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La créativité, nouveau credo des entreprises

À la une | publié le : 01.03.2019 | Nathalie Tran

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La créativité, nouveau credo des entreprises

Crédit photo Nathalie Tran

Grandes ou petites, elles n’ont plus qu’une obsession : innover. Dans le contexte actuel de transformation, où le digital rebat sans cesse les cartes, être capable d’anticiper les évolutions du marché et les attentes de leurs salariés est de plus en plus vital pour les entreprises. Cette quête de créativité les amène aujourd’hui à revoir leurs modes de fonctionnement et à se tourner vers l’intelligence collective. Une façon, aussi, d’attirer les talents.

L’innovation est devenue le nerf de la guerre. Pour rester dans la course, les entreprises doivent désormais bousculer leurs vieilles habitudes, oublier la façon dont elles ont toujours procédé, réfléchir autrement… Bref, faire preuve de créativité, ingrédient indispensable à toute innovation. C’est ce que Mohammed Sijelmassi, chief technologie officer chez Sopra Steria, appelle « sortir de l’épure ». « Si vous prenez des gens ayant la même formation pour traiter un problème, ils vont tous arriver à peu près à la même solution. En revanche, si vous faites travailler ensemble des profils d’horizons divers, leurs prismes vont être différents et c’est ainsi que vous pourrez voir émerger de nouvelles idées. C’est en sortant d’un cadre standardisé que l’on élargit le champ des possibles », précise-t-il.

D’où l’engouement actuel pour le travail en mode projet, les hackathons, le design thinking basé sur la coconstruction, mais aussi pour l’intrapreneuriat. Toutes ces méthodes qui misent sur le potentiel créatif des collaborateurs ont aujourd’hui le vent en poupe. L’objectif : mobiliser l’intelligence collective pour libérer la créativité. Avec son programme Oz, innovation salariés, lancé en octobre 2017, Orange ambitionne de casser les silos, à la fois entre les directions et entre les pays, pour permettre à l’ensemble des collaborateurs du groupe d’interagir les uns avec les autres. Ce dispositif les invite à exprimer leurs idées en contribuant à l’amélioration continue pour gagner en efficacité et en agilité au quotidien, en résolvant des dysfonctionnements au plus près du terrain, en faisant des propositions sur un mur d’idées, en participant à des défis transverses entre entités ou entre métiers, ou encore en développant un projet d’innovation grâce à l’Intrapreneurs Studio, l’incubateur interne. « Il n’y a pas de grandes et de petites initiatives. Chacun est acteur de l’innovation, à tous les niveaux », précise Sophie Cléjan, directrice expérience salarié et responsable du programme.

D’ores et déjà, 1 751 idées ont été postées, 45 000 contributions ont été recensées, 48 défis ont été relevés, 150 idées sont en cours de déploiement, et sept projets sont incubés. « Les contributions explosent. Tout le monde se sent impliqué, constate Sophie Cléjan. Ces initiatives ont des impacts à la fois sur le business et sur les modes de travail qui, du coup, deviennent plus agiles et plus collaboratifs. Cela permet à chacun de nous de prendre la main et de s’engager dans l’action. »

Chez Bouygues Immobilier, sur une dizaine de projets accompagnés chaque année dans le cadre du programme d’intrapreneuriat Digital Makers, une moitié concourt à l’amélioration des process internes et du bien-être au travail, l’autre moitié à booster l’activité. C’est grâce à ce programme, par exemple, qu’est né Nextdoor, l’un des concepts phares du groupe immobilier, un espace collaboratif imaginé par des salariés pour répondre aux nouvelles attentes des entreprises. C’est également de cette façon que certaines marques du promoteur immobilier ont vu le jour, dont Owwi, une offre de logements modulables, créée par un commercial du groupe.

