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Politique sociale

Les bonnes recettes des syndicats pour prendre du poids

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.05.1999 | Jacques Trentesaux

Pour regonfler les effectifs, chacun sa méthode. La CFDT s'appuie sur les développeurs, des VRP chasseurs de cartes. La CGT préfère le parrainage à partir de ses bastions. Et FO met l'accent sur la formation syndicale afin de transformer ses adhérents en recruteurs. Inventaire de trois techniques de reconquête.

Champagne ! En ce printemps 1999, l'état-major de la CFDT, réuni boulevard de la Villette à Paris, au siège de la confédération, affiche sa satisfaction. Pour la dixième année consécutive, le nombre des adhérents est en hausse (+ 4,6 % en 1998). De quoi ravir les plus anciens qui ont vécu la descente aux enfers des années 80, jusqu'à cette année 1987 où la CFDT a atteint le creux de la vague avec 510 000 adhérents officiellement recensés. Prenant le taureau par les cornes, la CFDT a décidé alors de mener une politique de reconquête à forte coloration de marketing. Sa cheville ouvrière ? Le développeur, un « militant chasseur de cartes » d'un nouveau genre qui consacre l'essentiel de son temps au prosélytisme syndical. Fer de lance de l'opération : le Groupe d'action pour la syndicalisation (Gaps), créé au niveau confédéral en 1985 pour impulser le mouvement. « À la différence des autres syndicats, nous avons fait du développement un véritable enjeu politique », explique Jacky Bontems, secrétaire national adjoint chargé de l'organisation.

Développeur fédéral, c'est le métier d'Ivan Béraud depuis deux ans. Cadre dans une PME informatique, il est repéré fin 1996 par la Fédération CFDT des services qui lui propose un détachement de trois ans. Officiellement, Ivan reste salarié de son ancienne société. En réalité, son salaire, soit 13 700 francs net mensuels, est payé par la CFDT. Sa mission ? Porter les effectifs du Betor-Pub (un syndicat patchwork qui regroupe les salariés des bureaux d'études, de la publicité, des cabinets d'expertise comptable ou encore des centres d'appels téléphoniques) de 10 000 à 20 000 adhérents en trois ans.

En deux ans, l'objectif est déjà atteint. Avec abnégation, Ivan a visité les entreprises, démarché les CE non syndiqués et répondu aux sollicitations de salariés qui se plaignent d'un manque de reconnaissance ou des brimades d'un petit chef. « Il faut savoir écouter, être pédagogue et patient. L'action syndicale n'est jamais à court terme, même dans une PME », explique Ivan, qui s'est piqué au jeu.

Pas de prix du meilleur recruteur

« Au départ, le métier est de décrocher des cartes. Mais, peu à peu, il s'agit davantage de soigner la fonction d'accueil du syndicat en ouvrant des permanences juridiques et de faire émerger des collectifs au-delà des adhérents isolés », poursuit Ivan. Comme tout commercial, il doit rendre des comptes à son supérieur. Mais ce VRP du syndicalisme de 35 ans n'est pas rémunéré en fonction des résultats : « Dans certains syndicats étrangers, on organise des concours du meilleur recruteur. En France, nous n'y sommes pas encore prêts. » Intégrée dans les mœurs, la formule s'est peu à peu banalisée. Tant et si bien que plus personne à la CFDT n'est capable de donner le nombre précis de développeurs en activité. Le développement souffre aussi de son succès. « Il faut toujours tout réexpliquer aux nouveaux venus. Or la moitié de nos adhérents ont moins de trois ans d'ancienneté », indique Francis Mauss, de la fédération Santé.

La démarche a bien sûr suscité l'intérêt de FO et de la CGT. Même si celles-ci font la fine bouche. « Le développeur ? C'est une très vieille idée. À FO, on les appelait les sergents recruteurs, il y a vingt ou vingt-cinq ans, affirme Claude Jenet, secrétaire confédéral chargé de l'organisation. Nous pensons que notre solution “à chaque militant son adhérent est la meilleure. » Même écho à la CGT : « On y viendra peut-être mais le métier de développeur est plus difficile à adapter à la culture de la CGT, indique Pierre-Jean Rozet, secrétaire confédéral de la conquête des forces. Nous sommes fortement attachés à une logique de solidarité entre salariés. Le côté “individualité” du développeur nous gêne. »

Ce souci de solidarité a conduit la CGT à explorer une autre voie : l'essaimage. L'idée consiste à partir d'entreprises bastions de la CGT ou de zones de grande concentration d'emplois pour rayonner autour, par capillarité. Une initiative du centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Chinon a fortement inspiré la CGT. Les résultats sont tangibles. « En 1995, sur les 2 400 salariés intervenus au CPNE, nous avions relevé une trentaine de syndiqués, toutes organisations confondues. Quatre ans plus tard, on compte 300 adhésions et quinze syndicats nouveaux », raconte Michel Lallier, permanent syndical à EDF CGT Chinon. Il a été détaché pour aller au-devant des « nomades du nucléaire », ces intérimaires de l'atome qui effectuent des travaux de maintenance lors des arrêts de réacteurs. « Nous sommes allés les voir dans leurs caravanes et nous avons fait parler d'eux dans les médias. Cela a provoqué un déclic. » Ensuite, la CGT a joué son rôle de parrain en les aidant à se doter d'instances représentatives (CE, CHSCT) et en publiant un journal local, Le Lien Chinon, décliné ensuite au niveau national à 30 000 exemplaires. Sous la pression, EDF-GDF a été contrainte d'élaborer une charte de la prestation afin d'améliorer la situation matérielle et financière des sous-traitants.

