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Enquête

LES OUBLIÉS DE LA CROISSANCE

Enquête | publié le : 01.03.2001 | Valérie Devillechabrolle, Isabelle Moreau

L'emploi s'envole, le chômage se replie… Vive la croissance ! Mais tous n'en profitent pas. Hommes et femmes englués dans le chômage ou trop âgés, abonnés aux minima sociaux, exclus de l'école, titulaires d'un job mal payé, instable ou menacé, la liste des exclus de la reprise est inquiétante.

Cocorico ! Avec quelque 520 000 emplois salariés en plus et 419 000 chômeurs en moins, l'année 2000 s'est achevée en fanfare. Et la France se prend à croire dur comme fer au retour au plein-emploi des Trente Glorieuses. Une certitude, les demandeurs d'emploi ont profité de la reprise économique. Directeur général adjoint de l'ANPE, Alain Jecko jubile : « Nous arrivons même à changer la donne des jeunes et des chômeurs de longue durée, nos deux obsessions des années de crise ! » Autres motifs de satisfaction : « le risque de licenciement baisse, la fréquence du temps partiel contraint diminue, l'emploi précaire cesse d'augmenter et un marché du travail plus dynamique permet à de nombreux salariés de changer de poste », se félicite l'économiste Jean Pisani-Ferry, auteur d'un rapport remarqué sur le « plein-emploi ».

Difficile, dans l'euphorie ambiante, de jouer les Cassandre. Et pourtant, il n'y a pas que de bonnes nouvelles sur le front de l'emploi. La reprise n'a ainsi pas ralenti le rythme des destructions de postes, estimées à 10 % du total des emplois chaque année. Or cette hémorragie affecte de plein fouet les secteurs à faible valeur ajoutée comme le textile, c'est-à-dire les gros pourvoyeurs de jobs pour la main-d'œuvre non qualifiée. Autre ombre au tableau, le sous-emploi reste massif. Si le nombre de personnes à la recherche d'un emploi en CDI à temps plein a baissé d'un tiers en trois ans, les autres catégories de demandeurs d'emploi, à temps partiel ou à durée déterminée, sont en augmentation de plus de 50 %. « Autant que dans les quinze années précédentes », précise Pierre Concialdi, économiste à l'Ires. Quant aux 462 000 bénéficiaires de contrats aidés, si leur nombre diminue, c'est davantage en raison de restrictions budgétaires, qui ralentissent les flux d'entrée, que d'une accélération des sorties vers l'emploi.

Même bémol pour la décrue des chômeurs âgés : « S'il y a aujourd'hui moins d'entrées au chômage des plus de 50 ans, il n'y a pas beaucoup de sorties », reconnaît Bernard Ernst, directeur des études statistiques à l'Unedic. Quant au reflux du nombre de RMistes, amorcé au cours du deuxième semestre 2000, il ne concerne que les derniers entrants, les plus proches du marché du travail. Enfin, le stock des « bad jobs » à la française, favorisés dans les années 90 par les politiques d'emploi et d'indemnisation du chômage, n'est pas près de se résorber. « Il ne faut pas idéaliser la reprise dans nos secteurs », résume un syndicaliste des services, un secteur où ces travailleurs pauvres sont surreprésentés. Près d'un salarié à temps partiel sur deux souhaite encore travailler davantage. Quant aux chômeurs en activité réduite – ceux contraints par la modicité ou la précarité de leurs revenus à rester inscrits à l'ANPE – leur nombre a progressé de plus d'un quart en trois ans.

Pas de coup de baguette magique

Autrement dit, la route est encore longue pour bâtir la société d'emploi dont rêve Lionel Jospin. La piste de l'impôt négatif, reprise par le gouvernement sous la forme d'une « prime pour l'emploi », peut inciter les chômeurs à revenir sur le marché de l'emploi (le revenu du travail rapportant plus que l'inactivité) et compenser la modicité des bas salaires. Mais elle risque de dissuader les entreprises de payer de « bons salaires ». Et, surtout, cette mesure ne résoudra pas tout : les discriminations à l'embauche dont sont victimes les chômeurs âgés, le déficit de formation dont pâtissent bon nombre d'employés ou d'ouvriers, ou encore la perte de repères qui frappe beaucoup de RMistes ou de sans-abri, cassés par de longues années d'exclusion. Bref, le sort des personnes fragilisées par un quart de siècle de crise économique est loin d'être réglé. Et la croissance ne l'améliorera pas d'un coup de baguette magique.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Isabelle Moreau