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Enquête

ASSISTÉS FAUTE DE MIEUX

Enquête | publié le : 01.03.2001 | Isabelle Moreau

Ils pointent au chômage depuis des lustres, vivent du RMI, ils sont âgés, illettrés, désocialisés, ou n'ont jamais connu l'entreprise. Portraits de ces laissés-pour-compte du marché du travail qui n'attendent rien de la reprise.

Les premiers oubliés de la croissance sont les « rebuts » du marché du travail. Englués de longue date dans le chômage, abonnés aux minima sociaux, exclus du système éducatif, la plupart d'entre eux n'ont guère d'espoir, même aujourd'hui, de se voir ouvrir les portes de l'entreprise. Parce qu'ils sont désocialisés, illettrés, trop âgés, ou sans qualification. La reprise ne signifie pas grand-chose, par exemple, pour les 40 000 à 50 000 personnes qui trouvent chaque année refuge à la Mie de pain. « Le petit frémissement que l'on perçoit aujourd'hui ne touche pas les plus abîmés », confirme Patrick Hervé, directeur de ce grand centre d'hébergement parisien, dont la moitié des visiteurs ont connu l'errance. Ceux-là auront le plus grand mal à monter dans le train de l'emploi.

Une population licenciée de l'insertion

D'autres, moins marginalisés, végètent dans les fameuses trappes à pauvreté. « Nombre de RMistes n'ont pas intérêt à reprendre un emploi, même en le cumulant avec le RMI, confirme Didier Piard, chargé de l'insertion par l'économique à la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars). Car ils ne savent pas ce qui va se passer à la fin de leur contrat. » Si les fichiers de RMistes ont commencé à se réduire, au premier semestre 2000, l'embellie ne bénéficie pas aux plus fragiles, ceux qui cumulent les handicaps : l'éloignement du marché du travail, l'isolement social, des problèmes de santé, souvent d'ordre psychologique, et un contact trop épisodique avec les organismes sociaux.

Autres laissés-pour-compte, les chômeurs âgés. Si les statistiques affichent un léger mieux, c'est moins parce que les quinquagénaires retrouvent un emploi que parce que le nombre des nouveaux entrants à l'ANPE diminue. Les bénéficiaires de minima sociaux et les jeunes en situation d'exclusion ne profitent guère, eux non plus, de l'embellie économique. Croissance ou pas, les uns comme les autres ne franchiront pas les portes de l'entreprise sans un parcours d'insertion susceptible de les remettre en selle. Or l'amélioration de la situation de l'emploi a eu pour corollaire une forte réduction du nombre des contrats aidés, comme les contrats emploi solidarité, passés de 500 000 en 1997 à... 260 000 dans le budget pour 2001. « La baisse drastique des CES pose de gros problèmes, s'inquiète Didier Piard. Il y aura une hécatombe dans les structures d'insertion, qui y ont souvent recours. Que vont devenir les personnes les plus en difficulté ? » Ceci même si ces contrats ne sont pas non plus la panacée. « Ils débouchent trop souvent, lorsque les droits à l'insertion sont épuisés, sur le retour au chômage, indique le dernier rapport du Conseil national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Il se crée ainsi une population licenciée de l'insertion. »

Si les jeunes s'en sortent un peu mieux, un actif de moins de 25 ans sur huit pointe encore au chômage. Pour aider les moins qualifiés, le Trajet d'accès à l'emploi (Trace) leur offre un accompagnement pendant dix-huit mois. Mais là encore, souligne Pierre Concialdi, de l'Ires, les 65 000 places offertes sont insuffisantes en regard des 100 000 jeunes qui sortent de l'école sans qualification. Or, observe Jean-Marie Terrien, directeur de la mission locale de Nantes, « les jeunes ne se rendent pas toujours compte de l'écart entre leur situation personnelle, leur faible niveau de qualification et les attentes des entreprises ».

Les spécialistes de l'insertion sont formels. Pour tous ces exclus du marché du travail, la croissance ne suffira pas. Seul un accompagnement personnalisé pourra leur remettre le pied à l'étrier.