Accélération technologique

Ce regain d’intérêt pour la créativité n’est pas nouveau. Cela fait une trentaine d’années que Cegos a introduit des formations à la créativité dans son catalogue. « À l’époque des premières ruptures liées à l’arrivée d’Internet, les organisations ont compris que l’innovation, traditionnellement portée par les départements R&D et/ou marketing, devait être gérée comme une activité beaucoup plus transverse », se souvient Emmanuel Chenevier, responsable de l’offre « projets et innovation ». Mais ce qui a changé, et ce qui amène les sociétés à revoir leur modèle, c’est l’accélération effrénée de la technologie depuis deux ou trois ans. Dans ce contexte où comme le souligne Laure Bertrand, directrice soft skills et services pédagogiques transversaux du pôle universitaire Léonard de Vinci, « la seule certitude est l’incertitude », être créatif est devenu une question de survie au sein des entreprises. « Le digital a transformé profondément notre chaîne de valeurs et notre activité. Les attentes de nos clients, mais aussi celles de nos collaborateurs, changent. Il est indispensable de se réinventer en permanence pour coller à leurs besoins et pour se démarquer de la concurrence, sinon on meurt », témoigne Nathalie Watine, directrice générale transformation digitale et ressources humaines chez Bouygues Immobilier.

Tout l’enjeu est d’arriver à insuffler cette culture disruptive au sein de l’organisation. Pour ce faire, les entreprises s’appuient sur différents leviers. À commencer par la création d’un cadre de travail inspirant, connecté, qui permette de concilier efficacité et bien-être. « Il est difficile d’être créatif dans un environnement qui n’est pas habitué à l’être », remarque Jérémy Lamri, cofondateur du LabHR. Pour stimuler la création et l’innovation, Bouygues Immobilier a déjà réaménagé plusieurs de ses sites. Partout, l’open space a cédé la place au flex-office afin de favoriser l’échange et la transversalité. Fini, les bureaux attitrés. Chaque collaborateur choisit son espace de travail selon ses besoins, au fil de la journée : salles de réunion, espaces de convivialité, lieux de créativité, bibliothèque, bulles de confidentialité, salles de visioconférence… « L’espace de travail a grandement concouru à libérer l’énergie et la créativité », reconnaît Nathalie Watine.

En réinventant ses locaux, c’est aussi le fondement de son organisation que le promoteur immobilier remet en question. Vouloir être innovant requiert un certain lâcher prise. Cela demande pour l’entreprise de passer d’une culture du contrôle à une culture basée sur la confiance, d’encourager le travail collectif, de développer l’empowerment, de valoriser la contribution de chacun, et de donner aux salariés le temps et les moyens d’être créatifs. Car, comme l’indique l’étude Steelcase/Harris Interactive, publiée en septembre 2018, les processus organisationnels (36 %) et la charge de travail (40 %) sont les principaux freins à la créativité pointés du doigt par les salariés français. Viennent ensuite les technologies dépassées et la configuration de l’espace.

Impossible de réussir ce basculement de culture sans changer de posture managériale. Or, un long chemin reste encore à parcourir… Selon la dernière enquête réalisée par l’Observatoire de la créativité en 2018, seulement un tiers des salariés (36 %) interrogés estiment que leur entreprise possède une culture managériale « délégative » permettant l’expression de la créativité. Pourtant, les deux tiers des sociétés françaises se sont mises en mouvement pour intégrer la créativité dans leur fonctionnement, toujours selon cette enquête, et elles ont déjà fait évoluer leur organisation pour la rendre plus agile. Elles sont, par ailleurs, 22 % à avoir complètement transformé leur organisation et l’aménagement de leurs locaux, mais aussi à avoir développé de manière volontariste des actions pour inciter au déploiement de la créativité et pour rechercher des talents eux-mêmes porteurs de valeurs disruptives.

