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Des salariés souvent réticents

Dossier | publié le : 01.03.2001 | L.A.

La loi oblige les entreprises à informer les salariés des procédés d'informatisation de leur gestion des ressources humaines. Aux yeux des syndicats, la finalité réelle des logiciels de gestion des compétences est pourtant trop souvent mystérieuse.

Big brother ! C'est ainsi qu'un syndicaliste de la RATP avait immédiatement rebaptisé le logiciel de gestion des compétences présenté il y a un peu plus de deux ans aux partenaires sociaux de l'entreprise publique par Étienne Thirifays, chef de projet au sein du service ressources humaines du département équipements et systèmes électriques (ESE). Cet outil – il s'agit en l'occurrence de Gingo, développé par la société Trivium – est destiné à organiser une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences à l'aide d'une cartographie.

Chaque salarié concerné (un millier de cadres et agents de maîtrise sur 2 100 personnes) a dû évaluer lui-même ses compétences ; il peut aujourd'hui comparer son profil à celui exigé pour d'autres postes. Dans chaque unité, un responsable des ressources humaines a accès à l'ensemble des profils – enregistrés sous pseudonyme –, de même que le DRH du département. Grâce à Gingo, il est possible de comparer les compétences des salariés avec celles définies pour les 17 emplois types de la RATP et d'obtenir un arbre détaillant la répartition des compétences dans son unité. « J'ai fait remarquer au représentant syndical sceptique, rappelle Étienne Thirifays, qu'avec un tel système il risquait moins d'être victime de discrimination en raison de ses opinions que si ses supérieurs devaient choisir seuls, entre lui et d'autres salariés, à compétences égales. »

Des craintes de dérive

Comme tous les autres outils informatiques, les logiciels et solutions de gestion des compétences suscitent des craintes chez certains salariés et représentants syndicaux. « Entre la surveillance physique, vieille comme le salariat, et le stockage d'informations les concernant sur des fichiers informatiques, il y a une véritable différence de nature, estime Hubert Bouchet, vice-président délégué de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et membre de l'Union des cadres et ingénieurs FO. Avec l'apparition de ces outils nouveaux, il faut déterminer ce qui doit être connu par la hiérarchie et peut servir le salarié dans sa vie professionnelle et ce qui ne regarde que sa vie privée. » Le contenu des questions posées, par exemple à travers Gingo ou dans un logiciel d'évaluation à 360°, est donc essentiel. À la RATP, un salarié est interrogé sur son niveau en langues étrangères, sur sa capacité à animer une réunion de travail et sur ses compétences techniques (par exemple, sa connaissance des groupes électrogènes). « C'est du savoir ou du savoir-faire, argumente Étienne Thirifays. Il ne s'agit pas de savoir-être. Nous ne faisons pas à un jugement moral. » En revanche, l'outil 360° mis au point par la société Rhinfo demande aux évaluateurs de noter l'intégrité, la créativité ou encore la capacité d'innovation des cadres.

Mais les risques de dérive sont limités par la législation. Le Code du travail précise en effet, dans son article L. 432-2-1, que le comité d'entreprise « doit être informé, préalablement à leur introduction dans l'entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci ». Les nouveaux outils informatiques doivent également faire l'objet d'une déclaration à la Cnil. Une garantie pour que les données récoltées ne relèvent que des compétences professionnelles. Certaines entreprises se sont même dotées d'une charte qui fixe les règles d'exploitation des outils de gestion de compétences.

Malgré cet ensemble de précautions, les salariés ont souvent du mal à percevoir les objectifs de ces démarches de compétences. « La plupart du temps, la direction ne dit pas exactement à quoi va servir l'outil, regrette Alain Guyodo, chargé de mission à la CFDT. Elle promet aux salariés qu'ils auront plus d'autonomie et plus d'informations sur leur propre évolution, mais ils ne connaissent pas l'ensemble de la chaîne. » Il faut ajouter à cela que la mise en place de ces outils informatiques est trop récente pour que l'on cerne aujourd'hui véritablement leur impact.