Stéphane, 24 ans

Du Fouquet's… au programme Trace

La Tour d'argent, le Fouquet's. Stéphane Lescot possède des références à faire pâlir d'envie plus d'un cuisinier. Et pourtant ce jeune homme de 24 ans, titulaire d'un CAP hôtellerie, faisait partie, il y a peu de temps encore, des dizaines de milliers de bénéficiaires du programme Trace. Ou Trajet d'accès à l'emploi, dispositif créé par la loi de lutte contre les exclusions de juillet 1998, dont ont bénéficié, entre octobre 1998 et juin 2000, 65 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans. L'histoire de Stéphane avait bien commencé, dans ces deux grands restaurants parisiens, jusqu'à ce que la conscription, encore obligatoire, vienne tout contrarier. Il opte alors pour un VSL (volontaire service long) au 33e Régiment d'infanterie de marine, en campagne d'aide humanitaire en République dominicaine et au Honduras. De retour en France, il trouve un CDD de cuisinier en collectivité au ministère des Finances, à Nantes. C'est la déconvenue. « Je ne faisais plus le même métier, raconte-t-il. Je consacrais cinq minutes à faire de la cuisine, le reste à respecter des règles d'hygiène. » Il jette l'éponge en septembre 2000. Deux secteurs le tentent, les métiers sociaux et... la sécurité, mais rien ne débouche, faute de diplôme. « J'étais démoralisé », confie-t-il. Un bon contact avec une conseillère sociale, à la mission locale de Nantes, et le voilà inscrit, en novembre dernier, dans le programme Trace.

Pour Stéphane, cela se traduit concrètement par un stage dans un atelier de techniques de recherche d'emploi, auquel s'enchaîne un CDD d'un mois pour la surveillance de nuit du marché de Noël de Nantes. « J'étais content, cela me rappelait l'armée. » Cette mince expérience ne s'est pas avérée suffisante pour déboucher sur une autre proposition. Mais, au moins, elle lui permet de compléter d'autres périodes de travail et de prétendre à une allocation chômage. De quoi améliorer sa situation financière, qui se résumait à une aide du CCAS nantais, à titre de dépannage.

Mais Stéphane n'a pas l'intention d'en rester là. La preuve, il vient de décrocher un emploi-jeune comme agent d'accueil et de prévention à la Semitan, société nantaise de transports en commun, avec la perspective d'intégrer à terme l'entreprise. Avec le recul, Trace lui apparaît comme un élément « très positif » pour son entrée dans la vie active. Au final, il ne sera resté que trois mois dans ce dispositif d'accompagnement individualisé, qui peut s'étaler sur un an et demi. Francine, 51 ans

Francine, 51 ans

Le RMI, dernier rempart contre la pauvreté

Pour une femme – elles sont près de 265 000 dans ce cas – retrouver un travail à plus de 50 ans relève du parcours du combattant. Même lorsque l'on a, comme Francine Charriez, vingt ans d'expérience dans la restauration et près de dix ans de pratique dans l'aide aux personnes âgées. À 51 ans, elle vit depuis l'été 1999 avec sa fille de 15 ans dans la banlieue de Cherbourg, où elle a fui un passé douloureux. Maladie, violences conjugales, divorce, chômage, rien ne lui a été épargné. Si elle a fini par obtenir un logement HLM, pour travailler, c'est une autre affaire. Jusqu'en juin dernier, Francine bénéficiait encore d'une indemnité chômage. Mais aujourd'hui, si elle est toujours inscrite comme demandeur d'emploi à l'ANPE – elle bénéficie d'un plan d'accompagnement individualisé –, elle a basculé dans le dispositif RMI, le dernier rempart contre la pauvreté.

