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Les armées à la pointe des RH

Décodages | Carrière | publié le : 01.03.2019 | Adeline Farge

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Les armées à la pointe des RH

Crédit photo Adeline Farge

Campagne de recrutement par podcast, promotion sociale au mérite, formation à un rythme soutenu, soutien aux familles … Alors que les besoins en recrutement sont conséquents, l’armée innove pour attirer des talents, les former et surtout les fidéliser.

La Grande Muette est une vraie source d’inspiration en matière de gestion du capital humain. Depuis la fin de la conscription, les forces armées ont développé des méthodes innovantes pour réussir à recruter, à former, à fidéliser et à reconvertir leurs troupes. « L’armée n’est pas une entreprise comme les autres. C’est un service public dont la finalité est la défense des intérêts de la République. Si les opérations tournent mal sur les zones de combat, les militaires peuvent aller jusqu’au sacrifice suprême. Au service de la France, ils sont attachés à un statut spécifique qui leur impose des obligations inexistantes dans le privé », souligne l’amiral Olivier Lajous, ancien DRH de la Marine nationale et président de BPI Group.

Les militaires n’ont pas le droit de se syndiquer ni de faire grève, mais ils ont un devoir d’obéissance et de disponibilité. Opérations menées dans des environnements hostiles, situations d’inconfort, confrontation à des menaces permanentes et à la détresse humaine… beaucoup finissent par raccrocher l’uniforme. « Pour patrouiller dans le désert malien ou dans le métro parisien, les militaires doivent avoir une résistance physique et mentale. Les exigences inhérentes à la vie militaire expliquent que la moyenne d’âge dans nos rangs soit de 32 ans. Pour rester efficace et réactive, l’armée doit répondre à un impératif de jeunesse, ce qui implique une brièveté des carrières. Nous avons une armée de flux avec 12 000 départs et 14 000 recrutements par an », précise le colonel Damien Wallaert, adjoint au sous-directeur étude et politique, à la direction des Ressources humaines de l’armée de terre.

Recruter malgré la concurrence du privé.

La défense enrôle à tour de bras de nouvelles recrues, de la troisième jusqu’à bac + 5 dans toutes les disciplines. Après des années de déflation, les effectifs sont repartis à la hausse depuis les attentats de 2015. En 2019, le ministère des Armées devra recruter 21 000 militaires et 3 700 civils dans plus de 400 métiers. L’armée de terre, l’un des principaux employeurs du pays, aura besoin de 14 000 soldats tandis que l’armée de l’air embauchera 3 500 aviateurs et la Marine nationale, 3 500 personnes. « Avec 70 % de contractuels, les armées font face à une rotation élevée de leurs personnels. Contrairement aux entreprises qui gèrent leurs effectifs en stock, elles sont dans une logique de flux continu. Sachant qu’une classe d’âge compte 700 000 jeunes, cela implique une politique de recrutement offensive », remarque Patrice Huiban, lieutenant-colonel, conseiller référendaire à la Cour des comptes et coauteur de « Management : l’armée, un modèle à suivre ? »

D’autant que les forces armées cherchent à attirer des talents que lorgnent les entreprises privées : maintenanciers aéronautiques ou mécaniques, spécialistes de la dissuasion nucléaire, pilotes et contrôleurs aériens, experts des systèmes d’information ou de la sécurité informatique… « L’armée est de plus en plus équipée de matériels de combat modernes. Nous avons donc besoin de recruter des militaires qui maîtrisent ces hautes technologies. Or, dans ces filières de pointe, toutes les entreprises s’arrachent les compétences. Entre des rémunérations qui peuvent paraître moins attrayantes et des mobilités plus fréquentes, les candidats sont tentés de partir travailler dans le privé », indique Damien Wallaert.