Dix compétences, de la créativité à la rigueur

Au Crédit agricole Indosuez, la DRH exploite, depuis l'année dernière, le logiciel d'évaluation à 360° de Rhinfo. À l'heure actuelle, 387 volontaires parmi les cadres ont été évalués au moyen d'un questionnaire diffusé par l'intranet, comprenant une liste de 10 compétences allant de la créativité à la rigueur. Outre son manager direct et lui-même, chaque salarié concerné sélectionne 10 évaluateurs dans son entourage professionnel. La synthèse des notes attribuées n'est accessible qu'au manager et au salarié concerné, avec une garantie de confidentialité quant à l'identité des autres évaluateurs. À terme, le rapport devrait permettre d'établir un « plan de progrès » pour chaque salarié.

L'introduction du 360° a fait l'objet d'une campagne interne d'information le présentant comme un outil de développement personnel et d'aide à la décision. Pourtant, Jean-Pierre Pampilli, délégué du SNB-CGC (Syndicat national de la banque, branche de la CGC) et membre du comité d'entreprise, reste sceptique. « On ne sait pas quel est le but réel de ce projet. Il n'est pas sûr que l'intranet améliorera le dialogue avec les managers. En plus, il y a des questions qui ne s'adaptent pas à n'importe quel évaluateur. » En effet, parmi ses évaluateurs, chaque salarié en choisit cinq qui ne sont pas des collaborateurs directs, mais des clients ou des fournisseurs internes, et qui ont bien du mal à répondre à certaines questions sur les pratiques quotidiennes de travail. La mise en place du 360° a révélé les problèmes de communication entre la DRH et l'encadrement. Pour certains salariés, le système a surtout pour intérêt de décentraliser une partie des missions de la DRH et de faire reposer plus de responsabilités sur les épaules des cadres.

Chez Axa Courtage, un système d'autoévaluation en ligne baptisé Compétences 2001 a été mis en place dès 1996 afin de dresser un état des lieux des compétences des salariés et de mieux adapter la formation aux besoins recensés. Le projet n'a pas été aussi étendu qu'il avait été envisagé à l'origine. « Les salariés n'ont pas eu les moyens de se familiariser avec l'outil, déplore Guy Ors, délégué CFDT. Il faut que leur adhésion soit totale, sinon le système ne sert à rien. » Car le manque de confiance des salariés est d'autant plus répandu qu'ils n'ont pas libre accès à l'outil. Au sein du département ESE de la RATP, les cadres et agents de maîtrise doivent encore utiliser le poste du responsable des ressources humaines de leur unité pour consulter le logiciel d'évaluation des compétences. À la RATP comme chez Axa Courtage, des dossiers plus urgents, les 35 heures pour la première ou la fusion avec l'UAP pour le second, ont officiellement freiné l'extension des outils de gestion des compétences…

L'autoévaluation, le 360° ou la possibilité de comparer son profil à ceux des postes à pourvoir via l'intranet suscitent un réel intérêt de la part des salariés. Mais les objectifs de la gestion des compétences par logiciels interposés mériteraient d'être davantage expliqués aux salariés. « Les sections syndicales commencent à se préoccuper de l'impact de ces outils sur la vie des salariés. Mais en général elles réagissent trop tard », commente Alain Guyodo, de la CFDT. Le militant cédétiste n'est pas le seul à préconiser une veille des syndicats sur ces nouveaux outils. Mais la meilleure façon, pour les partenaires sociaux, de prévenir d'éventuels abus de la part des administrateurs de réseaux de ce type de solutions serait de négocier systématiquement leur mise en place et la définition de leur rôle.

Chez Axa Courtage, le projet Compétences 2001 a ainsi fait l'objet d'un accord, signé en 1995 entre la direction et les organisations syndicales CGC, CFDT et CGT. Serge Vannier, représentant CFDT au département ESE de la RATP, regrette quant à lui que les syndicats n'aient pas été associés à la définition des postes sur Gingo. À ses yeux, « cela aurait permis de vraiment remettre à plat la gestion des ressources humaines ». Un objectif qui était pourtant affiché par la DRH du département au moment de la mise en place du dispositif.

Auteur

  • L.A.