Une antenne CGT au Futuroscope

Pour Pierre-Jean Rozet, l'intérêt de l'expérience est multiple : outre le recrutement d'adhérents, l'opération a conduit à la création d'un collectif national intersectoriel (énergie, nettoyage, BTP, etc.). « Nous devons prendre en compte une nouvelle donnée : l'interprofessionnel ne se situe plus en dehors des murs de l'entreprise. » Fort de ce succès, la CGT a appliqué ce type de parrainage dans la région de l'étang de Berre, sur le terminal pétrochimique de Montoire et sur le site du Commissariat à l'énergie atomique de Cadarache.

Deuxième cheval de bataille de la CGT, le syndicalisme de proximité. Traditionnellement implantées dans les bourses du travail, les unions locales de la CGT souffrent parfois de l'éloignement des zones d'activité. C'est pourquoi l'Union locale de Poitiers a décidé, en septembre dernier, d'ouvrir une antenne sur le site du Futuroscope. « Il s'agit d'un outil pour toutes les fédérations, d'un lieu de rencontre ouvert tous les jours au public avec une permanence juridique, un service aux consommateurs… », explique Francis Martin, son animateur.

Ancien secrétaire général de l'Union départementale de la Vienne, il a décidé, à 58 ans, de consacrer ses dernières années de vie militante à cette expérience. Une fois par semaine, il « parraine » l'une des 220 entreprises d'une zone qui compte 15 000 emplois en allant à la rencontre des salariés, tracts en main. Le premier bilan est encourageant : deux mandatés CGT, quatre syndicats créés et un objectif de « huit à dix bases nouvelles d'ici à la fin de l'année ». Sans attendre, la CGT a décalqué l'opération à Disneyland Paris et à la Défense. La centrale de Montreuil a décidé de chouchouter ses 800 unions locales, « lien irremplaçable de coordination de l'activité interprofessionnelle » qui colle à un marché du travail en perpétuelle évolution. Marque d'attention : en 1997, la CGT a réuni ses unions locales à la Grande Halle de la Villette à Paris, lors d'une rencontre nationale, pour la première fois depuis dix ans.

FO a renoncé aux propagandistes

Le terme de resyndicalisation est, a contrario, exclu du vocabulaire de FO puisque, selon ses dirigeants, tous les indicateurs sont au vert du côté des effectifs. « Depuis quinze ans, on parle de syndicalisme moribond. Mais y a-t-il vraiment un malade ? », s'interroge Jean Jayer, secrétaire confédéral chargé de la formation. FO entend poursuivre sa logique de « syndicalisme par contamination » et continue de miser sur une « démarche revendicative permanente ». Selon elle, seule une ligne politique claire – celle de l'indépendance syndicale martelée par Marc Blondel – permettra d'attirer des adhérents. Pourtant, le secrétaire général de FO avait imaginé, en 1996, de constituer une équipe de propagandistes qui viendrait en aide aux secrétaires des unions départementales, généralement débordés par les réunions à répétition. Mais ce projet est gelé. « Certains secrétaires ne voyaient pas d'un très bon œil débarquer chez eux des militants placés sous la houlette directe de la confédération, explique Patrice Carrin, 39 ans, secrétaire adjoint de l'UD de la Vienne. Cela étant, il y a un réel besoin de personnes s'occupant activement du terrain. »

L'autre intérêt d'une telle équipe aurait été de répondre plus rapidement aux souhaits des nouveaux syndiqués. « Dans certains petits départements, ils doivent attendre plusieurs mois l'organisation du stage « découverte ». Le délai est trop long », poursuit Patrice Carrin. À défaut de propagande, il est devenu, fin 1996, l'un des quinze formateurs animateurs qui sillonnent la France au rythme de trente-cinq à quarante stages annuels. FO met désormais l'accent sur la formation de ses adhérents afin, notamment, de les transformer en militants capables d'engranger de nouvelles cartes. « Dans les stages, nous rappelons les positions de FO car elles sont mal connues. C'est souvent le plus gros handicap à un travail de syndicalisation. » En 1992, la centrale de Marc Blondel a mis au point un vaste plan de formation continue fondé sur une vingtaine de stages (découverte, communication, syndicalisation, secrétaire trésorier, économie, etc.). Quatre ans plus tard, FO a lancé une formation pour ses formateurs « afin d'harmoniser les stages et de renforcer leur qualité », explique Jean-Claude Jacquier, coordinateur pédagogique. Résultat : le nombre annuel de stagiaires est passé de 3 500 à 6 000 en dix ans.

