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L’esprit start-up à tout prix

À la une | publié le : 01.03.2019 | Dominique Pérez

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L’esprit start-up à tout prix

Crédit photo Dominique Pérez

Faire se rencontrer grandes entreprises et start-up, incuber, mentorer pour faire jaillir la créativité et l’innovation… Les initiatives de rapprochements entre les deux mondes se multiplient. Reste à savoir si les méthodes des « David » influent en profondeur sur les pratiques des « Goliath ».

Village by CA, Carquefou, près de Nantes. En ce jour de janvier, beaucoup d’animation au sein de cet espace ouvert en 2017 par le Crédit Agricole Atlantique Vendée, derrière le siège régional de la banque. Par petits groupes, on échange, cravaté ou non, autour du buffet de fruits et de boissons, sous des ballons marqués d’un numéro permettant les réservations des tables pour organiser les échanges. Dans un amphi aux portes ouvertes, même décontraction, mais toujours attentive, on écoute les pitchs. Des start-up, qui présentent leurs produits et leur service, et de grands groupes, qui exposent leurs besoins.

Aujourd’hui, c’est la rencontre des entreprises et des start-up de la sphère agroalimentaire, l’« agrotech », qui fait le lien entre les acteurs économiques de la filière. Un des rendez-vous réguliers de ce village, comme les 26 autres créés par le groupe bancaire dans toute la France.

Incubées par des entreprises « partenaires », les start-up – qui restent au maximum deux ans dans la structure, moins longtemps si elles réalisent une levée de fonds suffisante pour voler de leurs propres ailes – sont soutenues et mentorées par des grands groupes. À côté d’un intérêt purement business, elles sont source d’inspiration et d’innovation pour des sociétés à la recherche de nouveaux produits et de nouveaux services, dans leurs méthodes de gestion et de concrétisation de projets.

Une vraie révolution pour certaines entreprises. « Elles sont plongées dans un univers de créativité dont elles ont besoin pour se renouveler, explique Nathalie Massé, “chef” du Village by CA. Elles viennent voir comment elles travaillent, et s’inspirent souvent de leurs méthodes, basées sur l’agilité, la rapidité, les prises de décisions transversales, la remise en question, le droit à l’erreur, les pivots, la cocréation… »

Des notions qui, peu à peu, s’introduiraient non seulement dans les services marketing, mais qui devraient également inspirer les ressources humaines, la communication ou la production. « Nous avons besoin de nous imprégner de cette agilité des start-up, de méthodes que nous n’avons pas encore suffisamment développées en interne, explique Fabienne Desamrie, responsable du marché des particuliers du Crédit Agricole Atlantique Vendée. Ces contacts nous permettent de sortir de notre seul monde bancaire. L’avantage, aussi, est que les start-up ont parfois accumulé des expériences de collaboration avec d’autres entreprises dont elles peuvent nous faire bénéficier. Bien sûr, en interne, nos pratiques évoluent aussi sans elles. Nous recrutons des salariés venus du digital, des personnes ouvertes sur l’open innovation. Mais nous avons toujours besoin de mettre le nez dehors. Avec le Village, les relations sont encouragées et boostées… »

Et pas seulement pour les cadres et les managers… L’idée de la cocréation fait son chemin pour la définition de nouveaux produits au sein même de l’équipe du marché des particuliers. C’est dans le Village qu’une rencontre a été organisée avec une start-up, My Appy Tours, qui développe des applications ludo-éducatives. « La mise en relation avec le responsable du marché des particuliers du Crédit Agricole Atlantique Vendée d’alors a provoqué une collaboration sur un sujet qu’il souhaitait développer, explique Hélène Jaffrelot, fondatrice de My Appy Tours. Nous étions déjà installés au Village et nous avions envie de créer des liens avec les entreprises voisines. » Comment attirer la cible « famille », avec des offres imaginée pour les enfants ? Tel est l’un des questionnements de la banque qui trouve dans la start-up la connaissance de cette cible, et surtout les moyens de cerner les attentes de la clientèle. L’équipe du marché des particuliers est alors conviée à s’immerger dans la méthode start-up, ludique, agile et… concrète. « Nous avons organisé un premier jeu de trente minutes dans lequel il faut se glisser dans la peau de nos personnages. Cela a permis de mettre en pratique avec l’équipe ce que nous faisons tous les jours quand nous construisons une expérience client pour des grands groupes. Nous avons ensuite mené des ateliers de cocréation avec des familles et les salariés de la banque, pour imaginer des produits nouveaux. » Des ateliers de créativité qui participent à un changement de posture dans la manière même d’aborder la clientèle pour la banque. « Plutôt que de tenter de proposer des offres déjà existantes, on part des besoins des clients pour les adapter et, surtout, en créer de nouvelles », témoigne Fabienne Desamrie. Cependant, lancer ce type d’atelier dans une entreprise suppose de prévoir un intermédiaire pour concilier les deux mondes. « Une salariée travaillant pour le marché des particuliers dans la banque, issue du monde du digital, a été l’intermédiaire entre Hélène et les instances décisionnelles de la banque. Elles ont constitué un binôme qui permettait de faire la jointure entre les deux. » Car imposer sans filet des nouvelles méthodes de créativité risque de retarder, voire de remettre en question la démarche.

