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Vie des entreprises

RTL devant Europe 1… à l'audimat des ressources humaines

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.03.2001 | Marc Landré

Même si le leadership de RTL sur les ondes est ébranlé, la station de la rue Bayard peut en remontrer à ses rivales sur le plan social. Particulièrement à Europe 1, distancée sur les salaires, les avantages et le dialogue social. Mais l'entrée en force de l'allemand Bertelsmann inquiète les salariés de RTL.

« Une question de madame Paire, de Loches ! » Lancée par un Philippe Bouvard au meilleur de sa forme, la plaisanterie fonctionne toujours aussi bien auprès des auditeurs de cette institution radiophonique. Depuis le 26 février, l'animateur vedette de RTL est de retour aux commandes des « Grosses Têtes ». Exit Christophe Dechavanne, à qui l'émission phare (qui fêtera ses 25 ans le 1er avril) de la station avait été confiée en septembre pour rajeunir un auditoire vieillissant. Mais 2 millions d'auditeurs et 4 points d'audience de moins en un an ont convaincu la nouvelle direction de rappeler à la rescousse l'animateur septuagénaire qui avait trouvé refuge sur… Europe 1.

La guerre qui oppose les deux radios remonte à 1955, lorsque Sylvain Floirat, le patron fondateur de Matra, crée Europe 1 pour concurrencer Radio Luxembourg. Au coude à coude pendant plus d'un quart de siècle, le décrochage d'Europe 1 sur RTL survient à la libéralisation des ondes, en 1982. La station de la rue François-Ier ne trouve son salut qu'avec l'arrivée en juillet 1996 à la tête des programmes de Jérôme Bellay, créateur de France Info et de LCI. La station du 22, rue Bayard résiste et joue la continuité avec son concept de « radio généraliste et populaire », fondée sur l'information, les jeux et le divertissement. Jusqu'à ce que le départ, en mars 2000, du « président Rigaud », directeur général de la station depuis 1979, et le retrait volontaire de Philippe Labro grippent la belle mécanique.

Talonnée par France Info, RTL reste malgré tout leader en termes d'audience et conserve une bonne longueur d'avance sur Europe 1. C'est également vrai pour la gestion des ressources humaines. « C'est une entreprise où il fait bon travailler », explique Bernard Poirette, 42 ans, présentateur des journaux du matin le week-end, dont l'idylle avec la station luxembourgeoise débute en 1982. Selon lui, la meilleure preuve de ce sentiment de bien-être, c'est la fidélité du personnel : « Ils sont nombreux à être dans la maison depuis plus de vingt ans. » Sur quelque 350 salariés, un gros tiers des effectifs (contre 17,5 % à Europe 1) affiche en effet plus de vingt ans d'ancienneté au compteur.

300 000 francs pour Bellay ?

Question turnover, la station de Jérôme Bellay ne tient pas la comparaison. Il faut dire que le nouveau patron de la radio du groupe Lagardère a fait le ménage quand, en 1996, il a posé ses valises au 26 bis, rue François-Ier. Il l'a si bien fait que 43 % des salariés ont aujourd'hui moins de cinq ans d'ancienneté (contre 21 % à RTL).

Si les salariés se sentent si bien à RTL, c'est que la direction les chouchoute et les dissuade de partir. Notamment en leur distribuant de confortables rémunérations. Avec ses dix-sept ans d'ancienneté et son statut de rédacteur en chef adjoint, Bernard Poirette touche ainsi près de 38 000 francs brut par mois et il a, cette année, bénéficié de 1 800 francs d'augmentation individuelle. Pas vraiment de quoi se plaindre ! À titre de comparaison, Olivier Samain, grand reporter à Europe 1 depuis 1982 dans l'entreprise, gagne 28 000 francs brut par mois. C'est clair, RTL rétribue mieux ses collaborateurs. La différence entre les salaires moyens des deux stations est de près de 4000 francs (26 700 pour RTL, contre 23 000 pour Europe 1).

Avantage à Europe 1, en revanche, pour les rémunérations des cadres dirigeants. Et notamment des têtes pensantes de la rédaction. On murmure ainsi que Jérôme Bellay, qui cumule aujourd'hui les fonctions de directeur de l'antenne et de directeur de la rédaction, gagnerait plus de 300 000 francs par mois, une rémunération digne d'un P-DG d'une grosse entreprise du privé. Et, peu ou prou, trois fois plus qu'Olivier Mazerolle, le directeur de l'information de RTL, malgré ses vingt-deux ans d'ancienneté.

