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Vie des entreprises

Évolution substantielle des clauses de mobilité géographique

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.03.2001 | JEAN-EMMANUEL RAY

Une clause de mobilité peut avoir des effets dévastateurs sur la vie d'un salarié, tout en étant considérée comme un simple changement des conditions de travail qu'il ne peut refuser sous peine de licenciement. D'où un contrôle sourcilleux de la Cour de cassation sur sa mise en œuvre.

En attendant que l'entreprise virtuelle ne devienne réalité pour quelques happy few, le lieu de travail reste un élément essentiel de la vie quotidienne du salarié.

À notre époque de restructuration permanente du capital, l'importance d'une clause de mobilité, qui transforme une énorme modification du contrat en petit changement des conditions de travail (Cass. soc., 14 juin 2000), ne pouvant être refusée sous peine de licenciement pour faute n'est plus à démontrer.

Source de la clause de mobilité

En l'absence de toute clause dans le contrat mais en présence d'une stipulation conventionnelle, s'agit-il par défaut d'une clause contractuelle plus favorable au sens de l'article L. 135-2 du Code du travail ?

Si dès l'embauche la convention collective qui en prévoyait une (sans relais contractuel) a été remise au salarié, elle s'applique sans possibilité de refus : effet impératif et automatique des conventions collectives, même très new-look que sont les accords donnant-donnant.

Mais si un accord d'entreprise signé postérieurement à l'embauche en prévoit désormais une ? « Un contrat dépourvu de clause de non-concurrence ne pouvait être modifié par un accord d'établissement » : l'arrêt du 17 octobre 2000 peut être transposé, et semble équitable car le salarié ne pouvait pas savoir, ni a fortiori réclamer dès l'origine une clause… de non-mobilité future. Mais cet arrêt rend les conventions de moins en moins collectives, voire optionnelles puisque les salariés anciens peuvent accepter ou refuser son application. Comme la signature de ce type de sujétion s'obtient rarement sans contrepartie patronale, ces refuzniks pourront réclamer – et obtenir – les avantages consentis par ailleurs. Le beurre sans l'argent du beurre.

Abus de droit et détournement de pouvoir

Quels que soient les postes en cause, une entreprise inclut une clause de mobilité « France entière » : pour quoi faire ? Des esprits très mal tournés pourraient penser que cette insertion disproportionnée au but recherché a pour but de contourner le très complexe droit du licenciement. S'agissant d'un délégué, la manœuvre est souvent inefficace : la mise en œuvre d'une clause de mobilité de Paris à Varsovie portant atteinte à l'exercice normal des mandats en France, ce seul refus ne constitue pas une faute d'une gravité suffisante (CE, 29 décembre 2000).

S'agissant de salariés non protégés, l'évitement semble habile. En matière de licenciement économique, exit la jurisprudence Framatome comme le plan social en amont puisque la mutation ne peut plus s'analyser en une modification du contrat. Mais surtout en cas de licenciement personnel car une mobilité habilement positionnée dans l'espace (Cass. soc., 18 octobre 2000 : « révélait l'intention de se séparer de la salariée ») entraînera un refus, qui lui-même constitue une faute permettant la rupture.

Bref, la banalisation des clauses de mobilité donne parfois l'impression de vouloir préconstituer une faute réelle et sérieuse de ce qui sera présenté comme un auto-licenciement (« Je sais Hubert, Lille c'est loin de Lyon, et à ta place et à notre âge j'aurais également refusé »). D'où une surveillance accrue de la Cour de cassation sur la mise en œuvre de cette clause licite, mais parfois à la frontière de la clause potestative (« Partout où l'entreprise est implantée ») comme de l'article L. 120-2. Comme d'habitude, le raidissement jurisprudentiel dont « bénéficient » aujourd'hui toutes les entreprises est parti d'une caricature : la mutation d'un ouvrier dont la femme était enceinte de sept mois de Paris à Tourcoing, par télégramme du 4 février 1994 avec effet trois jours après : manquement à l'obligation de bonne foi et abus de droit (Cass. soc., 18 mai 1999).

Même motif, même sanction le 10 janvier 2001 à propos d'un employeur demandant à une salariée de travailler à l'autre bout de la ville à 5 heures du matin, donc en l'absence de transport en commun : « Bien que le contrat ait comporté une clause de mobilité, à défaut de lui assurer les moyens de se rendre sur son nouveau lieu de travail, l'employeur avait abusé de son pouvoir de direction. » Récidive le 6 février 2001 : « En mettant en œuvre la clause de mobilité alors qu'il savait que la salariée était mère d'un enfant handicapé moteur dont elle devait s'occuper à l'heure du déjeuner et que le poste occupé antérieurement par elle était libre, l'employeur a agi avec légèreté blâmable. »

Les conséquences parfois dévastatrices d'une mobilité même programmée n'ont donc pas échappé à des magistrats (inamovibles) soucieux de protéger la vie professionnelle. Cette évolution se retrouve en matière de modification des horaires de travail (Cass. soc., 17 octobre 2000), où la chambre sociale semble s'acheminer vers une bien moindre sévérité sinon une grande compassion.

FLASH

Expatriation : aller.

Les frais de voyage d'un cadre expatrié constituent « des charges de caractère spécial inhérentes à l'emploi du salarié concerné, quand bien même leur prise en charge par l'employeur a bénéficié à la fois au salarié et aux membres de sa famille ». Au-delà de l'aspect juridique, l'arrêt du 1er février 2001 rappelait à l'Urssaf qu'il convient de ne pas entraver la mobilité internationale des cadres français.

Expatriation : retour.

Après vingt-deux ans à l'étranger, un salarié demande à revenir en France en vertu de l'article 9 de la CCN des cadres de la métallurgie (« Réinsertion dans un établissement de métropole »). Affecté à Montargis, il doit se rendre au moins quatre jours par semaine en Belgique et aux Pays-Bas : refus, licenciement pour faute lourde. Jugé fautif car « le salarié n'avait pas été réinséré dans un établissement en France » (Cass. soc., 6 février 2001).

Ticket-retour. Dans le cadre de l'obligation de mobilité-reclassement liée à un plan social, une entreprise indique qu'elle acceptera de reprendre le salarié dans l'établissement initial s'il en fait la demande dans un certain délai. Cet engagement unilatéral la lie dans le temps considéré, même s'il se révèle excessivement lourd à gérer six mois après (Cass. soc., 18 décembre 2000).

Auteur

  • JEAN-EMMANUEL RAY