Affiches dans les bus ou les gares, spots télé et radio… les armées multiplient les campagnes de recrutement pour susciter des vocations chez les 17-25 ans. Afin de recruter dans cinquante métiers, l’armée de l’air raconte les missions de ses aviateurs et valorise leur engagement avec des podcasts disponibles sur YouTube. « C’est une façon originale de capter leur attention et de leur donner envie de rejoindre les rangs. Pour réussir à convaincre les nouvelles générations, qui sont connectées à leur Smartphone, nous devons nous adapter à leurs codes tout en tenant un discours de vérité », justifie le colonel Christophe Recolin-Blardon, chef du bureau recrutement de l’armée de l’air. Au-delà des réseaux sociaux et des jobboards, les armées s’appuient sur leurs centres d’information et de recrutement. Elles multiplient également les forums emploi, les journées défense et citoyenneté, les interventions dans les classes de troisième et dans les lycées professionnels… « Notre objectif est de montrer aux jeunes que chacun a sa place à bord, et que c’est l’opportunité de vivre une aventure extraordinaire qu’ils pourront valoriser dans leur carrière. Les métiers de la marine sont souvent méconnus, les nouvelles générations n’arrivent pas à s’y projeter », constate le capitaine de vaisseau Xavier Royer de Vericourt, sous-directeur études et politique des ressources humaines de la Marine nationale.

Autre levier de la Marine : nouer des partenariats avec des entreprises comme EDF pour embaucher les alternants, qui ne seront pas recrutés. Pour combler le déficit de formation sur certains métiers en tension, l’armée de terre a ouvert son propre BTS en cybersécurité et un bac pro aéronautique. Et, pour attirer des candidats motivés vers une formation qualifiante, elle propose des bourses et des logements. Entre les volontariats, les stages et les préparations militaires, les armées offrent des possibilités de vivre une première expérience et d’apprendre le b.a.-ba des métiers. Exemple : l’armée de l’air délivre des brevets d’initiation aéronautique, sanctionnant une formation de 50 heures.

Des carrières attractives.

Recruter des talents n’est pas le seul challenge à relever. À l’heure où les armées sont mobilisées sur tous les fronts, la fidélisation est un enjeu crucial. Restrictions budgétaires, difficultés à concilier vies militaire et personnelle, décalage entre l’image du métier et des missions parfois peu exaltantes sur le terrain… Seuls 65 % des militaires rempilent dans l’armée de terre et 58 % dans l’armée de l’air, après un premier contrat d’une durée de trois à cinq ans en général. Pour dissuader ses troupes de quitter les rangs, la défense propose à ses « bleus » des perspectives de carrière attractives. « Pour fidéliser nos recrues les plus méritantes, nous leur garantissons un escalier social. Les militaires ne restent pas cantonnés au même grade durant toute leur carrière. Ceux qui ont démontré leur investissement, et qui ont le niveau requis, peuvent gravir les échelons et gagner en responsabilités. Si nous ne leur donnons pas la possibilité d’évoluer, ils risquent de nous quitter pour rejoindre une entreprise qui assurera leur montée en compétences », explique le colonel Christophe Recolin-Blardon. À condition de faire ses preuves auprès de la hiérarchie, les militaires du rang peuvent postuler au concours de l’école des sous-officiers après deux ans de service, avec la possibilité de devenir plus tard officier. L’armée de terre sélectionne 70 % de ses sous-officiers parmi ses soldats. Et 50 % des officiers ont fait leurs premières armes comme sous-officiers. « L’avancement des carrières repose sur des critères méritocratiques transparents, et connus de tous. Ces promotions renforcent la cohésion, l’exemplarité et la motivation des troupes. Si les règles étaient opaques, les gens passeraient plus de temps à élaborer des stratégies individuelles qu’à se dévouer pour leurs équipes », estime Patrice Huiban.