L’innovation a un prix

« La créativité ne peut naître que s’il existe un certain niveau de bien-être dans l’entreprise, c’est un postulat de base. Ensuite, il doit y avoir une impulsion de la direction générale pour promouvoir les idées, créer des espaces d’idéation, accompagner les collaborateurs et accorder des moyens. Il faut aussi que la vision de l’entreprise soit claire afin que les idées des salariés puissent être en lien avec ses ambitions », résume Nicolas Récapet, directeur de l’organisation et des ressources humaines de Talan, société de conseil et transformation des entreprises. Toutefois, si la créativité doit être mise au cœur des process de l’entreprise, elle va aussi de pair avec une acceptation de l’échec et du droit à l’erreur. Seuls ceux qui n’ont jamais rien tenté n’ont jamais échoué, rappelle Philippe Burger, associé responsable capital humain chez Deloitte. « James Dyson est parvenu à mettre au point son aspirateur sans sac au bout de cinq ans et après 5 127 prototypes. Cela implique beaucoup de test & learn et de résilience. L’innovation résulte avant tout de contraintes (budget, moyens à disposition, temps…) qui sont imposées aux équipes », raconte-t-il.

L’innovation a, en effet, un prix. Se donner le droit à l’erreur, accepter l’idée d’arrêter un projet au bout de trois mois lorsque l’on s’aperçoit qu’il n’est pas bon, c’est, selon Mohammed Sijelmassi, de Sopra Steria, ce qui caractérise et différencie les entreprises innovantes. « La créativité est plus un état d’esprit qu’une organisation », dit-il. Car être créatif, c’est faire preuve d’esprit critique, c’est prendre des risques et se mettre en danger. « L’entreprise doit développer une atmosphère sécurisante pour permettre aux salariés d’oser proposer des idées nouvelles. Cela suppose de travailler sur la bienveillance », souligne Jérémy Lamri.

Si, du côté de l’entreprise, le développement d’une culture de la créativité et de l’innovation présente des avantages, il répond aussi à une demande de plus en plus forte des collaborateurs et il permet de booster la marque employeur. C’est pour partie à sa capacité à recruter et à fidéliser ses salariés sur un marché extrêmement tendu, alors que la moyenne d’âge de la société est relativement jeune et potentiellement plus volatile, que Talan mesure les bénéfices de sa démarche. Et notamment de ses actions d’intrapreneuriat. « Nos collaborateurs restent plusieurs années pour monter leurs projets, c’est un élément fort de rétention. Cela développe un sentiment de fierté et cela permet une appropriation de l’entreprise par les collaborateurs », affirme Nicolas Récapet.

Dans l’étude 2018 Steelcase/Harris Interactive, plus d’un salarié français sur deux (55 %) expriment l’envie d’être plus créatif dans leur travail et d’avoir davantage d’occasions de l’être. Cette tendance est portée par l’arrivée des plus jeunes dans la vie professionnelle, dont les attentes sont beaucoup plus élevées que celles de leurs aînés : parmi les générations Y et Z, 60 % des sondés aimeraient mieux mettre à profit leur créativité. D’autant que beaucoup ont été formés aux méthodes agiles. Certaines écoles veillent, d’ailleurs, à les familiariser avec le processus créatif pour les préparer à anticiper les changements. C’est le cas, par exemple, du pôle Léonard de Vinci qui propose en deuxième année des sessions communes aux étudiants de ses trois cursus (management, ingénieurs, Internet et multimédia). « L’objectif est de développer leur capacité à établir des liens entre des choses inattendues et à trouver des solutions inédites, pour en faire une habitude et ne pas reproduire indéfiniment les choses du passé, ainsi que de leur apporter une solidité émotionnelle dans un monde qui bouge », insiste Laure Bertrand, la directrice soft skills. Cette capacité à penser différemment est aussi un véritable atout sur le marché de l’emploi. Si l’on se réfère au dernier sondage réalisé par le World Economic Forum auprès des grandes entreprises, la créativité arrive à présent en troisième position parmi les dix top skills attendus en 2020 !

Auteur

  • Nathalie Tran