En début d'année, elle décroche, via un journal de petites annonces, un CDD de trois mois, pour 16 heures de travail mensuel (deux heures de ménage et un service de midi par semaine), dans une grande brasserie cherbourgeoise. Un « petit plus » qui améliore ses allocations. Mais quand il reste environ 3 000 francs par mois pour vivre, « c'est dur ». Aujourd'hui, Francine va mieux. « J'ai lancé des appels au secours qui ont été entendus. » Par le Secours catholique, notamment. Sa priorité, c'est encore et toujours de trouver du travail. Un vrai, à temps plein, et en CDI. Ce sera peut-être pour bientôt. Francine est l'une des deux dernières candidates en lice pour un poste de responsable en service de gérontologie.

Virginie, 28 ans

Seule avec deux enfants en bas âge

Deux années d'études d'infirmière. Voilà le viatique de Virginie, qui élève seule deux enfants en bas âge et cherche frénétiquement un emploi. Ne supportant plus les violences de son mari, elle s'est réfugiée dans la Manche, où vivent ses parents. Après neuf mois dans une maison parentale, elle a fini par obtenir un logement, à Noël. Aujourd'hui, cette jeune femme de 28 ans, toujours en instance de divorce, jongle avec les horaires de la halte-garderie pour mener à bien sa recherche d'emploi. Car, pour elle, l'allocation parent isolé (API) qu'elle perçoit, comme plus de 150 000 mères seules avec enfants de moins de trois ans, c'est du provisoire.

Elle vise un poste d'aide-soignante dans un établissement pour personnes âgées, plutôt que dans un hôpital, où on ne lui proposera que des remplacements. À terme, elle souhaiterait terminer ses études, qu'elle a dû interrompre à la naissance de son premier enfant. Obtenir son diplôme d'infirmière et exercer ensuite son métier auprès de personnes âgées, ce qui est, pour elle, une véritable « vocation ». Reste tout de même un problème, de taille, à régler : la garde des enfants. « 1 700 francs par enfant et par mois » pour les placer chez une assistante maternelle agréée, c'est une somme importante au regard des 7 000 à 8 000 francs – sans les primes – auxquels elle pourrait prétendre en tant qu'aide-soignante dans un établissement public. Aujourd'hui, en cumulant les différentes prestations familiales et l'allocation logement dont elle bénéficie, elle vit avec 5 000 francs par mois. En attendant, Virginie s'est inscrite à l'ANPE, « parce qu'il le faut bien ». Ce qui ne l'empêche pas de chercher activement de son côté : « Je suis plutôt confiante pour trouver un poste. Je me suis toujours débrouillée. » On n'est jamais mieux servi que par soi-même...

Pascal, 27 ans, et Bernard, 46 ans

Des anciens SDF secourus par la Mie de pain

La route de Pascal et celle de Bernard se sont croisées un jour à la Mie de pain, le plus grand centre d'hébergement français, et même européen, avec ses 442 lits. Pascal, âgé aujourd'hui de 27 ans, arrivait de son Havre natal. « Pour raisons familiales », dit-il sans plus de détails. Sans boulot, mais pas sans formation puisqu'il possède un bac pro en secrétariat-comptabilité, ni tout à fait sans ressources, car il touchait le RMI. En ce mois de mai 1999, c'est presque l'été à Paris. Pascal dort dans la rue, le plus souvent sous un porche d'immeuble. Refoulé du Samu social parce qu'il « n'habite pas Paris », il passe les mois de juillet et août dehors. En septembre, il tente sa chance, d'un centre à l'autre, avant d'atterrir à la Mie de pain. Le centre d'hébergement parisien lui donne l'avantage d'être domicilié, ce qui lui permet de réactiver ses droits au RMI. À l'automne, la Mie de pain lui propose même de suivre un stage de « rupture » d'une semaine sur un bateau. L'expérience est positive. Pascal reprend confiance. Il trouve une chambre d'hôtel à Paris, dans le XIXe, pour 2 600 francs par mois, soit 50 francs de plus que le montant de son RMI ! « Heureusement que j'avais un petit peu de sous de côté », explique celui qui a entre-temps fait une demande d'APL. Pour lui, l'année 2001 démarre bien. Il a le sourire. Il vient de terminer sa première journée de travail, comme manutentionnaire dans un Centre d'adaptation à la vie active (Cava). Un CDD à temps plein de trois mois, où la première semaine est payée 60 % du smic, la seconde 70 %, et ainsi de suite jusqu'à 100 %. « C'est bien, il y a des horaires réguliers, on travaille avec les autres. En plus, j'ai du temps libre pour chercher du travail. » Son rêve, c'est un emploi de bureau.