Au-delà des responsables RH, les chefs de corps jouent un rôle moteur dans le déroulement des carrières. « Lors des exercices de commandement, les élèves officiers s’entraînent à évaluer les aptitudes de leurs camarades et à détecter ceux qui pourraient prétendre à un grade plus élevé, en les confrontant à des missions plus complexes. Ils doivent avoir une connaissance parfaite des passerelles et des démarches administratives à effectuer pour passer à une fonction supérieure ou se reconvertir dans le civil », raconte le lieutenant-colonel Franck Chevallier, porte-parole des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan.

25 jours de formation par an.

Corollaire de cette promotion au mérite, la formation continue occupe une place importante. Chez les marins, elle représente 25 jours par an. Pour former leurs troupes, les armées privilégient les mises en situation, grâce à des simulateurs. Les cuisiniers de la marine s’exercent à préparer des repas pour des équipages lors d’une tempête, les mécaniciens s’entraînent à réaliser des diagnostics et à réparer des moteurs… « Ces exercices permettent aux militaires d’apprivoiser, en individuel et en collectif, des situations réelles auxquelles ils seront confrontés, et d’assimiler les gestes techniques indispensables pour réagir rapidement, explique le capitaine de vaisseau Xavier Royer de Vericourt. Pour transmettre les savoirs de génération en génération, nous organisons la montée en gamme de nos marins dans leurs domaines d’expertise, par la formation et par l’entraînement. »

Lors de leurs premiers pas, les jeunes marins sortis d’école sont accompagnés par des membres expérimentés de l’équipage, qui ont pour mission de les aider à s’approprier les différents aspects de leur métier. « Ce mentoring est essentiel. On ne peut pas laisser les jeunes livrés à eux-mêmes. Nous devons nous assurer qu’ils sont en capacité de mettre en application leur formation théorique. En étant encadrés par un mentor, ils vont comprendre leurs erreurs et en tirer une expérience. Plus l’environnement est technique, plus les enjeux de sécurité sont élevés, et plus les gestes doivent être précis pour limiter les risques d’accident », indique Olivier Lajous.

Ces remises à niveau régulières et les compétences acquises lors des missions sont un atout pour rebondir, après avoir raccroché l’uniforme. En 2017, 60 % des militaires ont trouvé un travail dans l’année de leur retour à la vie civile. Bilans de compétences, actions de formation, techniques de recherche d’emploi, mises en relation avec des employeurs… l’agence Défense mobilité offre un accompagnement personnalisé aux militaires en voie de reconversion et elle les aide à affiner leur projet professionnel. « Sur de multiples théâtres d’opérations, les militaires ont acquis des expériences qui sont reconnues par le secteur civil. Notre rôle est de les aider à faire le deuil de l’institution, de leur présenter les codes des entreprises qu’ils observent de loin, et de les aider à se projeter dans leur futur métier », énumère le général Roche, directeur de Défense mobilité.

Veiller au moral des familles.

Autre facteur permettant de fidéliser les troupes et de booster l’attractivité des armées : favoriser la conciliation entre un engagement exigeant et une vie familiale épanouie. En octobre 2017, le Plan famille a été lancé pour améliorer le quotidien des militaires et de leurs proches. Parmi les mesures : augmenter de 20 % les places en crèche d’ici 2022, créer des cellules d’information et d’accompagnement social des familles, annoncer les mutations au moins cinq mois à l’avance dans 80 % des cas. En parallèle, la Marine a développé l’application Familles de marins, sorte de réseau d’entraide grâce auquel les proches peuvent accéder aux prestations du CE, mais aussi partager des petites annonces d’aides à domicile ou de gardes d’enfants. Des assistantes sociales des armées peuvent aussi accompagner les conjoints supportant seuls les charges de famille en l’absence du militaire, et les aider à trouver des solutions en cas de difficulté. Pour Patrice Huiban, « un soldat qui sait que sa famille va bien en base arrière est un soldat qui sera focalisé sur sa mission ». Efficacité oblige.

Auteur

  • Adeline Farge