En matière de politique salariale, les deux sociétés n'ont pas du tout la même religion. La direction de RTL et les syndicats ont signé pour 2001 un accord prévoyant une hausse générale de 2 % en janvier, puis de 1 % en septembre, cette dernière destinée aux seules rémunérations inférieures à 21000 francs. Cette augmentation intervient après le versement, l'année dernière, d'une prime exceptionnelle (pour le passage à l'an 2000) de 13 000 francs et un coup de pouce salarial, 35 heures obligent, limité à 1 %. Pour Dominique Pennequin, délégué SNJ de la rédaction de la rue Bayard, la forte baisse d'audience de la station a pesé lourd dans les négociations salariales. « Il est fort probable que la direction ait lâché plus que prévu pour mieux nous faire passer la pilule de la chute dans les sondages », avance-t-il.

Rien de tel à Europe 1 où les salariés ont eu droit en 2000 à leur première augmentation collective (1 % en janvier, puis 1 % en décembre), après plus de deux ans et demi de gel des rémunérations. Quid pour 2001 ? Rien n'est encore programmé. Mais les représentants du personnel ont déjà prévu – et prévenu – qu'ils reviendront prochainement à la charge, compte tenu des chiffres d'audience en hausse.

Des rémunérations généreuses et de substantielles augmentations ne suffisent pas, à elles seules, à expliquer la fidélité du personnel de RTL. « Notre politique de ressources humaines a toujours été empreinte d'un certain paternalisme », explique Dominique Pennequin. Même son de cloche du côté de la CFE-CGC. « La direction s'est depuis longtemps fixé comme règle de faire mieux que la loi en matière sociale », rappelle André Torrent, secrétaire du CE de RTL France. Résultat, la liste des avantages matériels distribués aux salariés est impressionnante : 13e mois, prime de vacances de 15 000 francs en juin (auxquels s'ajoutent 1 000 francs par enfant), primes d'intéressement et de participation qui, cumulées, avoisinent les 15 000 francs, plan d'épargne d'entreprise (souscrit par 90 % des salariés) que la radio abonde jusqu'à un plafond de 15 000 francs, retraite complémentaire par capitalisation (un prélèvement mensuel de 1,8 % sur le salaire, abondé pour 0,2 % par l'entreprise) qui rapporte 5 % l'an, prime de 10 % (du dernier salaire) au bout de trente ans de maison… Bref, un « inventaire à la Prévert » qui ferait pâlir de jalousie n'importe quel salarié d'Europe 1.

Un discours et une montre

Car, Rue François-Ier, comparé à RTL, on est loin du compte. Hormis le versement d'un 13e mois, d'une prime de vacances en juin qui atteint gracieusement 2 500 francs et d'une prime de rentrée de 6 000 francs payée en octobre, les employés ont peu de chose à se mettre sous la dent. L'intéressement ? La question est vite réglée, il n'y en a pas. La participation ? Nulle depuis 1996 pour cause de redressement, même si la direction a donné « le signal fort de son grand retour » en 2001. Les salariés bénéficient toutefois d'un plan d'épargne groupe (très suivi) qui leur a permis d'acquérir en 2000 des actions Lagardère avec une décote de 20 %.

« Il n'y a aucune politique sociale à Europe 1, commente, sévère, un ancien de la station officiant aujourd'hui dans le service public. C'est l'archaïsme absolu comparé à RTL et pour des métiers où l'on demande aux gens de ne pas compter leurs heures de travail. La seule manifestation d'appartenance à la grande famille d'Europe 1 se résume à un beau discours et une montre offerte au bout de vingt ans de maison. » Et les minces « avantages » existants, seuls les salariés dont l'ancienneté est supérieure à quatre ans y ont encore droit. La nouvelle convention d'entreprise, entérinée par la direction et les syndicats en avril 1997, réserve en effet aux seuls « anciens » de la station le maintien des primes distribuées, via un avenant individuel à leur contrat de travail.

Le dialogue social s'en ressent. Car, dans ce domaine, RTL peut également donner des leçons à Europe 1. « Jérôme Bellay se méfie énormément des syndicats, avance un journaliste. Il croit qu'ils sont contre lui et qu'ils cherchent à tout prix à le piéger. » Confirmation de cet ancien collaborateur du directeur de l'antenne : « Il est persuadé qu'ils sont néfastes à la bonne marche de l'entreprise. » À RTL, rien de tel. De l'avis unanime, les relations entre la direction et les syndicats sont plutôt constructives. « La plupart des problèmes se règlent au téléphone ou lors de rencontres informelles dans les couloirs, avance Dominique Pennequin. Il y a une vraie volonté de travailler ensemble, de trouver des consensus et une réelle reconnaissance de l'utilité des syndicats. » Les relations sont si bonnes que la Fédération FO de l'audiovisuel prévoit même de faire adouber son prochain délégué syndical par le DRH, François Mancy. « Je ne suis pas là pour lui coller un emmerdeur dans les pattes », plaide Bertrand Blanc, son secrétaire général.