FO n'est pas la seule confédération à mettre l'accent sur la formation. Depuis deux ans, la CGT fait le forcing « pour que tous les nouveaux venus bénéficient d'un stage d'accueil et de premier niveau », explique André Bonnisseau, membre du secteur formation. La CFDT n'est pas en reste. Le syndicat de Nicole Notat vise à dispenser une formation à tout nouvel adhérent dans les six premiers mois. Et il expérimente des formations ad hoc afin d'aider ses militants à « construire un réseau d'adhérents ». Mais la CFDT entend aussi profiter de la loi Aubry pour se renforcer grâce au mandatement. Première organisation signataire d'accords de RTT, elle est bien placée pour cela. Elle avait déjà été quasiment la seule confédération à profiter de la loi Robien qui avait entraîné « la création de 350 à 400 sections ou collectifs syndicaux CFDT », selon Jacky Bontems. Désormais, la concurrence fait rage. Au 1er avril, 260 salariés avaient déjà été mandatés par la CGT.

Cotisation réduite pour les jeunes

Dernière priorité des trois confédérations : les jeunes. « C'est un travail de longue haleine, précise Mickael Pinault qui, avec Laurent Le Goff, compose la délégation jeunes de la CFDT. Il s'agit de changer notre état d'esprit, d'aller vers les jeunes pour les écouter et non pas pour leur dire : “Prends la carte !” La CGT et la CFDT ont imaginé des journaux gratuits réservés aux moins de 30 ans. FO vient de réaliser à 20 000 exemplaires un premier CD-ROM qu'elle destine prioritairement à un public jeune. En janvier, la Fédération CFDT de la santé a instauré une cotisation de 120 francs pour les étudiants. Elle a lancé un questionnaire qui a montré que les jeunes n'ont pas une image si négative des syndicats. « Ils sont prêts à s'investir personnellement. Mais leur connaissance du fonctionnement d'un syndicat est toute relative », résume Francis Mauss, secrétaire national chargé du développement.

La resyndicalisation n'est donc pas perdue d'avance. Mais elle suppose une profonde remise en cause interne des appareils syndicaux. Dans ce domaine, la mutation prend du temps. À la CGT, Pierre-Jean Rozet note un « décalage » entre les jeunes syndicats « qui s'adressent résolument aux salariés » et « ceux qui gèrent l'acquis ». Claude Jenet, de FO, laisse entendre qu'un « remodelage des fédérations » est en gestation. À la CFDT, Jacky Bontems insiste sur une bonne implication des troupes. Car il ne suffit pas de gagner des adhérents. Il faut encore les fidéliser.

Des chiffres qui ne sont guère reluisants

La CFDT, la CGT et FO ont au moins un point commun : elles défendent un syndicalisme d'adhérents, par opposition à un syndicalisme de représentation. Pourtant, le syndicalisme français n'a jamais été un syndicalisme de masse ces dernières décennies, à l'exception des deux courtes périodes du Front populaire et de l'après-guerre. Et l'érosion sensible des effectifs syndicaux depuis la guerre rend l'objectif encore plus difficile à atteindre.

Quelle est l'audience réelle des syndicats ?

La réponse a toujours été extrêmement délicate. Chaque organisation dispose en effet d'une méthode de décompte qui lui est propre. Et aucune ne semble prête à une opération vérité, forcément douloureuse.

« Dans les années 70, nous étions plus de deux millions et le slogan était : cap sur les trois millions ! » rappelle Pierre-Jean Rozet, secrétaire confédéral de la CGT.

Un slogan terriblement démodé à l'heure où la CGT annonce quelque 640 000 adhérents !

D'après Dominique Labbé, spécialiste incontesté de la question, la CGT rassemblerait environ 600 000 adhérents, la CFDT 550 000 et FO 300 000. La CFDT revendique néanmoins la première place avec plus de 750 000 adhérents. Elle met en avant la progression continue de ses syndiqués depuis 1989 (+ 50 %) obtenue au prix d'un effort de resyndicalisation méthodique. Mais son système de décompte, très critiquable, gonfle considérablement ses chiffres. La CGT annonce, quant à elle, avoir enrayé l'érosion de ses effectifs depuis 1992. La part de ses adhérents retraités (près de 150 000) reste cependant élevée, ce qui affaiblit son influence relative. La centrale de Montreuil est aussi aux prises avec d'importants déséquilibres de représentation : quatre fédérations (Cheminots, PTT, Travailleurs de l'État, Énergie) regroupent le tiers de ses membres.

FO refuse systématiquement de communiquer ses effectifs, même si le débat a resurgi en interne au plus haut niveau au début de l'année. La centrale de l'avenue du Maine se contente d'indiquer que le montant de sa cotisation à la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) est calculé sur la base de un million de membres ! FO est en revanche très précise sur le nombre d'implantations syndicales nouvelles : + 300 à 350 par an depuis 1989 – date de l'arrivée de Marc Blondel à la tête de FO –, + 700 en 1996, au lendemain des grandes grèves, fin 1995, et même + 800 en 1998. Mais le nombre des disparitions n'est pas communiqué. Pour Dominique Labbé, l'érosion est continue et touche toutes les fédérations, à l'exception notable des Métaux.

Auteur

  • Jacques Trentesaux