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Repères

La refondation sera difficile sans l'État

Repères | Assurance maladie | publié le : 01.03.2001 | Denis Boissard

La course d'obstacles se poursuit entre patronat et syndicats. Après avoir franchi – plutôt lourdement – la haie de l'assurance chômage, puis celle des retraites complémentaires, les partenaires sociaux se préparent à escalader un sacré talus : l'assurance maladie. L'état des lieux n'est pas brillant. Depuis trois ans, les dépenses font du dérapage non contrôlé. Le plafond voté chaque année par le Parlement est systématiquement enfoncé : de près de 10 milliards en 1998, de 11 milliards en 1999 et de quelque 18 milliards l'an dernier. Rien d'alarmant tant que les cotisations rentrent à flots et que les excédents des autres branches permettent de colmater les déficits de l'assurance maladie. Mais le moindre retournement de conjoncture conduira inévitablement à administrer aux assurés une mixture bien connue, combinant hausse des cotisations et déremboursements.

Bref, l'assurance maladie est à la dérive.

L'explication en est simple : notre système de soins est peu, ou mal, régulé. Conséquence : son rapport qualité-prix est exécrable. En consacrant près de 10 % du PIB à la santé, l'Hexagone caracole au quatrième rang mondial des pays les plus dépensiers, derrière les États-Unis, l'Allemagne et la Suisse. Avec, à l'arrivée, des résultats sanitaires qui ne sont pas meilleurs que ceux des pays européens plus économes et un niveau de couverture médiocre, les dépenses de soins n'étant prises en charge qu'à hauteur de 74 %.

Notre système souffre de plusieurs maux.

Tout d'abord d'une carence de discours politique fort et invariable sur la nécessité de maîtriser les dépenses. Martine Aubry a ainsi soufflé alternativement le chaud, en se démarquant ostensiblement de l'approche « comptable » de l'ère Juppé, puis le froid, au premier dérapage venu, en croisant le fer avec les médecins. Depuis, Élisabeth Guigou s'efforce de raccommoder les morceaux, quitte à temporiser sur les mesures de redressement. Autre anomalie : la dilution des responsabilités entre l'État et les partenaires sociaux qui cogèrent l'assurance maladie. L'absence de clarification joue un rôle clé dans l'inertie du système et son pilotage à courte vue. Durant trois ans, Martine Aubry a multiplié les passes d'armes avec les gestionnaires de la Cnam : fin de non-recevoir en 1999 à leur « plan stratégique » portant sur 60 milliards d'économies, désaveu en 2000 de leurs mesures d'économies concernant les infirmières libérales… En dépit de la pauvreté des moyens du ministère, le pouvoir de l'avenue de Ségur ne cesse de se renforcer. Depuis un an, l'État assume, outre la tutelle des hôpitaux publics, celle des cliniques privées et du médicament. Ne reste à la Cnam que la politique conventionnelle avec les professions libérales de santé.

Il existe pourtant une alternative à cette étatisation rampante et globalement inefficace, qui consisterait, en s'inspirant des systèmes allemand et néerlandais, à confier aux caisses régionales un rôle d'acheteurs de soins auprès des médecins et des établissements hospitaliers. De son côté, l'État aurait la mission stratégique de fixer les priorités de santé publique, de définir le contenu du panier de soins remboursables, de faire respecter l'objectif annuel d'évolution des dépenses et de répartir équitablement l'offre de soins sur le territoire. Il reste aussi à construire les outils d'une maîtrise médicalisée des dépenses de santé : médecin référent (rémunéré à la capitation, c'est-à-dire au nombre de patients), développement des références médicales, certification périodique des professionnels de santé, tarification à la pathologie des hôpitaux et des cliniques, prise en charge des médicaments en fonction de leur seule utilité médicale, développement des génériques…

Le système actuel est en effet terriblement inflationniste.

Rémunérés à l'acte, les médecins libéraux jouissent d'un droit de tirage quasi-illimité, la Sécu remboursant consultations et ordonnances les yeux fermés. Les mécanismes de reversement d'honoraires prévus en cas de dérapage ayant été invalidés par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel, la Cnam ne dispose plus que de l'arme tarifaire, inefficace puisque les médecins peuvent la contourner en multipliant les actes médicaux. Les dépenses du secteur hospitalier sont, elles, contenues. Mais faute d'une restructuration de la carte hospitalière conduite avec suffisamment de détermination, l'enveloppe budgétaire est éparpillée dans un trop grand nombre de services et d'établissements et ce sont les hôpitaux les plus performants, donc les plus sollicités, qui se retrouvent asphyxiés. Début 2000, Martine Aubry a dû lâcher 10 milliards sur trois ans pour calmer la grogne du personnel hospitalier. Enfin, le contrôle des prix des médicaments ne permet pas d'enrayer l'envolée des dépenses pharmaceutiques, le poste qui a le plus dérapé l'an dernier.

Pour mener à bien ce vaste chantier, la refondation sociale risque, une fois encore, de manquer d'un acteur essentiel : l'État… Sauf à se contenter, comme sur les retraites, d'un accord qui prendrait la forme d'une liste de vœux pieux à l'adresse des pouvoirs publics.

Auteur

  • Denis Boissard