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Repères

Répartir équitablement les sacrifices

Repères | publié le : 01.05.1999 | Denis Boissard

Les seniors et autres tempes grises ressortent leurs banderoles. Réagissant au rapport Charpin sur les retraites, ils ont manifesté à la mi-avril pour revendiquer une revalorisation plus forte de leurs pensions.

Une mobilisation paradoxale. Car non seulement les pensionnés actuels bénéficient d'un véritable âge d'or de la retraite – entre 1970 et 1990, leur revenu a augmenté deux fois plus vite que celui des actifs, si bien que leur niveau de vie a aujourd'hui rejoint celui du reste de la population –, mais ils seront les seuls à être globalement épargnés par les réformes drastiques à venir. Si le gouvernement suit les préconisations du commissaire au Plan (voir son interview p. 32), qui vient de lui remettre son rapport définitif, la seule contribution des seniors au sauvetage des régimes de retraite par répartition sera le maintien de l'indexation de leurs pensions sur les prix (ce qui préserve leur pouvoir d'achat) et non sur l'évolution des salaires bruts, comme c'était la règle avant 1987.

Le poids des ajustements nécessaires à l'équilibre financier des retraites reposera en réalité sur les générations suivantes, actuellement au travail, et particulièrement sur les plus jeunes d'entre elles.

Si le rapport Charpin est mis en musique, ce qui serait grandement souhaitable, les salariés qui sont aujourd'hui tout juste quadragénaires et leurs benjamins devront aligner 42,5 années de cotisations pour percevoir la totalité de leur pension, au lieu de 40 années actuellement, et de seulement 37,5 années avant la réforme Veil de 1993. Ils devront donc cotiser cinq ans de plus que ne le feront les salariés qui sont aujourd'hui âgés de 55 ans et plus. Rien de scandaleux en soi : l'espérance de vie s'allongeant au rythme d'un trimestre supplémentaire par an, ces futurs retraités bénéficieront en principe d'une durée de repos aussi longue que leurs aînés.

Reste qu'un tel arbitrage suppose une remise en cause radicale de la façon dont les entreprises hexagonales gèrent leurs effectifs. L'entrée des jeunes sur le marché du travail est, on le sait, de plus en plus tardive, tandis que la sortie des salariés de la vie active est de plus en plus précoce. En moyenne, les Français accèdent au monde du travail à presque 22 ans et ils en partent à moins de 59 ans, soit quelque 37 années de carrière professionnelle. On est donc bien loin des 42,5 années d'assujettissement préconisées.

Outre un accès moins laborieux des jeunes à l'emploi, le pari implicite du rapport Charpin est un coup d'arrêt donné à la banalisation de la mise en préretraite ou au chômage des quinquagénaires. Les pouvoirs publics n'en prennent pas le chemin. Au risque de brouiller son message sur les retraites, le gouvernement s'apprête à octroyer aux constructeurs automobiles, en contrepartie de leur bonne volonté vis-à-vis des 35 heures, un dispositif de départ anticipé concernant un peu plus de 20 000 salariés âgés de plus de 57 ans.

D'autres secteurs – la banque, les grands magasins et les travaux publics – se sont aussitôt engouffrés dans la brèche pour revendiquer le même traitement de faveur.

Persister dans cette politique de gribouille, tout en exigeant des actifs qu'ils cotisent plus longtemps, condamnera ceux-ci à liquider leur retraite avec des coefficients d'abattement. Faute d'avoir suffisamment cotisé, ils ne pourront bénéficier d'une pension à taux plein. Autrement dit, si la situation de l'emploi ne s'améliore pas nettement (le retournement démographique peut y contribuer d'ici à une dizaine d'années, mais à condition que la croissance reste dynamique), les jeunes générations risquent fort de pâtir d'un niveau de pension plus modeste que leurs aînés.

Préserver le pacte social sur lequel reposent les régimes par répartition suppose que les sacrifices soient équitablement répartis entre les générations, et au sein même de chaque génération. À ce titre, il n'aurait pas été illégitime de demander un effort de solidarité supplémentaire aux retraités actuels, tout au moins aux mieux lotis d'entre eux, les 60-75 ans.

Par exemple sous la forme d'une cotisation au fonds de réserve instauré fin 1998. Comme il n'aurait pas été anormal de suggérer aux salariés du secteur public de s'aligner non seulement sur la durée de cotisation de leurs collègues du privé, mais aussi sur les modalités de calcul et d'indexation de leurs pensions (calcul sur les 25 meilleures années et non sur les six derniers mois de salaire, indexation sur les prix et non sur les salaires).

Courageux, le rapport Charpin n'est pas allé jusqu'au bout de son audace. Le poids électoral des uns et le pouvoir de nuisance des autres l'ont vraisemblablement incité à la prudence.

Auteur

  • Denis Boissard