Comme Pascal, Bernard doit beaucoup à la Mie de pain. Cet électronicien de métier a dû brutalement cesser son activité professionnelle pour des raisons de santé. « J'ai sombré, avoue cet homme de 46 ans. Mais attention, je n'ai pas eu de problèmes de drogue ou d'alcool ! » Lui aussi finit par trouver le chemin de la Mie de pain, où il est pris en charge. D'abord sur le plan médical. L'Hôtel-Dieu diagnostique deux maladies invalidantes nécessitant un traitement lourd. Avec l'ouverture de ses droits, Bernard vit aujourd'hui du RMI et d'une allocation logement, ce qui représente une somme d'environ 4 000 francs par mois. « C'est difficile. Je paie 2 600 francs d'hôtel, 285 francs de carte Orange, plus le tabac... » C'est pourquoi il va de temps en temps dîner à la Mie de pain, ou aux Restos du cœur. Il garde toujours l'espoir de renouer avec le monde du travail. Mais il n'ignore pas que ce sera dur.

Florence, 32 ans

Un contrat emploi solidarité pour viatique

À 32 ans, Florence a toujours connu la précarité. Mais elle n'est pas découragée pour autant. « Je connais les démarches à effectuer. J'arrive à me battre. Ce qui n'est pas le cas de tout le monde », reconnaît la jeune femme. Mère d'un enfant de 12 ans qu'elle élève seule, elle se rend bien compte que les employeurs hésitent souvent à embaucher des personnes dans sa situation, « parce qu'ils craignent d'avoir des problèmes par la suite ». Pour parler clair, son statut de mère isolée la handicape lors des entretiens d'embauche, alors qu'elle peut se prévaloir d'une expérience professionnelle en secrétariat, récemment complétée par une formation qualifiante de huit mois en informatique dispensée par l'Afpa. Au moins ce bagage lui a-t-il permis de décrocher un CES de deux ans dans un lycée de la Manche. Mission ? Assistante de formation auprès d'élèves préparant un diplôme national de technique spécialisée (DNTS) en maintenance nucléaire. Elle espérait que ce contrat emploi solidarité, dont bénéficient actuellement plus de 220 000 personnes, serait transformé en contrat emploi consolidé, d'une durée maximale de cinq ans. Impossible : « Je n'étais pas prioritaire par rapport aux plus de 50 ans et aux personnes handicapées, explique-t-elle. Pourquoi alors ne pas créer des quotas pour les mères isolées ? »

Depuis la fin de son CES, en septembre 2000, Florence s'est inscrite dans un club de recherche d'emploi et dans un plan local d'insertion à l'emploi (Plie), ce qui lui permet d'avoir un accès prioritaire aux offres d'emploi. Elle a également envoyé des candidatures spontanées aux entreprises locales. Hormis quelques rares entretiens, rien ne débouche. « Dans la région, souligne-t-elle, les emplois sont rares. » Mais elle ne baisse pas les bras. Elle décroche parfois une semaine de travail par-ci par-là, en intérim. « Mais c'est travailler à perte. Je vise un CDI à temps plein car, avec un mi-temps, on sort rapidement du dispositif. » Une perspective qui lui fait peur. Aujourd'hui, elle sait ce qu'elle perçoit, avec son allocation unique dégressive, l'APL pour le logement, l'allocation de soutien familial et un petit bout de RMI. En décembre, elle a postulé pour un CDD de six mois en secrétariat. En vain. Florence est actuellement en lice pour un CEC à l'Afpa. Un retour dans une maison qu'elle connaît bien. Elle croise les doigts...

Auteur

  • Isabelle Moreau