisant par exemple adopter des mesures qui lui tenaient à cœur pendant la pause déjeuner…

Derrière cette femme sérieuse et, de l’avis de tous, laborieuse afin de maîtriser ses dossiers, transparaît la militante. On l’imagine aussi aisément amuser ses petites-filles de 10, 9 et 4 ans, dont elle se dit très proche. Elle confie leur expliquer… le subjonctif ! Cette mère de quatre garçons aime ces grandes tablées familiales, où l’on a dressé un joli couvert après avoir cuisiné en famille, et où l’on refait le monde… Instants bien trop rares, sans doute, dans la vie d’une femme aussi active qui, outre la CNSA, préside aussi Entreprises et handicap, une association qu’elle a fondée en 2004 et qui regroupe des acteurs du monde économique ainsi que des universitaires. Elle dirige aussi un cabinet de conseil. « Tout ceci m’offre des relations interpersonnelles fortes. J’y trouve une forme d’accomplissement. » Et la stabilité des nomades ?

En six dates

1er novembre 1957

Naissance à Tulle (Corrèze).

Depuis 2004

Présidente et fondatrice de l’association Entreprises et handicap.

2004-2005

Secrétaire d’État aux personnes handicapées.

2005-2010

Rapporteur du projet de loi de finance de la Sécurité sociale à l’Assemblée nationale.

2010-2012

Secrétaire d’État à la cohésion sociale.

2017

Élue à la présidence du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Le mandat court jusqu’en 2021.

Auteur

  • Sophie Massieu