Des liens tous azimuts…

Incubation, mentoring, immersion… Les formes de partenariats et de croisement entre start-up et grands groupes sont-elles vraiment en train de modifier en profondeur les pratiques, notamment RH, des grands groupes ? Difficile de le déterminer avec précision, tant les démarches de rapprochement sont récentes. Pour le groupe agroalimentaire Fleury Michon, qui a créé un poste de chargée de mission open innovation en 2017, la voie est bien engagée. « Tous les services sont impliqués, explique Mélanie Paillat, chargée de mission open innovation. En juin dernier, nous avons par exemple organisé une demi-journée “Start-Up me Up” en interne pour environ 250 collaborateurs, afin de donner des sources d’inspiration et de découvrir nos partenaires et des start-up. » Cela constitue aussi une manière d’introduire une forme de mécénat d’entreprise renouvelé. Parmi les initiatives lancées par l’organisation, en effet, figure un appel au « mentorat » de start-up, ouvert à tous les salariés. Après un vote de la communauté des mentors définissant sur critères les start-up à accompagner, les volontaires épaulent celles-ci dans leurs choix pendant un an, avec des rencontres et des points mensuels. Bénéfice ? « Découvrir un autre univers, s’acculturer à d’autres façons de travailler, dans un espace-temps différent… »

Développer ses idées en mode start-up

SAP, éditeur de logiciel, a choisi, en plus d’un accélérateur de start-up inauguré à Paris en janvier dernier, de favoriser la création de start-up internes, pour créer des activités innovantes. Une forme d’intrapreneuriat qui permet de susciter la créativité en rapprochant des salariés de différents services associés sur un même projet. Soixante-seize projets ont ainsi été présentés en 2018. Avec une touche sociétale de bon aloi pour One billion lives, programme d’intrapreneuriat ayant pour objectif de favoriser les idées d’innovation sociale. « L’innovation de rupture doit venir des salariés, pas de l’entreprise, souligne Caroline Garnier, DRH. Les équipes se choisissent, elles sélectionnent leur thème, et elles créent leur projet selon le mode start-up. » Dernièrement sélectionné, Speed up fight against cancer un projet de SAP France vise à favoriser la lutte contre le cancer en réduisant le nombre d’essais cliniques, grâce à une plateforme ouverte de données.

Les ingénieurs, les directeurs de comptes et les experts de la santé sont associés dans ce projet incubé par l’entreprise. À travers plusieurs étapes de sélection, les équipes candidates sont ainsi accompagnées et coachées avec l’opportunité de pouvoir développer leur idée, grâce support du fonds d’investissement et d’accompagnement de start-up SAP.iO. Lors de la phase de validation, les équipes sont suivies par des mentors internes et par des sponsors, avant de bénéficier d’un programme de formation-accélération de six semaines à Palo Alto, en Californie. Ensuite, elles présentent leur projet à des investisseurs pour une levée de fonds et pourront le développer pendant 18 à 24 mois, jusqu’à la viabilité attendue. Bref, tous les principes de la start-up sont réunis mais avec moins de risques : le salarié conserve son poste, même s’il ne franchit pas toutes les étapes… Le droit à l’erreur en quelque sorte réhabilité.

Olivier Marchal Président de Bain & Company
« Modifier la culture d’un grand groupe sous l’influence des start-up est parfois une illusion »

D’après une étude publiée par Bain & Company1, 100 % des grandes entreprises collaborent aujourd’hui avec des jeunes entreprises, sous une forme ou sous une autre, de la relation commerciale au mentoring. Cependant, derrière la communication sur les rapprochements avec les start-up censés « favoriser la créativité », en quoi ces liens influent-ils sur les processus de changement dans les grandes entreprises ? « Les avantages de la collaboration avec des jeunes entreprises sont de e plus en plus partagés, notamment grâce à une forte mobilisation du top management : un tiers des grandes entreprises considèrent que les collaborations avec des start-up sont cruciales pour la transformation de leur entreprise », estiment les auteurs de l’étude. « Cruciales », mais pas encore effectives pour tous. En effet, « le niveau de mobilisation des équipes opérationnelles reste limité. Moins de 20 % des salariés sont sensibilisés aux collaborations avec les start-up », modèrent-ils. « Du côté des grandes entreprises, travailler avec une jeune structure offre de nombreux avantages, estime Olivier Marchal, président de Bain & Company, notamment celui d’acculturer les collaborateurs à de nouvelles méthodes de travail, de faire bouger les lignes en interne et de provoquer l’innovation au sein de l’organisation. Mais, pour le moment, on ne peut pas parler de modification virale… Dans beaucoup de cas, on se fait des illusions en pensant que cela va changer tout à coup la culture du groupe. Intégrer deux ou trois start-up et bien gérer leur incubation en déployant ce travail en interne peut inoculer des virus favorables. Mais développer de nouveaux modes de fonctionnement, une nouvelle culture de l’innovation, des capacités de créativité qui concernent toute l’entreprise doit se préparer, se gérer sur le plus long terme. » La jeunesse de ces rapprochements peut expliquer, en partie, cette influence encore embryonnaire. « Les grandes entreprises se mobilisent déjà sur ce sujet en interne, avec la moitié des entreprises du Cac 40 qui ont mis en place des programmes d’intrapreneuriat. Toutefois, ces initiatives sont encore jeunes, car environ 63 % datent de moins de trois ans, et la maturité des grands groupes sur le sujet varie. »

(1) « David avec Goliath, L’alliance des jeunes et des grandes entreprises », par le cabinet de conseil en stratégie et management Bain & Company (2018).

Auteur

  • Dominique Pérez