Ce qui n'empêche cependant pas les syndicats de lancer des pétitions ou de déposer un préavis de grève lorsqu'ils le jugent nécessaire. Comme en 1998 pour exiger un référendum afin de valider le plan de retraite complémentaire concocté par la direction. À Europe 1, pas question de pétition ou de vote. « Les gens sont tellement carriéristes et individualistes que les seules pétitions qu'ils acceptent de signer sont celles en faveur de la direction », explique un ancien de la rédaction. Comme en 1997 où, à la suite d'un article paru dans Libération sur les méthodes musclées de management de Jérôme Bellay, une pétition de soutien au directeur de l'antenne a circulé.

Il n'y a finalement que sur la réduction du temps de travail qu'Europe 1 soutient la comparaison avec sa consœur luxembourgeoise. RTL a signé son accord le 20 janvier 2000, « après seulement six mois de négociation, vacances comprises », comme se plaît à le dire Dominique Pennequin. Les journalistes ont, au final, obtenu 14 jours de RTT et non 8, comme la direction le proposait au début des discussions. Pour les techniciens, qui représentent les deux tiers des effectifs, la semaine de travail a été ramenée à 37 heures et le nombre de jours de RTT fixé à huit. En contrepartie, la direction s'est engagée à procéder à 14 embauches, dont 10 à la rédaction.

Rue François-Ier, l'accouchement de l'accord sur les 35 heures s'est fait au forceps le 22 décembre 2000, après quatorze mois de négociation. Grande première, les syndicats, d'habitude si timorés face à la direction, se sont présentés unis et solidaires. « Les 35 heures n'étaient pas dans la culture de la direction, avance Olivier Samain, qui a monté pour l'occasion une section SNJ afin que les journalistes, jusqu'alors non représentés dans la station, puissent peser dans la négociation. Nous devions nous serrer les coudes pour obtenir à chaque fois un peu plus. » En fin de parcours, la rédaction a arraché 13 jours de RTT alors que la direction en offrait modestement 2 au départ. Quant aux services techniques, ils ont obtenu la semaine de 37 heures comme à RTL, mais 11 jours de RTT, contre une proposition initiale de 5 journées de 7 heures (soit une réduction journalière du temps de travail).

En guise de compensation, la direction s'est engagée à créer au moins 11 emplois d'ici au 30 septembre, estimant avoir déjà anticipé 24 embauches lors de la mise en place de sa dernière grille des programmes. « Le défi est aujourd'hui de faire vivre cet accord, martèle Olivier Samain. Les salariés ne doivent pas se laisser intimider par leur chef de service quand ils demandent à prendre des jours de RTT. Il ne faudrait pas qu'ils soient jugés sur le nombre de jours de RTT pris et se voient ainsi écartés de toute promotion. »

Une vraie radio de journalistes

De là à croire que l'ambiance est morose à Europe 1… « Nous avons souffert après l'arrivée de Jérôme Bellay, mais son travail commence à payer, explique un journaliste. Il nous a permis de remonter l'audience, nous a redonné une âme, une logique d'antenne et une identité. La rédaction lui en est aujourd'hui reconnaissante. » Et cet autre salarié de renchérir : « C'est une radio de journalistes faite par des journalistes. On n'achète plus l'auditeur avec des jeux. S'il se branche sur notre fréquence, ce n'est plus par appât du gain mais pour l'information et rien que pour elle. » Même ses plus féroces détracteurs le reconnaissent : si Europe 1 renoue avec le succès, c'est grâce à Jérôme Bellay. « Un patron est jugé sur ses résultats, et là, incontestablement, ça marche », reconnaît l'un d'entre eux.

Mais cette forte personnalité a ses revers. Certes, soulignent d'aucuns, il est naturel d'être critiqué quand on cumule des fonctions aussi exposées que celles de directeur de l'antenne (le choix de la grille des programmes) et de directeur de la rédaction (la coordination du travail des journalistes). De fait, beaucoup ont la dent dure : « Dès que vous n'êtes pas d'accord avec lui, vous êtes contre lui », déclarent nombre d'anciens, qui affirment avoir été poussés à la démission. « À Europe 1, il n'y a qu'un seul chef, lui, qui supprime toutes les têtes qui dépassent », renchérit un journaliste. « Il n'est pas anormal qu'un directeur d'antenne se débarrasse de ceux qui sont à l'origine de l'échec de la station dont il prend le contrôle », défend un de ses proches. « Sa force a été de placer dès son arrivée des collaborateurs fidèles et pas forcément compétents aux postes clés de la station afin de lui rendre compte de tout ce qui pouvait être dit sur son compte en interne », ajoute un dernier, toujours sous le couvert de l'anonymat. Seule certitude, le directeur de l'antenne est craint, y compris parmi les représentants du personnel. « Les gens ont peur de lui parce qu'il dit ce qu'il pense, explique Marc Tronchot, le directeur adjoint de la rédaction. Il circule beaucoup de fantasmes à son sujet, mais il n'est pas aussi terrible qu'on le décrit. » Il faut croire que la fonction attire les reproches car, Rue Bayard, Olivier Mazerolle est aussi critiqué sur son style de management un peu rude et le choix de son entourage.

« Obsédé par la calculette »

Mais, à RTL, ce qui inquiète les salariés, ce sont moins les dérives autocrates de tel ou tel supérieur que de savoir de quoi l'avenir sera fait, alors que l'audience dégringole et que la direction de la station vient d'être reprise en main par les actionnaires. « Ce sont des financiers et pas des enfants de chœur, avance un journaliste. Ils veulent de la rentabilité et ne se contentent plus de la première place sur l'échiquier radiophonique, surtout quand elle est mise à mal. » Pour preuve, selon eux, la nomination comme directeur général de Robin Leproux (en provenance du directoire de M6), que l'on dit, en bon proctérien, « obsédé par la calculette », et l'apparition depuis peu dans les couloirs de la station de contrôleurs de gestion chargés d'auditer les comptes. Une première pour RTL, mais un grand classique pour Europe 1.

La forte montée en puissance de Bertelsmann dans le capital de RTL Group le 5 février dernier rajoute encore à l'inquiétude ambiante. D'autant que le groupe de communication allemand a annoncé son intention prochaine de s'introduire en Bourse. Une évolution capitalistique qui risque de chambouler la gestion paternaliste de la station et qui fait craindre aux salariés la remise en cause de leurs avantages. Voire pire. « Il est hors de question que nous payions pour les erreurs de gestion et de communication de la direction », préviennent les représentants du personnel. « L'avenir est tellement incertain qu'on ne sait pas si l'on ne sera pas obligé d'envisager dans les six mois à venir un plan social », s'inquiète presque ouvertement le DRH, François Mancy. Reste à espérer que Philippe Bouvard parvienne à faire revenir les 2 millions d'auditeurs égarés depuis un an. Prochain sondage, que l'on annonce déjà mauvais Rue Bayard, le 15 avril.

Qui négocie avec les syndicats ?

Si Jérôme Bellay chapeaute ses troupes d'une main de fer, il laisse en revanche toute liberté à Jean-Michel Garrigues, le DRH du groupe Europe 1 Communication (lequel n'a pas souhaité nous recevoir), pour mener les négociations sur le plan social. « C'est un patron qui délègue énormément quand il a confiance », reconnaît un ancien proche collaborateur de LCI. « Il est préférable qu'il laisse cette responsabilité à d'autres, ironise un journaliste de la station. Il est si peu diplomate qu'il se mettrait tous les syndicats à dos à l'issue du premier round de négociations. » Cas d'école récent à Europe 1 : les 35 heures. « Même s'il a toujours dit qu'il appliquerait la loi, Jérôme Bellay était contre une réduction imposée du temps de travail, avance un syndicaliste. Il a donc laissé le DRH faire joujou avec les représentants du personnel tout en affichant clairement ce qu'il pensait. » À RTL, l'approche était, jusqu'à il y a peu, beaucoup plus paternaliste. François Mancy, le DRH, n'est aucunement le maître du social. « Il a un rôle de conseiller technique et intervient lors des négociations pour répondre aux questions des salariés ou faire des rapports d'étape, souligne Dominique Pennequin. C'est un exécutant, pas un décisionnaire. » Ceux qui négocient Rue Bayard, c'est le top management. Pendant près de vingt ans, ce rôle incombait au « président Rigaud », comme on l'appelle en interne avec nostalgie, et à sa directrice déléguée chargée des relations sociales, Anne Coutard. Mais, depuis un an, l'état-major a changé deux fois et c'est Jean-Michel Kerdraon, le directeur administratif et financier, qui a repris le flambeau et mené les négociations salariales pour 2001. « On avait un peu peur d'entamer les discussions vu que c'est avant tout un financier, avance Dominique Pennequin. Mais tout s'est bien passé. »

Pourvu que ça dure !

Auteur

  • Marc Landré